Le pouvoir est mis au défi de produire la moindre preuve à l'appui de ses assertions. Le parti Wafa, à la faveur des joutes électorales dans lesquelles il compte être un acteur de premier plan, ne pouvait raisonnablement laisser passer les nouvelles accusations balancées par Zerhouni, à l'emporte-pièce à partir d'El Oued. Il s'agirait, une fois de plus, de la présence d'anciens militants de l'ex-FIS dans les rangs du parti que préside Ahmed Taleb Ibrahimi. Une aubaine, en somme, pour le porte-parole de ce parti, de frapper fort un ministre spécialisé dans la collection des bourdes, et qui n'en rate pas une pour prêter le flanc à ses adversaires politiques. «Fidèle à ses omissions habituelles et à son goût prononcé pour le réchauffé (le ministre de l'Intérieur) a réitéré les mobiles fallacieux pour lesquels son administration refuse toujours de publier au Journal Officiel l'agrément de Wafa», peut-on ainsi lire dès les premières lignes du communiqué rendu public hier. Wafa, qui a souscrit à toutes les conditions légales devant lui garantir une existence légale et régulière, «met une nouvelle fois au défi d'apporter le moindre soupçon de preuve quant à la présence au sein de la direction de Wafa d'un seul membre qui soit juridiquement privé de ses droits civils et politiques au sens de l'article13 de la loi sur les partis politiques». Des sources politiques dignes de foi précisent que beaucoup d'anciens cadres de l'ex-FIS se trouvent au contraire dans les rangs des comités de soutien de Bouteflika, ce que le ministre de l'Intérieur ne doit sûrement pas ignorer. Mohamed Saïd, convaincu que Zerhouni, placé face au même défi depuis quatre longues années sans qu'il n'ait été capable de le relever, ni même de changer de discours et d'argumentaire, enfonce le clou en ajoutant qu'«au vu de son (Zerhouni) incapacité à apporter cette preuve, Wafa reste la manifestation la plus éclatante de la conception que se fait le pouvoir de l'Etat de droit. Il demeure et demeurera un parti agréé par la force de la loi et arbitrairement interdit par la loi de la force». Il apparaît ainsi, pour tous ceux qui désiraient signer l'arrêt de mort politique de Taleb en l'excluant de la course à la présidentielle, que ce nouvel arbitraire ne fait, au contraire, que le renforcer dans sa démarche, comme ne laisse pas de le souligner avec force le communiqué: «Cette position constante, légale et de principe, fonde toujours notre combat contre l'arbitraire et le déni de droit pour que Wafa retrouve la place qui lui revient légitimement dans un champ politique ouvert et soumis aux seules contraintes de la loi.» S'il est avéré que les sondages de 1999 donnaient Taleb gagnant loin devant Bouteflika, il semble que les rapports secrets établis récemment en soient arrivés à la même conclusion, d'où l'absolue nécessité de l'évincer à l'avance sous peine de se retrouver en face d'une situation délicate que provoquerait le verdict des urnes. Taleb, qui compte animer une conférence de presse demain en vue de s'expliquer sur cette question, aurait l'intention de revenir en détail sur les énormes contraintes exceptionnellement rencontrées par lui dans sa campagne de collecte des signatures, mais aussi le caractère politique qui a présidé à son éviction de la course à la présidentielle puisque Bouteflika, désormais, «se permet même de choisir ses concurrents». Plus résolu et plus fort que jamais, comme s'accordent à le dire tous les observateurs de la scène politique nationale, Ahmed Taleb Ibrahimi compte mettre au point une stratégie qui lui permettra d'être au coeur de la campagne électorale, mais aussi de peser fort dans toutes les décisions qui seront prises à l'avenir puisque, désormais, il faudra compter avec Wafa. C'est ce que laisse entendre en clair la conclusion du communiqué dans laquelle il est possible de lire que «l'existence de fait et de droit, de notre parti, comme l'ont démontré sa présence active sur le terrain lors de la dernière opération de collecte des signatures et les déplacements de son président dans une trentaine de wilayas, tient, d'une part, à ce qu'il exprime les revendications de citoyens et citoyennes dans une société résolue à recouvrer son droit souverain de décider de ses propres destinées et, d'autre part, à ce qu'il a toujours inscrit son action dans la stricte observation des lois de la République». La crainte qu'inspire Wafa et son président aux décideurs en place s'est cristallisée sous la forme d'une censure qui n'a pas dit son nom. L'entretien avec Taleb annoncé pour hier-soir par El-Arabia n'a pas pu être diffusé parce qu'on apprend que l'Entv a failli à ses engagements contractuels en refusant de transmettre la bande vidéo d'une longueur de 26 minutes. Comme il était également impossible de trouver hier un avion qui puisse transporter le document, avec le risque de se le voir confisquer, il y a fort à parier que les Algériennes et les Algériens ne le verront pas avant plusieurs jours. Une publicité inespérée, en somme, comme celle qui a fait un best-seller du livre de Benchicou.