Les pensEes les plus logiques sont naturellement humaines, car elles actionnent les vérités premières contre la barbarie et la sauvagerie. Kader Benamara et Fritz Keller, coauteurs de l'ouvrage Solidarité en action, Soutien européen à la résistance algérienne, 1954-1963 (*), nous touchent, en cette sublime époque au double anniversaire, celui du «1er novembre 1954» comptant 59 ans de souvenirs sacrés et celui du «5 juillet 1962», caractérisant 51 ans d'indépendance de notre pays. Le peuple algérien se remémore jalousement, infiniment, la juste mesure de tous ceux qui lui avaient prêté main forte librement, sans rien exiger en retour, dans les temps durs de son combat de Libération nationale contre la politique du système colonial français servie par son armée nombreuse, puissante et infernale, égaillée sur tout le territoire de notre patrie, d'Est en Ouest, du Nord au Sud. Plusieurs peuples se sont spontanément dressés à nos côtés; des hommes, des femmes, des jeunes, formés à l'amour de leur patrie et, saisissant le sens profond et vertueux de notre Révolution armée, après 132 ans de spoliation, de souffrance, de mépris et d'injustice, se sont engagés, par la parole, par des actes, par toutes sortes d'initiatives, à la portée de leur générosité, avec nous jusqu'à la victoire finale: l'indépendance de l'Algérie. C'est à partir de cet état de choses que l'Humanité progresse, s'enrichit de noblesse et de respect et se tient unie, solidaire à jamais pour la paix et l'amitié entre les peuples. De la Casbah au beau Danube bleu... Sans doute, sait-on le rôle assumé parfaitement par nos amis, des camarades devenus des frères; ils sont de tous les pays épris de justice et d'amour pour l'autre. Il n'est pas de petits peuples, il n'est que de grands peuples qui luttent pour l'honneur de l'Humanité. De même, il n'est que de grands esprits, par l'esprit certes, mais bien évidemment par le coeur, par le pouvoir d'orienter sa volonté saine et solidaire, par le physique, par l'intelligence, en somme par la conscience que l'on cultive et le respect que l'on a de soi. Tout un réseau de solidarité clandestine s'est tissé, à travers le monde libre, pour soutenir l'héroïque résistance algérienne conduite par le Front de Libération Nationale (FLN) et l'Armée de Libération Nationale (ALN). L'efficacité de ce réseau a été coordonnée et orientée tout spécialement par la Fédération de France, établie en pleine Europe, dont les militants ont réussi à s'installer dans plusieurs pays et à faire gagner à la cause algérienne des hommes et des femmes de haute conscience politique mondialiste avant la lettre. De très nombreux événements spectaculaires de la résistance à l'étranger, qu'ils aient été politiques, culturels, économiques ou militaires, ont été l'oeuvre des militants nationalistes algériens auxquels se sont associés courageusement directement ou indirectement des citoyens et des citoyennes des pays d'accueil et de refuge, notamment ceux d'Europe, proches ou loin des frontières de la France de l'époque coloniale. Et dois-je encore insister ici sur la solidarité multiforme du peuple d'Autriche avec la résistance du peuple d'Algérie? Tous les esprits libres le savent. Cependant, le livre Solidarité en action fait un rappel juste et puissant de cette solidarité historique tout en éveillant les jeunes consciences d'aujourd'hui à l'une des plus belles valeurs humaines appelée «solidarité», - un devoir de l'homme pour l'homme, et non pas ce navrant apophtegme: «L'Homme est un loup pour l'Homme» Homo homini lupus est (Plaute, in La Comédie des Ânes, vers 195 av. J-C.). De nombreux ouvrages, dont j'ai déjà présenté quelques-uns dans «Le Temps de lire», ont été publiés sur le thème du rôle des Européens dans la lutte de Libération nationale. Tous décrivent avec précision leur aide aux Algériens vivant en France et qui, à l'Appel de la Révolution du 1er Novembre 1954, se sont montrés prêts à combattre, en quelque pays qu'ils se trouvent, le système colonial français et son armée. Parmi ces ouvrages écrits pour témoigner justement de l'oeuvre de solidarité exemplaire des partisans étrangers, je viens de lire Solidarité en Action, Soutien européen à la résistance algérienne 1954-1963, coécrit par Kader Benamara et Fritz Keller et abondamment illustré: des photos rares (par exemple de Reimar Holzinger et celle de Mouloud Kacem en compagnie de Karl Blecha, un journaliste autrichien), des fac-similés et quelques titres d'ouvrages «Pour en savoir plus...»). Le premier est connu, d'abord parce qu'il est enfant de la Casbah d'Alger, auteur d'un livre intitulé Eclats de soleil et d'amertume, paru en 2012 chez Barkat Editions, et de plusieurs ouvrages relevant de sa double formation d'économiste et d'anthropologue acquise grâce à des études à Alger, aux Etats-Unis d'Amérique et à