À la vitesse où vont les technologies de l'information et de la communication, notre Planète aujourd'hui n'est plus qu'un immense village dont les vastes quartiers sont habités par des tribus différentes et vindicatives de l'authenticité nationale de leur personnalité. Et ainsi, tout ce que l'on appelle «pays», au sens large et humain, n'a de considération dans la complexité heureuse ou moins heureuse du vivre ensemble que si tout ce que l'on appelle «peuple» n'a de personnalité authentique que celle qu'il se forme et perfectionne sans cesse par sa culture, son histoire, sa civilisation, ses traditions et son amour constant pour l'Autre. Justement, le titre de cet essai À quoi sert le livre? (*), préfacé par Ahmed Fattani - et auquel ont contribué des écrivains, des chercheurs universitaires, des enseignants et des inspecteurs de l'Education nationale, des traducteurs, des éditeurs, des libraires, des bibliothéconomistes, des critiques littéraires, des journalistes, des lecteurs,... -, m'inspire ici, indépendamment de son contenu, une longue réflexion que je m'efforce à réduire. Cette même réflexion, que j'ai partagée, il y a plus d'un demi-siècle avec des membres de l'Union des Ecrivains Algériens (fondée le 28 octobre 1963, le regretté, le frère aîné et l'ami, Mouloud Mammeri en a été le président élu) et dont je discute encore aujourd'hui la nécessité avec quelques spécialistes en sciences de l'information (TIC) et du livre algérien, des auteurs, des éditeurs, des libraires,... cette réflexion, la voici, si j'ose le dire, à bâtons rompus ou même dans le désordre. Au reste, par parenthèse, il ne serait pas inintéressant, et j'y songe sérieusement, de donner, à l'appui de contributions nouvelles, un complément «d'enquête», une sorte de suite à «À quoi sert le livre?» L'intitulé de ce travail serait «Pour le Livre algérien». La Connaissance est intelligence pure et vérité À l'évidence des nombreuses et diverses publications des auteurs algériens, ailleurs et chez nous, on constate que des livres existent; ils occupent les vitrines et les étagères des librairies et encombrent peut-être nos bibliothèques. Mais rituellement des questions se posent: «Les livres algériens sont-ils fréquemment consultés?... Sont-ils lus?... Trouvent-ils preneurs?» Si oui, pourquoi? Sinon, pourquoi? Dans le domaine de la vie spirituelle qui ne regarde que la personne humaine en son choix de sa vie intime, il y a à considérer, entre autres douces passions, celle des «Gens du Livre». Par contre, Le livre du Savoir universel est la caractéristique, et même la spécificité, de l'ensemble des riches pensées humaines, à la fois éducatives et instructives, consignées comme autant de splendeurs multiples de la Connaissance. Tous les livres ne sont pas les mêmes, ceux qui favorisent la réflexion sont, pensent certains, des pierres à bâtir la Maison de nos rêves, ceux qui ne donnent aucune raison de les lire, conviennent d'autres, sont des pierres tombales sur lesquelles on peut graver avec émotion, estime ou ennui le nom du disparu, sans l'adresse de sa dernière demeure. Tous les livres qui pensent et qui font penser sont, plus que des vertus contre le vice de toute sorte, des lumières pour les aveugles de la raison et du coeur. C'est là que l'on juge le devoir majeur accompli, la responsabilité engagée à servir la Culture nationale, à la fois de l'auteur, de l'éditeur, du libraire, du critique littéraire, s'il en est. C'est, en effet, par le livre que l'on apprend, car il nous donne l'image de la connaissance, souvent celle des autres, toujours celle de nous-mêmes. Toujours, on se découvre par le livre et l'on découvre l'Autre. Le livre témoigne de la qualité en tous sens de celui qui l'écrit, de celui qui le lit, de celui qui le transmet. Sans doute pourrait-on discuter à l'infini et répondre différemment à la question «À quoi sert le livre?». Mais tout simplement, le livre lève le voile sur tout ce qui «est» et sur tout ce qui «n'est pas». La connaissance d'un peuple et de son pays, passe par la «lecture» du livre dont, évidemment, l'auteur est le peuple, car enfin c'est le peuple qui «pense» son pays. Oui, on peut sourire de l'impertinence de la blague du potache, un peu philosophe sur les bords, demandant à son professeur «Qui fait l'oeuf et qui fait la poule?». Ne tombons pas dans une hérésie de pensée. Plus que l'or pur qui séduit l'oeil et l'âme, plus que l'eau de roche qui entretient la vie et le corps, la Connaissance est infiniment intelligence pure, et vérité libre et indépendante de toutes les volontés. Elle n'a pas non plus de parti pris; de cette réalité, elle saisit une existence que ses vis-à-vis saisissent aussi. Les échanges, les études et les analyses sont alors des exercices favorables à une libre et mutuelle connaissance. Le livre du savoir-être algérien Et donc le livre algérien doit porter la Connaissance algérienne, ainsi que font, chez eux, tous les pays dont nous admirons la culture. Par quoi l'Algérie est-elle connue et reconnue? - Par sa situation géographique sur le planisphère et par les