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Quel vrai lecteur pour le bon livre?
LA PETITE BIBLIOTHÈQUE DE L'ETE 2016 (IX)
Publié dans L'Expression le 05 - 10 - 2016

Bibliothèque à l'intérieur de l'Université Hassiba Benbouali de la ville de Chlef (Algérie).
Il est un savoir pour faire aimer un livre comme pour faire aimer son pays; de même, il est un état d'ignorance heureuse ou béate pour dénigrer l'un et l'autre à force d'exercer sa détestation de la lecture.
N'essayons pas de définir ce qu'est un bon livre. Essayons de nous évertuer à apprendre à lire pour comprendre et ne jamais cesser d'être de bons lecteurs, c'est-à-dire des chercheurs de vérité. Certes, il fait réfléchir ce dicton de chez nous «Atihoulî fâham wala lâ qr'â', que j'aie affaire à un être intelligent (éduqué), tant pis s'il n'est pas instruit!», contrarie bien le «Va lire, mon enfant!» expression injonctive familière de nos vieux parents pour nous inciter à nous éduquer et nous instruire... Mais de nos jours, quelles astuces pédagogiques faut-il réinventer, face à la profusion des techniques modernes mal maîtrisées, pour susciter l'envie de lire de nos enfants et de nos petits-enfants? Le goût de la lecture à donner à nos jeunes doit être un défi constant pour nous tous et naturellement pour l'Ecole dont l'objectif permanent est de former de vrais citoyens...Créer, organiser et diriger la bibliothèque de l'établissement scolaire, surtout celle de la classe, veiller à sa fréquentation régulière par les élèves, sont des actes pédagogiques primordiaux.
Poursuivons allègrement le rappel, par des extraits de présentation, de quelques ouvrages proposés à nos lecteurs au cours de la saison 2015-2016 de notre chronique hebdomadaire Le Temps de lire.
PAR ABDELLALI MERDACI, ROMANS-FEUILLETONS (1893-1895), Médersa éditions, Constantine, 2013, 155 pages et CAHIER DE LECTURES, 2 (Chroniques), Médersa éditions, Constantine, 2011, 157 pages: «L'art pour l'art, c'est pour que vive l'Algérie. [...] L'objectif, le devoir de l'universitaire et chercheur algérien est de découvrir, d'analyser et d'exposer en pleine lumière l'authentique visage de la littérature algérienne face à l'agaçante et incessante flatterie de certains éditeurs parisiens demeurés doctrinairement conservateurs de l'esprit colonial. [...] L'universitaire, inlassable chercheur, Abdellali Merdaci nous en fait une méthodique et magnifique démonstration avec deux ouvrages: Romans-Feuilletons (1893-1895) et Cahier de lectures, 2 (Chroniques). Tant il est vrai que les démangeaisons d'un urticaire spécifique, une espèce de pathologie soigneusement inoculée à distance à une «gendelettrerie» algérienne quelque peu «intéressante» et contre laquelle peu savent parfaitement s'immuniser, suffisent pour l'allécher en lui faisant miroiter un rapide succès littéraire plus avantageux sur d'autres rives. Mais de toute façon, cette littérature produite par «quelques écrivains algériens, dévorés par l'ambition, vite installés volontairement ailleurs», n'assure pas la levée des couleurs nationales chaque matin, qu'il fasse vent bon ou mauvais en Algérie; pis, cette littérature en habit usé d'Arlequin néglige ses racines; parfois, elle nie que le peuple d'Algérie s'est libéré de la colonisation par une guerre des plus cruelles de l'histoire contemporaine...
Il est pourtant une vérité qui mérite d'être rappelée: notre littérature, chez nous, n'est pas assez encouragée, ni correctement diffusée, ni donc enseignée dans nos établissements scolaires, ni introduite en feuilletons dans la presse quotidienne, ni donc considérée. Aussi, une bonne part d'elle émigre-t-elle, s'exile-t-elle, souvent à son corps défendant, tout en restant fidèle à la terre natale et très attachée à ses valeurs qui s'épanouissent en amour de l'humanité... [...]