une carrière de fonctionnaire international. Il vit en famille à Vienne, sa ville d'adoption. Capitale de l'Autiche, Vienne est traversée par l'éternel beau Danube bleu et danse, à chaque Nouvel An, sous l'effet magique de la musique de la dynastie des Strauss jouée par son prestigieux Orchestre philarmonique dont on attend la sublime «Marche de Radetzky» pour battre des mains en cadence. Le second, Fritz Keller est autrichien et docteur en philosophie de l'Institut d'histoire sociale d'Amsterdam. Sa thèse de doctorat a porté sur la «Solidarité de la Gauche autrichienne avec le mouvement de résistance algérien». Quant à l'objet de leur livre, il tente avec succès de présenter l'essentiel de l'organisation et des liens de l'ensemble des réseaux européens qui ont participé sous diverses formes à la lutte des résistants algériens contre le système colonial français. D'emblée, les coauteurs se proposent de répondre à des questions très attendues: «Qu'en étaient-ils de ces réseaux et qui étaient ces individus qui en faisaient partie? [...] Le sujet est bien vaste et il reste encore beaucoup à faire et à dire sur ces Européens infatigables qui dénoncèrent le système colonial et s'opposèrent à la guerre menée contre le peuple algérien.» Reimar Holzinger, l'Autrichien Kader Benamara nous confie comment est née l'idée du livre qu'il publie avec Fritz Keller: «J'ai eu l'occasion à une date relativement récente de découvrir un de ces combattants ́ ́étrangers ́ ́ qui se sont rangés du côté de la justice et qui se sont mis au service de notre patrie, mettant ainsi en pratique leurs convictions et leurs idéaux de fraternité et de solidarité.» Situant dans son contexte inattendu, c'est-à-dire exceptionnel, au cours d'un recueillement plein d'émotion devant un cercueil, Kader Benamara écrit: «Le nom de cet homme, qui m'était jusque-là inconnu, est Reimar Holzinger. Un Autrichien né en décembre 1921, à Althofen, en Carinthie, dans le sud de l'Autriche. [...] Je jette un regard sur le cercueil placé devant les rangées de bancs où sont assis la famille et les amis du disparu. Qu'elle n'est pas ma surprise de constater qu'il est couvert du drapeau national algérien. Tout perdu dans mon interrogation, j'entends un des orateurs nous informer que le défunt, lui-même avait demandé dans son dernier testament qu'il en soit ainsi. Ce geste démontrait à quel point la cause algérienne avait été chère à Holzinger. Cet homme avait été si discret que certains membres de sa famille découvraient ce jour-là, pour la première fois, les activités clandestines menées il y a bien longtemps par cet époux et père qui reposait là maintenant devant eux.» Ensuite, dans les pages suivantes de son livre, Kader Benamara développe un récit poignant, et peut-être plutôt exaltant, à propos d'un homme - Reimar Holzinger, l'Autrichien - pour qui «la cause algérienne (...) tenait à coeur et il avait décidé de lui apporter tout son appui quand la révolte de novembre 1954 éclata et que les Algériens entreprirent de recouvrer leur liberté. Cette solidarité avec l'Algérie s'est exprimée de multiples manières. Ainsi, Holzinger a été très actif dans un réseau dont l'objectif était d'encourager les légionnaires, présents en Algérie et originaires d'Allemagne, d'Autriche, de Hongrie et d'autres pays, à déserter et de les rapatrier dans leurs pays respectifs. [...] Un nombre considérable de légionnaires - estimé à 3400 - déserteront en Algérie». Nous remarquerons, à la fin de l'ouvrage, que les textes des deux auteurs s'enchaînent, article après article et paragraphe après paragraphe, se complétant harmonieusement et se terminant avec la même finesse d'expression et de sentiment sur tous les thèmes abordés. Les explications claires des tenants et des aboutissants des réseaux et des mouvements de leurs militants favorables à la résistance algérienne, procurent à nous lecteurs algériens une sorte de joie ornée d'honneur d'avoir eu à compter aux côtés de nos moudjâhidîne tant de moudjâhidîne venus d'autres pays comme l'Autriche et dont beaucoup restent encore anonymes chez nous. Aussi, à l'instar des deux auteurs Benamara et Keller, faut-il noter et souligner que: «Vue sous l'angle d'une rétrospective historique, cette première coopération, à l'échelle européenne entre un mouvement de résistance tiers-mondiste à majorité musulmane, et des soutiens issus de la tradition humaniste, constitue un jalon très important qui a été largement sous-estimé jusqu'à nos jours.» Quoi qu'il en soit, à tous les héros anonymes qui, libres et originaires de nombreux pays de la Planète Terre, ont placé leur conscience au coeur de la conscience nationale algérienne, le peuple algérien ému exprime son éternelle reconnaissance. (*) Solidarité en action de Kader Benamara et Fritz Keller, Editions Barkat, Alger, 2013, 150 pages.