Alors que l'Irak s'enfonce dans la violence, le conseiller spécial du secrétaire général de l'ONU revient dans la capitale irakienne. Les scènes de lapidation à Falloujah de quatre civils américains, d'anciens policiers ou militaires à la retraite qui travaillent comme chargés de la sécurité pour des sociétés implantées en Irak, ont marqué profondément l'imaginaire irakien de même qu'ils ont eu un impact traumatisant sur l'opinion publique américaine. De fait, l'Irak s'enfonce progressivement dans la violence qui fait que chaque jour qui passe voit son lot de crimes, plus ou moins atroces, et de deuils. Hier encore, deux soldats américains, et deux Irakiens, dont un policier ont été tués à Bagdad. De fait, plus l'échéance de la passation de pouvoir se rapproche, plus les choses ont tendance à se détériorer, compliquant les missions d'une coalition quelque peu dépassée qui accueille avec mansuétude le «coup de main» que les Nations unies veulent bien prêter pour aider l'Irak à assumer, dans la sérénité, la transition. Ainsi, Lakhdar Brahimi, conseiller spécial du secrétaire général de l'ONU pour l'Irak, Kofi Annan, sera à Bagdad, aujourd'hui ou demain, investi d'une mission délicate consistant à prendre le pouls de la classe politique irakienne d'une part, faire le point de la situation politico-sécuritaire d'autre part. Les Etats-Unis, qui hier encore marginalisaient l'ONU dans la prise de décisions sur l'Irak, sont aujourd'hui bien aise de voir les Nations unies revenir en Irak et apporter leur compétence et connaissance du terrain pour tenter de finaliser la mise en oeuvre de la transition. En fait, d'aucuns estiment la mission de M.Brahimi délicate, sinon «cruciale» au moment où l'on assiste à la montée des surenchères d'une part, d'autre part à la recrudescence de la violence sur laquelle ni l'autorité provisoire de la coalition (CPA) ni le Conseil transitoire irakien de gouvernement (CIG) ne semblent avoir de prise. Ainsi, beaucoup d'espoirs sont-ils fondés sur la mission du conseiller spécial du secrétaire général de l'ONU, lequel aura, en principe, des discussions avec les principaux acteurs du champ politique, et sans doute religieux, irakiens, en sus des représentants des forces occupantes de la coalition américano-britannique. Ainsi, le premier à se féliciter de la mission de M.Brahimi est-il le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, qui attache beaucoup d'intérêt aux résultats du séjour à Bagdad de l'émissaire onusien. M. Powell a déclaré vendredi à ce propos «Je m'attends à ce que Lakhdar (Brahimi) soit là-bas demain (hier) ou après-demain dimanche (aujourd'hui). Il se mettra tout de suite au travail», indiquant qu'au cours de ses entretiens, M Brahimi «examinera les différentes formules acceptables pour mettre sur pied le (futur) gouvernement transitoire», soulignant «Nous aurons (alors) une meilleure évaluation de cette date (de transmission de pouvoir) et du processus pour trouver un gouvernement intérimaire après que M.Brahimi aura passé quelque temps sur le terrain». Autant dire que Washington met beaucoup d'espérance dans le travail de proximité que va entreprendre l'envoyé spécial des Nations unies. Cet espoir est également partagé par le Conseil transitoire irakien de gouvernement qui voit dans l'arrivée de Lakhdar Brahimi à Bagdad une nouvelle opportunité de clarifier le débat. L'un des membres de ce Conseil, Mouaffak Al-Roubaï, qui affirme que M Brahimi sera parmi eux, au plus tard mardi, estime que cette venue du conseiller onusien est «cruciale» pour la partie irakienne, affirmant «Sa visite (de M. Brahimi) sera très importante et cruciale pour l'accord sur la formation d'un gouvernement intérimaire». Selon M.Al-Roubaï l'émissaire de M. Annan, devra «avoir des rencontres séparées avec des membres du Conseil du gouvernement transitoire et se réunir avec l'ensemble de l'organe exécutif». De fait, l'enjeu des actuelles tractations n'est rien d'autre que la mise sur pied du gouvernement provisoire irakien, celui auquel l'Autorité provisoire de la coalition remettra le pouvoir le 30 juin prochain. Du coup, on mesure l'importance que présente pour les Irakiens, et également pour les Américains, une passation de pouvoir à un gouvernement provisoire irakien qui soit le plus représentatif, acceptable et accepté par le champ politique irakien. L'enjeu est en effet énorme d'autant plus que demeure l'inconnue chiite dans un puzzle irakien qui reste à construire. De fait, les chiites peu satisfaits du contenu de la loi fondamentale provisoire, - qui devra gérer le pays durant la période transitoire qui ne devra pas excéder la fin de 2005 -, appellent l'ONU à ne pas la reconnaître, condition que pose en tout état de cause le très influent ayatollah Ali Sistani pour rencontrer le représentant de l'ONU, Lakhdar Brahimi. Lors du prêche de vendredi à Kerbala, cheikh Abdel Mehdi Al-Karbalaï, qui passe pour être le porte-parole de l'ayatollah de Najaf a averti que Ali Sistani «refuse de participer à des réunions ou à des tractations avec la mission de l'ONU, tant que les Nations unies n'auront pas indiqué clairement que l'Assemblée nationale transitoire (qui doit être élue en janvier 2005) n'est pas engagée par la loi fondamentale (provisoire, adoptée au début du mois dernier)». D'où les difficultés, sans doute inextricables, auxquelles doit faire face l'émissaire de l'ONU qui tentera de trouver un compromis acceptable par tous les acteurs politiques et religieux irakiens, alors que le pays s'enfonce un peu plus dans l'insécurité que le poids de l'occupation étrangère n'a fait qu'aggraver.