C'était il y a trois ans quand les jeunes Tunisiens ont débarqué Ben Ali, pour se voir confisquer la Révolution par de vieux chevaux de retour De nombreux jeunes Tunisiens qui furent aux premiers rangs des protestations lors de la Révolution de janvier 2011 enragent de se voir écartés d'une scène politique jugée verrouillée par des vétérans de tous bords. Déclenchée le 17 décembre 2010, par l'immolation d'un vendeur ambulant de 26 ans, excédé comme nombre de ses contemporains par le chômage et les brimades policières, la révolte aboutit un mois plus tard avec la fuite du président Zine El Abidine Ben Ali du pouvoir. Mais depuis, «la révolution des jeunes a été confisquée par des vieux qui étaient bien cachés chez eux ou à l'étranger lors du soulèvement du peuple», assène Naïma Charmiti, 32 ans, qui dirige le site d'information arabesque. «Nos dinosaures n'arrêtent pas depuis la révolution de nous dire que l'avenir politique est pour les jeunes mais en réalité ils n'ont rien fait de Concret», déplore-t-elle, alors que 51% de la population est âgée de moins de 30 ans. De crise politique en crise politique, deux vétérans dominent la scène. L'un, Rached Ghannouchi, 73 ans, dirige le parti islamiste au pouvoir Ennahda et a passé deux décennies en exil avant de revenir en Tunisie en 2011. L'autre Béji Caïd Essebsi, 86 ans, à la tête de la principale formation d'opposition Nidaa Tounès. Il fut ministre du père de l'indépendance, Habib Bourguiba, président du parlement sous Ben Ali puis Premier ministre les premiers mois ayant suivi la révolution. Ces deux hommes étaient ainsi au coeur des pourparlers ayant échoué lundi pour désigner un Premier ministre indépendant appelé à sortir le pays de la crise politique qui le paralyse depuis la fin juillet et l'assassinat d'un opposant. Chacun a proposé sa solution: d'un côté Ahmed Mestiri, 88 ans, de l'autre Mohamed Ennaceur, 79 ans. Tous deux ont fait leurs premiers pas en politique à l'époque de Bourguiba. «A ce stade on réalise que les chefs des partis politiques sont tous des vieux et le comble c'est qu'ils font appel à des hommes encore plus vieux!», s'insurge Thameur Mekki, 27 ans, qui dirige un comité de soutien aux rappeurs tunisiens régulièrement la cible de poursuites pour leurs textes irrévérencieux. Et dans une classe politique qui ne cesse de se conspuer, l'un des rares consensus trouvés a été la levée de la limite d'âge de 75 ans pour les candidats à la présidence. Pour Salem Ayari, secrétaire général de l'Union tunisienne des diplômés chômeurs, les élites politiques considèrent simplement que les jeunes sont incompétents. «Ces gens-là ne croient pas qu'une génération jeune peut prendre la relève», dit-il, «la même mentalité régnait sous l'ancien régime de Ben Ali qui excluait les jeunes de la vie politique». Au sein des partis politique, on trouve ce verdict sévère, tout en admettant peiner à intégrer la jeunesse, pourtant première victime du chômage (30%, contre 16% pour la moyenne nationale) et moteur social de la révolte. «Après l'hyper-enthousiasme de la révolution il y a l'hyper-déception c'est vrai. Ce serait une énorme erreur de les négliger, mais il y a manque de capacité à les attirer. Il y a une méfiance des jeunes pour l'institutionnel dans toutes les sociétés, et les partis, c'est l'institutionnel», relève Selim Ben Abdessalem, 43 ans, député Nidaa Tounès. Mais cet élu souligne aussi que la Tunisie, confrontée à l'essor des violences jihadistes, aux crises politiques et à une situation économique difficile, doit s'en remettre aux gens d'expérience. «Il faut aussi arrêter le populisme, le +jeunisme+. La Tunisie est dans une situation telle, qu'on ne va pas mettre quelqu'un qui n'a pas d'expérience gouvernementale au poste de Premier ministre. Et si on ne veut pas quelqu'un qui était mouillé dans le régime de Ben Ali, il faut s'en remettre à ceux du temps de Bourguiba», explique-t-il.