La violence était omniprésente mercredi à la veille de l'ouverture officielle de la campagne électorale pour le scrutin du 30 janvier. Entre mercredi et hier, une vingtaine de personnes ont été tuées en Irak dans différentes attaques et attentats, notamment l'attentat commis mercredi à Kerbala contre cheikh Abdel Mehdi Kerbalaï, représentant et porte-parole du grand ayatollah, Ali Sistani, qui a coûté la vie à 10 personnes et causant des blessures à 40 autres. Le cheikh a été blessé mais «hors de danger» selon son entourage. Par ailleurs, un groupe islamiste, le Mouvement islamique des moudjahidine irakiens, qui a enlevé la veille un Italien, Salvatore Santoro, a revendiqué jeudi son assassinat dans une vidéo dont les images ont été diffusées par la chaîne satellitaire Al-Jazeera. D'autres actions ont été relevées ces dernières quarante-huit heures à Ramadi, Baâqouba et Moussayeb où des accrochages et attentats ont eu lieu. On signalait également jeudi, la mort de deux marines américains. C'est dans ce climat marqué par la violence que le coup d'envoi a été donné jeudi à la première campagne électorale d'un scrutin pluraliste en Irak. 73 partis étaient sur la ligne de départ pour l'élection d'une Assemblée constituante de 275 membres laquelle aura à rédiger la loi fondamentale permanente de l'Irak. C'est en fait l'aspect le plus récurrent de la consultation électorale, dans la mesure où les futurs élus auront à tracer l'avenir politique de l'Irak et préciser leurs choix stratégiques, notamment par l'officialisation du statut d'Etat fédéral pour l'Irak. De fait, cette option fédérale, revendiquée singulièrement par les Kurdes, est largement usitée au Kurdistan irakien quasiment indépendant du pouvoir central depuis 1991 et la guerre du Golfe. D'ailleurs, dans le même temps, le 30 janvier prochain, les Kurdes voteront pour l'élection de 111 députés pour le renouvellement de leur Parlement dont l'existence est effective depuis douze ans. Outre l'Assemblée constituante et le Parlement kurde, les électeurs auront également à désigner les membres des dix assemblées provinciales irakiennes. Selon la commission électorale, 107 listes, regroupant 7 200 candidats, concourront pour l'un des 275 sièges de la Constituante. 73 partis étaient jeudi sur la ligne de départ, mais il est patent que les chances des uns et des autres n'auront rien d'égales et les concurrents ne partiront sur les mêmes bases, tant du fait de la nouveauté de la chose, - des élections pluralistes totalement inédites -, que du fait que les forces majeures du pays, - et sans doute- vainqueurs potentielles du scrutin du 30 janvier prochain, ont pris leurs dispositions pour recueillir le fruit de cette consultation électorale. C'est dans cette perspective, et dans l'idée de ne pas éparpiller leurs forces, - en allant au scrutin en rangs dispersés -, que les chiites, majoritaires dans le pays et ne voulant pas renouveler les erreurs du passé, ont créé une liste unique de coalition où l'on retrouve notamment le CSRII (Conseil supérieur de la révolution islamique en Irak d'Abdelaziz Al-Hakim), le parti Da'wa (du vice-président Ibrahim Al-Jaafri) ou encore le CNI (Congrès national irakien d'Ahmed Chalabi, ancien correspondant de la CIA et proche du Pentagone). Toutefois, les deux actuels hommes forts du pays, le Premier ministre intérimaire, le chiite, Iyad Allaoui et le Président désigné, le sunnite Ghazi Al-Yaouar, ont préféré faire cavalier seul en présentant leur propres listes. Ainsi, M.Allaoui propose une «liste irakienne» alors que M.Al-Yaouar y va avec une liste intitulée tout simplement «Iraqioun» (Irakiens). Notons également la participation du Parti communiste irakien qui renaît ainsi de ses cendres. Toutefois, ce départ de campagne apparaissait hier assez symbolique, tant par le peu d'intérêt qu'il semble susciter auprès de l'électorat, cela ajouté à l'impréparation générale et à l'inexpérience d'un champ politique irakien qui reste à inventer. Sans préjuger des suites de la campagne et partant, des résultats qui seront ceux du scrutin lui-même, il convient de relever que la situation sécuritaire rend aléatoire la tenue de la consultation électorale, cela même si le représentant spécial de Kofi Annan, à Bagdad, Ashraf Jahangir Qazi, estimait, jeudi à Londres, qu'elles seraient «crédibles», indiquant: «Je crois que, malgré les défis, les élections auront lieu à temps et qu'elles auront un écho positif au sein du peuple irakien et prépareront la phase suivante». Il ne fait pas de doute toutefois, que le jeu électoral est biaisé par l'anarchie qui règne présentement au pays, d'une part, du fait que nombre de personnalités, ou forces politiques, -susceptibles de donner au vote une autre dimension que celle voulue et imposée par les Etats-Unis -, seraient absentes du scrutin du 30 janvier, d'autre part. Ce qui, en réalité, fausse la donne électorale et rend problématique la lisibilité du champ politique irakien post-Saddam Hussein.