Cette forme de juridiction exceptionnelle met les droits des prisonniers entre parenthèses. Finalement, ce sont des cours spéciales qui ont été désignées pour juger les centaines de prisonniers de guerre, arrêtés pour la plupart en Afghanistan, en attente d'être jugés depuis près de deux ans. C'est ce qu'a décidé, il y a quelques jours, le ministère de la Défense des Etats-Unis, après plusieurs mois de réflexion concernant la manière la plus «juste» pour en finir avec ces prisonniers très, très encombrants. Les ONG et autres spécialistes liés aux questions des droits de l'homme peuvent grincer les dents, dès lors qu'il s'agit bien de cours qui n'appliqueront pas le droit pénal, en vigueur dans les Etats-Unis d'Amérique, mais de juridictions spéciales qui s'inscrivent dans le cadre de la politique sécuritaire très restrictive mise en avant par Donald Rumsfield. Même le statut de «prisonniers de guerre» a été refusé à ces hommes, dont une bonne partie a été bel et bien arrêtée les armes à la main dans les montagnes de Qandahar et Herat ou les alentours de Kaboul. Pour les responsables américains de la sécurité intérieure, il s'agit avant tout, de tirer le maximum de renseignements de ces hommes. Deux prisonniers, présentés comme garde rapprochée de Ben Laden, sont soumis à un régime spécial. Pour les autres, il n'est pas aisé certes, de dresser des chefs d'accusation dûment établis, et de ce fait, il s'agissait soit de libérer ceux qui n'ont pas présenté le profil du terroriste, soit de les garder tous en détention. Et c'est la deuxième option qui a été retenue, à la faveur du contexte de guerre dans lequel, s'est opérée leur capture, et les avocats militaires nommés d'office pour la défense des prisonniers vont se trouver contraints d'agir dans un espace très réduit, hostile et sans ouvertures réelles. Pourtant, le débat politique concernant la situation invivable de ces «prisonniers apatrides» bat son plein et l'intelligentsia américaine de gauche n'arrête pas de lacérer la politique ultrarépressive de l'Etat à pleines griffes. Il y a une semaine, le vice-ministre adjoint de la Défense chargé des questions liées aux prisonniers, Paul Butler, avait affirmé que le ministère de la Défense envisageait de créer un groupe d'évaluation administrative «qui serait chargé d'évaluer en permanence la situation de chaque prisonnier se trouvant à Guantanamo Bay». Ce nouveau mécanisme, dit un document du département d'Etat américain, datant du 18 février 2004, «s'ajoute aux procédures en place afin de trier, catégoriser et traiter les prisonniers capturés en Afghanistan et en Irak et il constituera un niveau supplémentaire de vérification en ce qui concerne les prisonniers toujours détenus à Guantanamo». Selon Butler, «une longue détention n'attend pas nécessairement tous les détenus. Ces derniers sont divisés en trois catégories : ceux qui pourraient être libérés ; ceux qui pourraient être remis aux mains de leur propre gouvernement et ceux qui resteront à Guantanamo.» Le critère retenu est celui-ci: «Nous étudions le cas des prisonniers afin de décider s'ils continuent ou non à représenter une menace ; dans l'affirmative, nous les garderons jusqu'au moment où ils ne constitueront plus une menace.» Ces procédures sans statut, ces conditions mal définies et tout l'arsenal «a-juridique», nés des effets de l'après 11 Septembre 2001 et de la nouvelle politique sécuritaire induite par la «guerre totale au terrorisme», écornent les libertés et permettent aux intellectuels de dire que «les menaces à venir du terrorisme, islamiste ou autre, sont nourries par les lois liberticides d'aujourd'hui et les sentiments qu'elles engendrent.» Des six Algériens détenus à Guantanamo Bay, aucune information n'a encore filtré. Les contacts établis par nos services spéciaux sont restés dans la quasi-confidentialité. En fait, peu de pays arabes ont manifesté de l'intérêt pour leurs ressortissants, et l'on continue même à espérer qu'ils restent encore dans la base américaine à Cuba. Les conditions de vie des milliers de prisonniers de Guantanamo démontrent au grand jour que pour les Etats-Unis, comme pour la quasi-totalité des pays arabes, le principe du «tout sécuritaire» donne pleinement le droit d'écorner les libertés et les droits.