Un attentat à la voiture piégée contre le siège du gouvernement, un otage bulgare décapité, cela va de mal en pis en Irak. Quoi que puisse dire le Premier ministre intérimaire irakien, Iyad Allaoui, la situation en Irak tourne de plus en plus à la Bérézina avec une violence toujours plus sanglante qui ne se dément pas, et la multiplication des kidnappings alors que le rançonnement des Irakiens, par l'enlèvement notamment, est devenu monnaie courante. Hier dans la matinée, vers 9h 30 locales (5h 30 GMT), une forte explosion a ébranlé Bagdad, ayant pour épicentre l'entrée de la «zone verte», ancien siège de l'administrateur américain, Paul Bremer, occupée présentement par les services du gouvernement provisoire et les ambassades des Etats-Unis et de Grande-Bretagne. La «zone verte», la région la plus sécurisée d'Irak, ayant abrité l'ancienne administration de la coalition, a néanmoins été à plusieurs reprises l'objet d'attentats plus ou moins sanglants. Celui d'hier, selon un premier bilan, aurait fait une dizaine de morts et une quarantaine de blessés. Depuis la prise du pouvoir par le gouvernement provisoire, le 28 juin dernier, c'est le premier attentat meurtrier commis dans la capitale irakienne. Iyad Allaoui, qui était sur place, a estimé que c'était là une violence contre le peuple irakien indiquant : «C'est une agression contre le peuple irakien, nous allons traîner ces criminels devant la justice. Nous pensons que c'est une réponse à de récentes arrestations, au cours des deux derniers jours». M.Allaoui faisait allusion aux quelque 525 personnes arrêtées lundi et mardi lors de grandes rafles des forces de police irakiennes. Toutefois cet attentat, qui est loin d'être isolé, confirme que l'Irak se trouve dans une situation bloquée, alors que le gouvernement provisoire donne l'impression d'être incapable d'en maîtriser les effets. L'attentat à la voiture piégée, conduite par un kamikaze, selon des témoignages concordants, s'ajoute à la situation induite par la mort, par décapitation, de l'otage bulgare tué mardi par ses ravisseurs se réclamant du groupe de l'islamiste jordanien Abou Moussab Al Zarqaoui qui a ainsi mis sa menace à exécution. L'affaire des otages étrangers prend ainsi une nouvelle tournure devenant une arme de dissuasion aux mains des ravisseurs qui ont obtenu, contre la libération de l'otage philippin, le départ du contingent des Philippines. En cédant au chantage, Manille a adressé «un mauvais message», commente sobrement le porte-parole du département d'Etat américain. Ainsi, les 51 soldats philippins stationnés en Irak ont-ils commencé à quitter ce pays hier. La Bulgarie - dont l'un de ses citoyens a été exécuté mardi par ses ravisseurs - qui a un contingent de 470 soldats en Irak, a réitéré que ce drame ne changera pas la politique de Sofia qui maintiendra ses troupes au sein de la force multinationale en Irak. En fait, nombre de pays, membres des forces internationales placées sous l'égide de la coalition américano-britannique, et pour peu que la situation sécuritaire ne s'améliore pas, auront, à terme, à faire des choix difficiles entre rester et exposer la vie de leurs nationaux, nombreux à travailler à titre privé dans ce pays - devenu un eldorado pour tous les nouveaux chercheurs d'or (noir) - ou partir, confortant ainsi les tenants de la violence et de la terreur. En réalité, le gouvernement provisoire irakien, qui a fait de la lutte contre la violence sa priorité, semble totalement démuni des moyens d'y faire face, et surtout il semble s'y prendre très mal avec la prise à son compte des méthodes honnies de l'ancien régime dictatorial. Ce qui n'augure pas de lendemains sereins pour le peuple irakien. Au moment même où les Irakiens, dans leur majorité, refusent la présence des forces étrangères en Irak, assimilées par tous à des forces d'occupation, le ministre intérimaire des Affaires étrangères fait le siège de l'Otan à Bruxelles dans la tentative d'impliquer davantage l'Alliance atlantique dans le futur de l'Irak. Ainsi, l'impression qui prévaut est que le gouvernement intérimaire irakien semble plus se soucier de sa survie politique, par l'appel au renforcement des forces étrangères déjà nombreuses en Irak, que réellement déterminé à travailler avec toutes les forces irakiennes pour trouver, autant que faire se peut, une solution aux problèmes de la violence et de la mise en place des institutions dont le pays est encore dépourvu. De fait, le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, a mis en garde lundi, contre le pourrissement de la situation sécuritaire en Irak laquelle pourrait contraindre au report des élections, c'est-à-dire au retour à un pouvoir élu et légitime en Irak. D'ailleurs, M.Annan observait que «l'Irak ne pourrait pas connaître un retour prochain à la normale en raison de problèmes de sécurité intérieure». En effet, outre la guérilla et les actions terroristes initiées par le groupe Al Zarqaoui, l'Irak connaît une montée en flèche du grand banditisme et de la criminalité ordinaire par la recrudescence des enlèvements d'Irakiens. Un marché qui semble juteux. Ainsi, outre les otages à tonalité politique, existent désormais des kidnappings criminels qui rançonnent la population. De fait, l'Irak, où la situation est passablement confuse, se trouve désormais au bord du chaos. Totalement déstabilisé tant par les coups de boutoir de la guérilla que par l'apparition de la grande criminalité, ce pays fait également face à un nouveau phénomène, celui de la mainmise des étrangers sur la reconstruction du pays, devenue leur domaine gardé, des Américains notamment, qui se sont octroyés tous les secteurs d'activité économique, énergétique et industriel, y compris sécuritaire pris en charge par des organes spécialisés américains, excluant ainsi, de fait, les Irakiens. Cette exclusion des Irakiens de la remise en marche de leur pays, participe d'une certaine manière à l'entretien, voire à la recrudescence de la violence.