Le Premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, quoique donné vainqueur par les sondages, reste au pied du mur Les Espagnols ont commencé à voter hier pour des élections législatives représentant un grand saut vers l'inconnu, avec l'érosion de la droite au pouvoir et l'arrivée des nouveaux partis réclamant davantage de démocratie. Ce scrutin clôture une année de changement électoral en Europe du Sud, avec la victoire de la gauche radicale d'Alexis Tsipras en Grèce au début de l'année, et au Portugal l'arrivée au pouvoir en octobre d'une coalition de partis de gauche, renversant la droite, pourtant première en nombre de voix, un scénario craint par le chef du gouvernement conservateur sortant, Mariano Rajoy. «On a déjà gagné», aiment dire les partisans de Podemos (gauche radicale) et de Ciudadanos (libéral). Tous en sont sûrs. Au lendemain du scrutin qui s'est ouvert hier matin et devait s'étendre jusqu'à 20H00 (19H00 GMT), les formations traditionnelles devront écouter leurs exigences de régénération démocratique. «Nous sommes au seuil d'une nouvelle transition démocratique, une nouvelle ère», a lancé Albert Rivera, le chef de Ciudadanos, en déposant son bulletin de vote à L'Hospitalet de Llobregat, la deuxième ville de Catalogne. «Si nous voulons changer l'Espagne, il faut se mouiller, participer!» Selon les derniers sondages, le Parti populaire (PP, droite) du chef de gouvernement sortant Mariano Rajoy, 60 ans, vainqueur en 2011 avec 45% des voix (186 députés sur 350), n'aurait que quelques points d'avance sur les trois autres sans dépasser les 30%. Avec un Parlement morcelé, le gagnant aura du mal à former un gouvernement. Loin derrière, le Parti socialiste (PSOE) n'est pas sûr de garder sa deuxième place, talonné par Podemos en forte hausse et Ciudadanos, qui ont déjà émergé lors des régionales et municipales de mai. Podemos est associé aux plateformes citoyennes qui gouvernent Madrid et Barcelone. Rouge et bleu: le PSOE et le PP alternaient jusque-là au pouvoir. Le royaume d'Espagne, après avoir étouffé une tentative de coup d'Etat en 1981, a vécu 21 ans de socialisme - de 1982 à 1996 avec Felipe Gonzalez puis José Luis Rodriguez Zapatero (de 2004 à 2011) - et douze ans avec la droite sous José Maria Aznar (1996 à 2004) et Mariano Rajoy depuis 2011. Mais la crise financière mondiale, l'austérité, un chômage qui s'envolait (jusqu'à 27% début 2013) et les scandales de corruption touchant l'ensemble de l'establishment, y compris une fille de l'ancien roi Juan Carlos, ont représenté un cocktail explosif. «Ils ne nous représentent pas», ont crié les manifestants «indignés» par leur classe politique, dès 2011. Depuis, le chômage a reflué, mais concerne encore un actif sur cinq. La croissance aussi a repris, mais elle n'est pas ressentie par tous, notamment les jeunes, alors qu'encore la moitié des 16-24 ans sont sans travail. La colère des centaines de milliers de manifestants des années 2011 et 2012 a trouvé une expression politique: le parti anti-austérité Podemos, dirigé par Pablo Iglesias, 37 ans, fondé en 2014. Son ascension a prouvé qu'il y avait de la place pour d'autres couleurs politiques: le violet de Podemos, puis, un peu plus tard l'orange de Ciudadanos. Cette formation, dirigée depuis 2006 par l'avocat Albert Rivera, 36 ans, est axée sur la lutte contre la corruption et la défense de l'unité de l'Espagne face aux tentations indépendantistes de la Catalogne. «Ces années horribles ont eu du bon: beaucoup de gens ont commencé à s'intéresser à la politique» témoigne un électeur de Podemos, Jonathan Pozo, chômeur de 27 ans, venu voter à L'Hospitalet de Llobregat. «Je vote Podemos car il apporte l'espoir d'un changement». «Le PP et le PSOE se sont installés dans le confort et nous ont oubliés, il faut donner une opportunité aux nouveaux», dit aussi Francisco Perez, camionneur de 53 ans, dans ce même bureau de vote. Pour contrer les partis émergents, Mariano Rajoy se concentre sur les 11 millions d'électeurs âgés de plus de 60 ans, presque un tiers de l'électorat, et plaide la poursuite d'une gestion saine des finances publiques, assurant que les «expérimentations» seraient une «énorme erreur», évoquant l'exemple de la Grèce.