C'est pour mettre un terme à la polémique et placer les députés devant le fait accompli, que le président a eu recours à cette prérogative constitutionnelle. Coup de théâtre dans la polémique liée aux codes de la famille et de la nationalité. A la veille de la célébration de la fête internationale de la femme, le président Bouteflika a profité de l'intersession parlementaire, comme le lui confèrent ses prérogatives constitutionnelles, pour signer des ordonnances portant entrée en vigueur de ces deux nouveaux textes de loi. Le Parlement, à qui seront donc soumis ces « projets » à partir du 14 de ce mois, n'aura pas d'autre choix que de les approuver sans le moindre amendement, comme cela avait déjà été le cas l'année passée, au plus fort de la crise qui secouait le FLN. «C'est dans le but d'éviter la polémique, mais aussi toute contestation frontale, nous indiquent des sources au fait de ce dossier, que le premier magistrat du pays a eu recours à ce procédé qui a déjà montré son extrême efficacité par le passé». Même le MSP, membre de l'Alliance présidentielle, n'aura pas d'autre choix que de se plier au contenu de ces ordonnances, contre lesquelles les contestations du PT de Louisa Hanoune et du mouvement El Islah de Djaballah, chacun dans son sens, ne pourront rien y faire. Bref, le Journal officiel du 27 février dernier a publié les deux ordonnances signées de la main du président Bouteflika. La première, numérotée 05-02, vient compléter et modifier la loi 84-11 portant code de la famille. Elle s'étale sur 19 articles, dont beaucoup tentent de révolutionner le statut de «mineur» infligé à la femme depuis le milieu des années 80, en contradiction avec certaines conventions internationales ratifiées par l'Algérie. Après les «préambules» liés aux fiançailles et les modalités pratiques concernant sa possible rupture, le texte s'appesantit, dans son article 7, sur l'âge légal du mariage, qui est de 19 ans pour les deux sexes, sauf dérogation spéciale du juge. Un mineur peut même recourir à la justice «quant aux droits et obligations résultant du contrat de mariage». Première innovation de taille contenue dans l'article 7 bis, il s'agit de l'obligation faite aux «futurs époux (de) présenter un document médical, datant de moins de trois mois et attestant qu'ils ne sont atteints d'aucune maladie ou qu'ils ne présentent aucun facteur de risque qui contre-indique le mariage». L'article suivant, qui ne laissera de déchaîner l'ire des modernistes et des partisans de l'abrogation pure et simple d'un pareil code, reconduit, à quelques modifications près, la multiplication des au profit des hommes. «Il est permis de contracter mariage avec plus d'une épouse dans les limites de la charia si le motif est justifié, les conditions et l'intention d'équité réunies». Ces conditions sont tellement vagues que la question se pose de savoir comment le magistrat va pouvoir trancher dans de pareilles questions, véritablement dramatiques dans certains foyers algériens. Le même article ajoute, également, que «l'époux doit en informer sa précédente épouse et la future épouse et présenter une demande d'autorisation de mariage au président du tribunal du lieu du domicile conjugal». Enfin, le juge, avant d'accepter la démarche, doit se rendre compte personnellement que les «troisparties» sont consentantes. Un non-sens que Louisa Hanoune, pour ne citer que son exemple, avait déjà violemment dénoncé dans un entretien qu'elle nous avait récemment accordé. La problématique du wali, autre sujet de controverse entre islamistes et modernistes, a été reconduite avec de menues modifications. L'article 11, qui en parle, stipule que «la femme majeure conclut son contrat de mariage en présence de son wali qui est son père ou un proche parent ou toute autre personne de son choix». L'innovation consiste donc à permettre à la femme de choisir librement un tuteur, pouvant carrément être étranger à sa propre famille. Pour ce qui est des cas de divorce, peu de changements ont été opérés. L'épouse, dans l'article 53, est autorisée à recourir à cette formule dans des cas pour le moins humiliants. Il est, en effet, question de «défaut de paiement de la pension alimentaire (...), infirmité empêchant la réalisation du but visé par le mariage (...), refus de l'époux de partager la couche de l'épouse pendant plus de quatre mois, condamnation du mari pour une infraction de nature à déshonorer la famille (...) ou absence de plus d'un an sans excuse valable ou sans pension d'entretien». Ce n'est pas tout. Il est permis, via l'article 54, à l'épouse de racheter en quelque sorte sa liberté selon la formule dite «Khol'â». La somme en question ne saurait, toutefois, excéder celle de la dot, que fixerait le juge s'il n'y a pas de consentement entre les époux autour de la «rançon». L'appartement, autre question de poids dans le débat, reste, en général, la propriété du mari. L'article 72 précise ceci à ce propos: «En cas de divorce, il incombe au père d'assurer, pour l'exercice de la garde, à la bénéficiaire du droit de garde, un logement décent ou à défaut son loyer. La femme ayant la garde est maintenue dans le domicile conjugal jusqu'à l'exécution par le père de la décision judiciaire relative au logement». Pour ce qui est du tutorat, ou plutôt du droit de garde, l'article précédent stipule que celui-ci «est dévolu à la mère de l'enfant, puis au père, puis à la grand-mère maternelle, puis à la grand-mère paternelle, puis aux parentes au degré le plus rapproché, au mieux de l'intérêt de l'enfant». Pour ce qui est de l'ordonnance 05-01, portant code de la citoyenneté, elle introduit une véritable révolution dans l'attribution de la nationalité, accordant à la femme des droits dont elle n'osait même pas rêver il y a de cela quelques semaines ou mois. Bouteflika, dans son discours fait à partir de la Maison du peuple, avait déjà rendu hommage à la femme, insistant particulièrement sur ces deux textes qu'il se préparait à signer, pour annoncer avoir beaucoup fait en faveur de la promotion des droits de cette frange importante et incontournable de la société algérienne.