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Une illusion d'optique
LE MIRAGE DU PRIX DU BARIL À 40 DOLLARS
Publié dans L'Expression le 13 - 05 - 2004

Pour le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, la flambée des prix risque de faire remonter l'inflation dans la zone euro.
Le prix du baril de pétrole a dépassé le seuil des 40 dollars vendredi dernier en début de séance à New York, un nouveau sommet historique en près de 14 ans, dopé par les craintes d'attentats et les préoccupations sur le manque d'essence aux Etats-Unis. «Tant que la menace terroriste continue, les prix vont rester très très fermes», a prédit Tony Machacek, opérateur à la maison de courtage Prudential Bach.
Une importante «prime de risque» s'est en effet constituée sur le marché depuis les attentats déjoués contre des terminaux pétroliers irakiens le 24 avril et l'attaque, samedi dernier, d'une usine pétrochimique saoudienne à Yanbu. En outre, «nous ne sommes qu'à quelques semaines du Memorial Day, fin mai, considéré comme le coup d'envoi symbolique de la traditionnelle saison des départs en vacances en voiture aux Etats-Unis», rappelle l'opérateur de Prudential Bache. Bien qu'ils aient progressé début mai, les stocks d'essence américains restent à un niveau inquiétant face à une demande soutenue. De nombreux responsables craignent un impact négatif des prix du pétrole sur la croissance. Ainsi, le directeur exécutif de l'Agence internationale de l'Energie, Claude Mandil, a estimé possible jeudi «un nouveau choc pétrolier», soit des prix élevés au point d'hypothéquer la reprise économique mondiale. Encore une fois, l'Opep est montrée du doigt quand les forces du marché ne sont pas en faveur des volontés des pays industrialisés. Les dénégations, voire les protestations, des ministres de l'Opep n'y feront rien. Par contre, il faut manipuler ces mêmes forces du marché en relevant les niveaux de production des membres de l'Opep. Où est alors le libéralisme? En 1998 quand le prix du baril était au plus bas (moins de 10 dollars), les pays de l'Opep avaient appelé à un dialogue avec les producteurs. On l'aura compris, la réponse du secrétariat d'Etat à l'énergie fut sans appel: «Il faut laisser faire les forces du marché»... Pour le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, la flambée des prix risque de faire remonter l'inflation dans la zone euro.Enfin, l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) s'est voulue rassurante en évoquant jeudi 6 mai la possibilité d'accroître sa production. Les dirigeants des pays industrialisés cherchent un contre-feu. On monte de façon exagérée la question du «choc pétrolier» en cherchant un alibi, tandis que revient le thème des «économies d'énergie». Reste que le prix du pétrole n'est pas la cause essentielle; il n'agit que comme révélateur. Les dirigeants des pays industrialisés s'en saisissent pour justifier le freinage des dépenses sociales, l'austérité salariale. Mais les grands groupes, qui ont tant profité des bas prix pétroliers, ne devraient-ils pas être sollicités aussi? Cela étant, l'allégement de la fiscalité pétrolière, comme tout allégement d'impôts aujourd'hui, pose la nécessité d'engager une réforme d'ensemble de la fiscalité.
Euro contre dollar
Se pose, par exemple, fortement le problème de la monnaie dans laquelle sont effectuées les transactions de pétrole et de matières premières. Il n'est pas écrit une fois pour toutes que ce doit être le dollar si volatil sur les marchés et si profitable aux formidables gâchis et dominations des Etats-Unis. Il y a, en effet, un besoin mutuel majeur de coopérer pour le développement des pays producteurs de ressources naturelles.
«La question qui vient à l'esprit est de savoir si l'euro s'imposera sur les marchés financiers mondiaux, défiant ainsi la suprématie du dollar. [...]Un des arguments les plus convaincants pour le maintien de la fixation du prix et des paiements en dollars a plus été le fait que les Etats-Unis sont un gros importateur qu'un gros producteur. Le basculement commence fin 2000, lorsque l'Irak décidait à l'époque, de libeller en euros et non plus en dollars ses transactions pétrolières et commerciales. L'initiative a été suivie par la Corée du Nord et l'Iran. En mars 2001, l'un des moteurs de l'OPEP, le Venezuela, fait une intervention remarquée sur l'usage de l'euro pour la fixation du prix du pétrole. En 2002, la Chine et la Russie commencent à convertir leurs avoirs financiers du dollar vers l'euro. Au-delà de la guerre contre l'Irak se déroule une guerre financière mondiale, au centre de laquelle se trouve l'Union européenne. La Chine et la Russie ont déjà commencé à convertir leurs avoirs financiers du dollar vers l'euro avec pour objectif, à terme, le partage à égalité entre les deux monnaies. Si les principaux pays exportateurs de pétrole et de gaz décidaient de procéder à tout ou partie de leurs ventes en euros, les pays consommateurs seraient amenés à vendre une partie des dollars de leurs réserves pour acheter des euros. Le besoin mondial de billets verts diminuant, le cours du dollar - reposant en grande partie sur son hégémonie - chuterait, privant le pays de son premier bien d'exportation.