Le tout premier passage de frontière. [...] Dans sa brève et suffisante présentation, le chercheur Abdellali Merdaci note: «La littérature fictionnelle indigène en langue française apparaît dans l'Algérie coloniale au début de la dernière décennie du xixe siècle. Les noms de M'hamed Ben Rahal (La Vengeance du cheikh, nouvelle, 1891), Mustapha Allaoua (Le Faux talisman, récit, 1893), Mustapha Chabane (Notes de voyage d'un Indigène d'Algérie, 1893) signent une entrée discrète dans la littérature. Athmane Ben Salah, ami et guide d'André Gide, tout comme Abdelkader Abbas ont écrit - et probablement publié - à cette même période des poèmes, aujourd'hui introuvables. C'est à cette même période qu'Omar Samar (Zeid Ben Dieb) donne ses romans-feuilletons dans la presse de Bône.» Merdaci note encore: «Omar Samar (né vers 1870) est originaire de la plaine de Bône (Annaba) où sa famille possédait de riches terres agricoles, dans le ressort de la commune d'Uzerville (Dréan), chez les Ouled Dieb.» Après avoir étudié à l'école indigène française, il est notable en 1890. Trois ans plus tard, il fonde «le premier journal indigène de langue française» et, assailli par d'incessantes tracasseries de l'administration coloniale, il démissionne de «La Bataille algérienne», puis renoncera au «lancement de Mansourah, un journal de littérature et de critique.» [...] Des choix et des questions Abdellali Merdaci, ce même patient chercheur, exigeant et passionné, nous offre généreusement Cahier de lectures, 2 (Chroniques), l'essentiel de ses lectures de travail et de bonheur de découvrir quelque chemin lumineux qui éclaire l'esprit, l'enchante ou le prévient des confusions, des joies hâtives et des survivances de «l'Algérianisme» et de «l'Ecole d'Alger». En somme, comme nous tous ou nous tous comme lui, nous demandons à nos auteurs des lectures éducatives et instructives. Nous avons besoin de lire des livres qui pensent et qui nous apprennent à penser. L'enjeu de l'épanouissement culturel de notre jeunesse, c'est encore l'assimilation et le développement d'une culture à la fois nationale et ouverte au progrès.
D'emblée, Merdaci avise: «Ce sont certainement les mêmes principes énoncés en couverture du précédent «Cahier», publié en 2008, qui sont à l'oeuvre dans ce nouvel opus, plus précisément l'affirmation d'une présence dans un débat culturel national toujours fragile, frappé d'incertitudes.» Il faut que j'exprime ici que je souscris à ces très justes propos tout en ajoutant la réflexion que j'ai dans une telle occurrence, parfois en public auquel je présente immédiatement mes excuses, et qui peut paraître incongrue: «Les Algériens ne savent pas débattre, ils savent se battre.» [...] Or, et ainsi que Abdellali Merdaci le souligne dans son Avant-propos: «Les textes rassemblés ici fixent à la fois des choix et des questions de critique confronté à la formation d'une histoire littéraire nationale encore en gestation.» Quoi qu'il en soit, ce Cahier de lectures, 2 consacre l'esthétique évidente conforme à une critique à la fois interne et externe de l'auteur et de son oeuvre. Trois sections apparaissent légitimes et complémentaires: Parcours, lectures et entretien. La formule séduit le lecteur, car il imagine à raison que le chercheur lui révélera si l'écrivain est resté fidèle à lui-même, à sa pensée, à son univers, à ses sources naturelles, à ses possibilités réelles, sans fioritures, sans orgueil, mais quand même avec quelque fierté de n'avoir écouté que sa parole intérieure vive et pure, sa seule référence à débattre avec son lecteur. Aussi est-ce bien là la loi de l'écriture. Et par ainsi, Merdaci, vigilant et magnanime, retrace le parcours de Omar Samar dont le roman Ali, ô mon frère! «a été avant même Nedjma (1950) de Kateb Yacine, une fructueuse réflexion sur le roman, sur son écriture et sur ses héros.» [...]. Et par ainsi, Merdaci, vigilant et magnanime, retrace le parcours de Omar Samar dont le roman Ali, ô mon frère! «a été avant même Nedjma (1950) de Kateb Yacine, une fructueuse réflexion sur le roman, sur son écriture et sur ses héros.» Puis sont abordés Mohamed Hamouda Bensaï, «le passeur lumineux, un maître d'autrefois»; Djamila Debêche, «un parcours à contre-courant»; Mouloud Feraoun, «Cinquantenaire de sa disparition. Quelques repères autour d'un mythe.»
