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Rien n'est inerte, tout est vivant
LA PETITE BIBLIOTHÈQUE DE L'ETE 2016 (VIII)
Publié dans L'Expression le 28 - 09 - 2016

Entrée du campus de l'université de Tlemcen et bibliothèque
On pourrait laisser les choses telles quelles, elles deviendraient des ruines avant même que nous nous serions aperçus des nôtres.
Tout changement, voulu ou non, naturel ou non, est vie, mais «une vie» autrement. Cela peut charmer; cela peut signifier une destinée mortelle, aussi. La vanité humaine redoute toujours le changement, pas le ridicule de la stagnation, de l'usure, enfin la ruine que personne, bien plus tard n'admirera. Il en est ainsi de toute réforme inspirée par la volonté de changement du tout au tout. Il faudrait prendre garde, car «pour inventer, dit la pensée éducative, il faut penser à côté» et surtout, il n'existe rien de constant, tout change, tout est vivant. L'histoire de l'éducation nous le rappelle sans cesse, mais il arrive trop souvent aux pédagogues d'oublier leur savoir et leur expérience, face au défi de les mettre en pratique que leur lancent le livre et la lecture...
Mais, en attendant, reprenons le doux et instructif chemin de la lecture proposée par notre Petite bibliothèque de l'été 2016:
LA REBELLE de Souhila Amirat, ANEP éditions, Alger, 2015, 154 pages: «Le cri dans la nuit de la mémoire... [...] Une fois qu'il a héroïquement jailli, tel après un coup dans le coeur, l'écho déchirant de l'immense indignation d'une âme souffrante, ne s'éteint jamais; il se diffuse dans les espaces physiques et moraux et, prenant une intensité poignante, il s'y installe profondément. [...] Et voici ce «cri» restitué par Souhila Amirat dans son nouveau récit intitulé La Rebelle. Il s'agit bien d'un récit, non d'une nouvelle, moins encore d'un roman. Cette oeuvre, comprenant dix-neuf chapitres, est écrite dans le style de ce genre littéraire difficile dans lequel elle exerce sa jeune plume, qui semble lui convenir et qui éveille chez le lecteur la même émotion que celle que j'ai soulignée, ici, dans la présentation du premier et magnifique récit d'événements vrais narrés dans P'tit Omar, la Révolution dans le cartable (Lire L'Expression du mercredi 26 novembre 2014, p. 21). [...]
Et quel passionnant sujet Souhila Amirat a-t-elle choisi de narrer dans La Rebelle! Elle rappelle à certains et fait découvrir à d'autres le cauchemar d'«être entre les mains des loups». Les personnages hommes et femmes sont tous égaux dans leur devoir et face au malheur. Les références, à plusieurs vies et à divers lieux, donnent au récit son poids de traditions ancestrales, de culture et de civilisation, et surtout d'authenticité, évitant à la fois le propos ampoulé et la dramatisation inutilement ostentatoire. Aussi, il aura suffi d'évoquer les populations algériennes pendant la guerre de libération pour éveiller la conscience consciente du lecteur algérien ou étranger, - y compris, en premier, le peuple français ami et lecteur.
Souhila Amirat évoque - paroles de personnages véridiques et références historiques à l'appui - des faits matériels vécus, comme dans toutes les régions d'Algérie entre 1954 et 1962, par des femmes de tout âge sur «la terre d'Azzefoun»; l'auteur informe: «Les Romains l'appelaient Rusasus. Ils en avaient fait leur base militaire», Les thermes antiques de Rusasus existent encore. Le court chapitre 1 de l'ouvrage situe le lieu et les villages et hameaux voisins dont Aït Sidi Yahia. On apprend que de ces villages «ont émergé de nombreux enfants prodiges». On apprend aussi que «ceux qui ont fait d'elle une terre d'artistes sont nombreux: Iguerbouchène, Hadj M'hamed El Anka,... [...] Ceux qui ont fait d'elle une terre de révoltés aussi sont nombreux: Cheikh Mohand Ouamar, Didouche Mourad, Ourida Meddad,... [...] De nombreux villages seront décimés par les bombes de l'ennemi. Entièrement décimés.» [...] Lire La Rebelle, un récit écrit par Souhila Amirat, c'est s'instruire sur une vérité trop longtemps, à tout le moins, oubliée. «Ce silence, il faut le rompre!» Zoubida [Benaïssa] a résolu de raconter sa mère Fadhma, «La Rebelle», parmi Les Rebelles engagées dans la glorieuse Lutte de Libération Nationale. Et là, je vois la magique, la totale «revanche de Fadhma».
L'ALGERIE REVELEE, La guerre de 1914-1948 et le premier quart du XXe siècle,Editions Bouchène, Alger, 2015, 789 pages; «À la recherche de l'Histoire perdue... [...] Il est bien des manières d'écrire l'histoire. Ici, d'emblée, le choix s'inscrit dans le devoir de vérité contre l'oubli. [...] Enfin, un grand livre sur l'histoire peu connue par la jeune génération, oubliée par les générations précédentes. Gilbert Meynier s'est engagé librement à écrire cette histoire en 789 pages - au cours desquelles se succèdent documents, analyses et réflexion -, sous le titre fort évocateur L'Algérie révélée, La guerre de 1914-1918 et le premier quart du xxe siècle. Il s'agit d'un pan d'histoire qui nous touche. Ce précieux travail de recherche et de mise au point pour désinstaller l'oubli, nous interpelle. En effet, il intéresse les Algériens et les Français, sans doute inégalement mais, à l'évidence, «la guerre de 14-18» remue, pour des raisons diverses, des consciences, celles des uns et des autres: un passé historique commun, des souffrances partagées, des sacrifices aussi et des morts, très certainement, par milliers. [...] Aux monuments aux morts d'Algérie... des Algériens. [...]