Aujourd'hui, selon la revue Pétrole et Gaz arabes, l'automobiliste dans l'Union européenne paie près de 195 dollars pour un baril de super. Sur ce total, 30 dollars environ vont aux pays exportateurs de pétrole, et 136 dollars - soit 4,5 fois plus - vont au fisc des pays consommateurs. Le reste (29 dollars) va notamment aux compagnies pétrolières. En fait, la fiscalité des carburants a littéralement explosé en Europe depuis l'effondrement du marché pétrolier fin 1985 : à un point tel qu'en 2003, en France, elle a rapporté à l'Etat le double des revenus pétroliers de l'Iran!
Aujourd'hui, après de longues années de pillage à bas prix des pays producteurs de pétrole, qui ont généré du profit facile pour les compagnies pétrolières et d'autres grands groupes, les prix du pétrole remontent et, avec eux, les prix du carburant à la pompe. Les dirigeants des pays industrialisés font planer le doute à travers des médias malhonnêtes sur la responsabilité des pays producteurs dans l'augmentation des prix de l'essence. Il est juste que le prix du pétrole brut remonte. En 1984, le baril coûtait 28 dollars. Il était tombé à 10 dollars début 1999! Mais il ne faut pas que cette remontée nécessaire se traduise en prélèvements accrus sur les automobilistes. Dans ce cas, il n'y a pas trente-six solutions : il faut que les Etats baissent leurs fiscalités dans la mesure où celles-ci amplifient les dominations du marché. Un pays comme l'Algérie vend son pétrole en dollars, mais achète principalement en euros. De ce fait, il est perdant des deux côtés car le dollar est faible et l'euro est fort (plus de 25% par rapport au dollar). Même la dette algérienne est régulièrement réévaluée du fait de la progression de l'euro.
Pour en revenir à cette valeur élevée en dollars courants, il est nécessaire d'avoir à l'esprit qu'il y a une grande différence entre le dollar courant et le dollar constant; à titre d'exemple, comme l'écrit souvent le docteur Nicolas Sarkis, il faut voir réellement quel est le pouvoir d'achat des 40 dollars de 2004. On s'apercevra alors qu'ils ne valent peut-être pas les 12 dollars de 1974. En clair, les produits manufacturés continuent de croître et tiennent compte de l'inflation tandis que les matières premières des PVD dont le cours est fixé à Rotterdam, New York ou Londres continuent à voir leur cours faire du yo-yo au gré de la volonté des pays industrialisés.
Le nord et le sud
Pendant ce temps, la misère s'installe dans le monde. L'APD est devenue depuis en plus mince et à titre d'exemple, la rallonge budgétaire qu'a consentie le Congrès à l'armée américaine pour amener la guerre et la désolation en Irak a été de 85 milliards de dollars, soit une fois et demie l'aide au développement pour vaincre la misère dans la planète. Nul doute en définitive, que les pays de l'Opep culpabilisés par les pays industrialisés pour cette «flambée», vont à l'initiative de l'Arabie saoudite relever le plafond de production, pour casser cette hausse, au plus tard à la réunion des pays de l'Opep à Beyrouth, le 3 juin.
Cela dit, une nouvelle crise de l'énergie pourrait être datée si des mesures drastiques n'étaient pas prises par les grands acteurs de l'énergie: les pays industrialisés, les pays de l'Opep, les multinationales. Naturellement la consommation d'énergie doit être moralisée. On ne comprend en fait pas, pourquoi l'Américain moyen consomme 8 tonnes de pétrole par an tandis que l'Européen ou le Japonais ne sont qu'à 4 tonnes/an. Peut-on dire que l'Américain est deux fois plus heureux que l'Européen? A côté de cela, l'Africain moyen consomme 250 kg de pétrole par an, moins que l'homme préhistorique et 32 fois moins que l'Américain? Est-ce cela le partage pour un monde meilleur? A coup sûr, le développement durable qui est le leitmotiv des pays industrialisés est en fait, un sous-développement durable pour les PVD. Une Journée sur l'énergie qui se tiendra à l'Ecole Polytechnique le 19 mai tentera de faire le point sur l'état des lieux de l'énergie et les scénarios à mettre en place pour conjurer une nouvelle crise de l'énergie.


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