Dans la deuxième section du présent «Cahier», des «Lectures» nous sont proposées comme le faisaient avec pédagogie d'autres enseignants avec d'autres lectures dans les classes de notre enfance: «Voyage intérieur autour d'une géographie archaïque du temps de Hacène Saâdi. Un roman possible»; «Le Mensonge de Dieu de Mohamed Benchicou. Le roman d'une Algérie méconnue.» La troisième section du même «Cahier» porte sur un entretien intitulé «Rencontre avec Kaddour M'Hamsadji autour du «Petit café de mon père»: «Ecrire est une objection libératrice». Abdellali Merdaci me fait une immense faveur en évoquant Le Petit Café de mon père, récits au passé et quand il écrit: «Il y a une surimpression de l'écriture romanesque sur celle de la mémoire.» J'y vois à la fois «un choix et une question de critique confronté à une histoire littéraire particulièrement algérienne». Merci cher Sî Abdellali.
luttes d'un peuple, Emergence d'une nation de Kamel Bouchama, JUBA EDITIONS, Alger, 2013, 193 pages. «Notre passé est notre Livre d'Histoire. [...] dans la longue nuit des temps, l'histoire reste entière et silencieuse, sauf si l'on abandonne les platitudes de la vie et que, faisant fi de ses paillettes du quotidien - s'il en est-, on rêve en s'inclinant devant la loi de l'Histoire, sans oser mentir. [...]
Sans doute, le passionné d'histoire n'est pas historien, et je dirais «tant mieux», car si cela était, la vérité scientifique nous brûlerait tous vivants. Et nous ne serions pas là à rêver des fantastiques images qui n'ont pas existé, qui auraient pu exister et auxquelles beaucoup croient tout de même... avec quelque indifférence. En effet, Luttes d'un peuple, émergence d'une nation, un titre évocateur d'histoire que nous propose à lire Kamel Bouchama, excite notre curiosité et d'autant que c'est un «beau livre» (format 23x27 cm), un labeur soigné. Il est paru «en ce 50e anniversaire de juillet 1962» chez Juba éditions dont le nom prestigieux traduit une fidélité à la mémoire du fondateur du royaume de Maurétanie «Juba, étant un ancêtre, bien de chez nous, un roi berbère, souverain de Caesarea (25 av. J.-C. à 23 ap. J.-C.) [...]. Juba, une appellation qui nous fait revisiter un pays, le nôtre, qui est plein de hauts faits.»
Aussi faut-il peut-être souligner que le Livre Algérien, quel que soit son format ou son contenu, mérite un façonnage professionnel total qui n'a rien à voir avec le petit travail d'imprimerie produisant des bilboquets de peu d'importance et qui n'engage pas la qualité d'une oeuvre à caractère national. [...]
«La guerre est naturelle à l'homme, comme nation.» Kamel Bouchama n'est pas un historien; il n'est donc pas selon Voltaire «un babillard qui fait des tracasseries aux morts»; il n'essaie pas non plus de se ranger les yeux fermés aux conventions anciennes des historiens de l'époque coloniale française en Algérie. Il n'ambitionne même pas à justifier ce qu'est l'histoire générale par référence à Ibn Khaldoun qui déclare dans son oeuvre majeure La Mouqaddima que «l'histoire a pour véritable objet de nous faire comprendre l'état social de l'homme; c'est-à-dire la civilisation et de nous apprendre les phénomènes qui s'y rattachent naturellement».
On peut s'effrayer de l'ampleur de la tâche que Kamel Bouchama s'est imposée: expliquer le 5 juillet 1962 «le symbole d'un peuple qui, lassé par plus d'un siècle de répression sauvage et de discrimination aveugle, s'est libéré en se mobilisant et en s'engageant indéfectiblement comme un seul homme dans la bataille du destin.
C'est également le symbole de ces luttes obstinément menées par lui depuis la nuit des temps, en faisant appel à son abnégation et à son esprit d'unité et de sacrifice contre différents envahisseurs». [...] Kamel Bouchama a une longue et perspicace conclusion dont voici un extrait: «Nous pouvons dire que cette dernière révolution que nous considérons comme le début de la fin, n'est pas le fait d'une réaction intempestive de quelques responsables ́ ́révoltés ́ ́, mais plutôt l'engagement de tout un peuple et ses nombreux sacrifices qui ont abouti à la libération de notre pays de l'emprise colonialiste. [...] Nous souhaitons également rappeler, à tous, ce message que nous ont légué des frères et des soeurs, face à l'histoire coloniale, un message qui reste toujours à écrire et qui est celui de l'amitié, de la solidarité, de la justice et du progrès_ pour nos deux peuples [Celui de France et celui d'Algérie].»
(À suivre mercredi 12 octobre 2016.)


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