richesses de son sous-sol,... Par quoi le peuple algérien est-il connu? - Par son héroïsme à travers les siècles. Et encore? - Pour sa générosité, dit-on, pour son hospitalité,... Et par quoi encore? - Par tant de choses que chacun sait, son intelligence, son esprit combatif, sa dignité,... Mais du Livre Algérien, conçu par les Algériens, pour les Algériens, où l'on éduque et l'on instruit, où l'on forme et l'on informe la jeune génération et les générations prochaines, comment va-t-il? Et du Livre du savoir-être algérien et ouvert au monde du progrès et à l'humanité diverse et solidaire, et du savoir faire connaître sa société, faire connaître son histoire aussi, qu'en est-il? Quel livre algérien pourrait-on acquérir et lire avec passion avant de penser à chanter et à danser... tout l'été? Il est dans la génération actuelle ceux qui renient ceux qui sont de «la vieille école», «les anciens», «les périmés», «les obsolètes». C'est bien la jeunesse vive, vivace et fière où qu'elle se trouve. Il faut reconnaître que les jeunes nous apprennent à rêver - Ceux de «la vieille école», «les anciens», «les périmés», «les obsolètes» n'avaient pas eu ni la chance ni le temps de rêver, sauf de s'évertuer à survivre pour résister à toutes les formes de la barbarie coloniale. Et à l'école de la colonisation française, aucun de nos «anciens» ni de ceux de «la vieille école» n'a été bluffé par le principe monstrueux et fallacieux nous obligeant à faire l'éloge de «Nos ancêtres les Gaulois», - auxquels ni «les anciens» dans le passé n'avaient fait de procès ni les Algériens dans le présent ne songent à les dénigrer. Alors oui, le Livre Algérien est toujours à écrire, à encourager, à publier, surtout à promouvoir sans cesse, sans exclusive, sans opposer les écrivains - certains ne se parlent plus guère -, sans copinage dans les médias, et ceux-ci méritent d'être soutenus par ce qui est possible et évident pour leur action culturelle. Il devient de plus en plus important d'introduire systématiquement le livre algérien, d'autant qu'il y est rare, dans les bibliothèques où qu'elles se situent sur le territoire national et dans les institutions d'enseignement et de formation. Hélas! des quantités d'ouvrages, dit-on, gisent depuis des années dans des sous-sols et dont on ne cesse d'espérer la sortie vers la lumière des vitrines et des salles de lecture. Hélas! aussi, nos auteurs naissent et disparaissent telles des bluettes. Pourquoi? Tout le monde en parle, et à la manière de ce propos populaire des Hautes Plaines algériennes évoquant une certaine année de misère à l'époque coloniale: «Ka lâme ellî zagâw wa sectoû, Il en est comme en cette année où l'on a fortement crié et l'on s'est tu, ensuite.» À quoi sert le livre? À cette grande question, voici, au hasard, des extraits des pensées exprimées, en guise de réponses, par des contributeurs («de la vieille école», comme «ils» disent, et des écrivains de la nouvelle génération aussi, sans les nommer) que le lecteur peut retrouver avec celles d'autres auteurs, dans l'essai cité: «- Mon Dieu que de nostalgie, de regret pour ce qui aurait pu être et n'a pas été, que de désillusion et que d'acharnement à conserver l'espoir!» «- Merci pour cette passionnante série de réflexions.» «- Ce fut un véritable déclic qui a impulsé un éveil à la lecture.» «- La lecture [...] est d'abord un plaisir.» «- C'est grâce au livre que nous sommes des êtres humains.» «- Le livre est [...] le symbole de la fertilité et de la densité culturelles d'un pays.» «- Les auteurs nous engagent à réfléchir avec eux sur les problèmes et les passions de l'humain.» «- Le livre est complexe parce qu'il est l'oeuvre d'un être complexe.» «- Lire symbolise à merveille l'acte d'exister.» «- Le livre est notre meilleur ami, mieux que le fusil, le cheval et le chien réunis.» «- Le livre est [...] la lanterne qui nous éclaire à travers les chemins tortueux de l'existence.» «- Le livre est [...] un musée de notre histoire.» «- Lire, c'est bien, mais écrire, c'est mieux.» «- Si les pouvoirs publics attribuaient un local par commune, le réseau des libraires se verra enrichi d'au-moins 1500 libraires.» «- Un retour de conscience générale appelle à cette noble démarche: sauver, par le livre instituteur, la pensée morale, civique et culturelle qui fait l'avenir du jeune Algérien.» «- Un enfant qui s'entraîne à lire [...] c'est fascinant!» «- C'est la personnalité de l'auteur qui donne au style sa force de percussion.» «- La lecture du premier livre est une aventure. Une découverte d'une autre Amérique.» Retrouvez d'autres pensées et des articles des contributeurs dans l'ouvrage. Terminons par cette observation générale: LA NATURE algérienne croit fort à la profusion de ses illusions et, pourtant, elle refuse ce que l'esprit appelle l'inaction, le poète «le sommeil, aventure sinistre» et l'homme d'honneur «l'incertitude d'être soi». (*) À quoi sert le livre? de Kaddour M'Hamsadji, avec une préface d'Ahmed Fattani, 34 contributeurs et indirectement d'autres grands auteurs. ENAG Editions, Alger, 2013, 214 pages.