L'affiche du film Remettre en cause les textes sacrés et réhabiliter la figure de Judas, supposé ennemi de Jésus, une belle gageure filmique même si elle apparaît austère au dehors... Rabah Ameur Zaimeche est un être libre. Libre d'esprit, un tantinet provocateur, mi-rêveur, mi-idéaliste, qui aime les anticonformistes. Plutôt un inconditionnel chasseur de la vérité. Après Les chants de Manderin, le voilà qui récidive avec un nouveau long métrage qui se passe autrement qu'au XIXe siècle avec un sujet résolument tourné vers une seule et même philosophie qui dicte la plupart de ses films, même si avec des thématiques différentes: il s'agit de cette dualité du sacré et de l'intelligible pour faire rejaillir la lumière qui nous guidera vers le savoir, la connaissance. Ainsi, des textes sacrés que ce soit dans les chants ou poèmes écrits par un contrebandier, considéré comme un hors-la-loi chez lui, rebelle contre la République à la voix d' un Jésus de Nazareth, qualifié comme l'ennemi du gouvernement. romain il n'y a qu'un pas, celui de l'opposition aux idées toutes établies, préconçues. Il y a la liberté de dire et de penser. Dans L'Histoire de Judas, film de fiction sorti cette année en France, cette quête de la vérité semble être au centre du tragique biblique dont les récits n'ont pas encore été authentifiés. Même si la plupart disent la même chose. Il est en effet de notoriété publique que ce soit Judas qui a poussé au bûcher le Christ, autrement dit celui qui trahira l'élu de Nazareth après avoir été son fidèle compagnon. «Depuis, Judas est celui qui a catalysé la haine des juifs... les paroles s'envolent. Elles sont peut-être loin. Est-ce qu'elles demeurent dans nos têtes intactes? On peut les trahir, les travestir. Faut-il les inscrire?» se demandera le réalisateur lors du débat qui a suivi la projection de son film dimanche dernier au théâtre régional de Béjaïa au lendemain de l'ouverture des Rencontres cinématographiques. Loin de s'approprier cette histoire complètement et nous la restituer telle quelle, Raber Ameur Zaimeche choisit ici de nous donner à voir plutôt un apocryphe, sa version procède de choses sans doute édulcorées de ce qu'était la relation entre Judas et Jésus magnifiquement interprété par le réalisateur Nabil Jedouani, repéré d'ailleurs par Zaïmeche ici même au RCB il y a quelques années. Fait-il voir dans cette version qui réhabilite la figure de Judas une façon qui pousserait à l'apaisement de la passion qui entoure son mythe d'homme monstre? Jésus prend un risque quand il s'attaque aux marchands du temple. Il devient la cible des grands prêtres et de l'autorité romaine...mais sa parole des plus sages qui prône la liberté pour chaque être vivant est celle qui reste et résonne même dans le film. Judas, son disciple, le suit et le soutient. Les personnages dans le film ne parlent pas beaucoup, sinon d'une façon des plus surprenantes, plutôt contemporaine. L'on donne surtout pour preuves les accents qui sonnent dans nos oreilles. Certaines images rappellent, certes, certains tableaux de la Renaissance. Le rythme du film coule doucement comme un long fleuve tranquille traduisant par la même occasion le calme qui précède la tragique tempête. Jésus parle peu, mais ses mots sont réfléchis, posés, poétisés et leur portée fait pleurer même son pire ennemi. «Que celui qui n'a pas péché me jette la première pierre» dira-t-il à ses hommes qui lui ramènent une fille accusée d'adultère. La femme dans ce film est montrée comme un être aimant. Comme dans cette scène très sensuelle où une femme enduit lentement de parfum les cheveux de Jésus. Ce qui frappe en effet, c'est le silence qui amplifie l'ambiance monacale qui règne dans ces larges espaces, bondés parfois d'enfants et d'oiseaux. Des contrées bibliques filmées d'ailleurs dans la région de Biskra en Algérie. L'étendue de certains plans épouse parfaitement la résonance du vent qui murmure des choses à l'oreille du spectateur et le berce par moment. La mise en scène de Zaïmeche est radicalement dépouillée, il ne reste que l'essentiel des gestes, balayés par la force des regards et l'enchaînement des situations. Déroutant l'est assurément ce film qui semble ne ressembler à aucun de ceux réalisés jusque-là mais déstabilise tout de même par sa perception non moins classique, mais minimaliste du filmage. Zaïmeche ne fait pas dans la facilité bien que celle-ci en apparaît au premier abord. Mais si pour certains le sujet peut sembler libérateur dans le sens où il incite à décrisper le statut victimaire de Jésus et celui surtout diabolique de Judas, il en donne une nouvelle interprétation qui blanchit ce dernier en le lavant de tout soupçon. Une manière qui pourrait faire croire à certains du moins, sa compassion envers cet ennemi d'aujourd'hui, le juif de Jérusalem, d'autant plus facilement qu'une partie des spectateurs ne l'a vu qu'ainsi. Il reste que l'histoire nous enseigne qu'on ne peut insulter notre cousin puisque Dieu nous ordonne de reconnaître tous les prophètes. Ce que l'on retient paradoxalement de toute cette violence sourde qui surnage en filigrane dans notre inconscient est la douceur des visages et la tendresse par laquelle le vent parvient à caresser la fibre sensible de notre âme jusqu'à percer les membranes de nos coeurs. L'amour est un don dont on ne guérit jamais, mais seul l'amour pur parvient à se réincarner, et régner au-delà de la terre, mais dans les mondes célestes. Rabah Ameur Zaïmeche signe, tout compte fait, une oeuvre fine et sensible malgré son côté austère, de l'extérieur, à l'image de sa propre carapace à lui, finalement...Car, il suffit de l'entendre rire pour comprendre...