Concernant «l'objet» du présent ouvrage, il faut en signaler la judicieuse appréciation du regretté ami de l'Algérie, le professeur Pierre Vidal-Naquet qui écrivait: «Par le titre même de son livre et par tout son exposé, G. Meynier prend le contre-pied de l'affirmation catégorique de C.-R. Ageron: «La guerre de 1914-1918 ne devait pas être pour l'Algérie musulmane cet accélérateur de l'histoire qu'elle fut pour tant d'autres peuples (Les Algériens musulmans et la France, 1871-1919, PUF, 1968, p. 1139).» Il ajoutait: «Ageron consacre à cette période les p. 1139-1228 de son livre. Le «réveil» sinon la «révélation» est pour lui antérieur, mais il insiste sur l'importance de la conscription (1912) et conclut tout de même «la guerre laboura néanmoins profondément l'Algérie musulmane (p. 1189).» Dont acte, dois-je dire. Pour la guerre 1914-1918, «la France avait besoin des Algériens», et le titre de l'ouvrage de G. Meynier «définit» assez bien son objet «Naissance d'une nation». On pourrait remonter l'historique de cette idée de «révélation» défendue par de nombreux auteurs notamment: André Mandouze (La Révolution algérienne par les textes), Saïda Benchikh-Boulanouar (Douze siècles d'histoire des archives algériennes. Panorama des sources, viiie-xxesiècles.), Mubarak Ibn Muhammad Al-Mîlî (Tarîkh al-Jazâ'ir fi al-qadîm wa al-hadith),...
Quoi qu'il en soit, Gilbert Meynier nous avertit dans un avant-propos très éclairant sur son long et minutieux travail, sa thèse originelle «revue et corrigée» publiée avec une préface intitulée «L'Avant-guerre» de Pierre Vidal-Naquet et une postface d'André Nouchi, Professeur honoraire de l'Université, - celui-ci, indiquant que ce livre a été édité à Genève chez Droz, en 1981 et réédité à l'identique à Alger aux éd. El Maârifa, en 2010 et il note: «Le mérite de Gilbert Meynier est d'avoir dans une grande et incontournable analyse démêlé les racines d'une histoire multiple dans laquelle les Algériens jouent un rôle éminent; ils deviennent les acteurs de leur destin. [...] Je savais le prix du sana, comme en témoignaient les multiples Mohammed, Slimane... gravés sur les monuments aux morts d'Algérie. Il fallait donc étendre le champ des recherches.» L'empreinte de ce souvenir est ressentie dans le coeur des générations suivantes d'Algériens telle une flamme d'honneur qui a hâté davantage l'éveil d'un nationalisme généralisé. Cette caractéristique sous-jacente de la volonté algérienne est nettement relevée par G.Meynier dans sa conclusion: «Fait majeur, pour la première fois, le pouvoir colonial doit composer, solliciter, séduire...»
L'AMULETTE DE SELMA, de Mohamed Boudiba, Editions Dalimen, Alger, 2014, 324 pages: «Ce qui protège du destin contraire... [...] les paroles écrites sur du papier par le marabout forcent l'événement désiré à se produire. À cela, les idées superstitieuses attribuent des vertus, entre autres, celle de trouver un époux à la femme immariable. [...] Là, l'auteur écrit pour la société; je le vois éducateur et aussi ins-ti-tu-teur; c'est ainsi qu'il tient un rôle important dans la construction et l'évolution de la personnalité de son peuple. Il est éveilleur de conscience et même formateur de mentalité à la limite d'une juste passion nationale. L'écrivain algérien n'est pas un amuseur; il a charge d'âmes au pluriel. Ici, Mohamed Boudiba expose un aspect bruyant de la condition de la femme algérienne dans la société moderne afin de faire bouger le curseur actuellement figé sur le chemin du progrès promis par notre glorieuse Révolution du 1er Novembre 1954. Dans L'amulette de Selma, il y a une illustration parfaitement vraisemblable d'un vécu, celui de Selma (la femme), d'un groupe (la famille de ce personnage) et d'un lieu réel, figuré par la ville d'Akbou. On comprendra que l'histoire aurait pu, sans aucun doute, se dérouler dans d'autres lieux que ceux cités, car l'usage de l'amulette n'est pas une exclusivité de telle ou telle région de notre pays, ni de celles d'autres pays. [...] Le roman L'Amulette de Selma est un exemplaire de gabegie sociale qui donne le tournis et où défilent merveilleusement des paysages éclatants de beauté, des personnages bruyants de vérité et l'on finit par soupçonner l'auteur Mohamed Boudiba de porter, lui aussi, une amulette.»
À suivre La Petite bibliothèque de l'été 2016 dans le prochain Temps de lire du mercredi 5 octobre 2016, p. 21.


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