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Les 3 B d'un racisme ordinaire
BOUGNOULE, BAMBOULA, BANANIA
Publié dans L'Expression le 16 - 02 - 2017

On retrouve le bon vieux tirailleur sénégalais tout sourire et content de mourir pour la «mère-patrie»
«A force de tout voir l'on finit par tout supporter...A force de tout supporter l'on finit par tout tolérer... A force de tout tolérer l'on finit par tout accepter... A force de tout accepter l'on finit par tout approuver!» Saint Augustin Le Saint Bougnoule
Cette citation de saint Augustin un des pères de l'Eglise, lui-même qui n'a pas échappé au racisme au vu de ses origines berbères, surnommé «le Bougnoule» est là pour nous montrer que le racisme est consubstantiel de la nature humaine.Une nouvelle flambée de violence depuis une quinzaine de jours dans les «territoires abandonnés» par la République à Aulnay-sous-Bois. Le jeune Theo tabassé par cinq policiers que la justice n'a pas jugé du fait des pressions de tout ordre, de l'indifférence de la classe politique à l'exception du Front national pour qui ces évènements sont du pain bénit d'autant que dit-on une grande majorité des fonctionnaires de police est de sensibilité d'extrême droite. Une semaine avant la violente interpellation de Théo par quatre policiers à Aulnay-sous-Bois, son ami dit avoir été roué de coups sans motif. Dans toutes ces affaires, généralement les contrôles au faciès sont récurrents et amènent à des dérives indépendamment du langage raciste qui émaille ces incidents.
Des stéréotypes racistes comme héritage de la colonisation
Au-delà du fait que ces éruptions périodiques n'ont toujours pas trouvé de solution. Il s'agit de citoyens français, entièrement à part, victimes à la fois de la couleur de peau et aussi de la foi professée, en l'occurrence l'islam. Il y a un racisme latent, ordinaire, accepté voire toléré. On sait que le racisme est consubstantiel de la nature humaine. Aucune société humaine ne peut se prévaloir d'être irréprochable. Cependant, sans remonter à la malédiction de Cham, qui fut aussi le bréviaire de l'Eglise, il y a eu l'esclavage, il y a eu la traite des Noirs, le Code noir, le Code de l'indigénat. On sait que l'Europe a toujours développé un double discours: celui de l'Habeas Corpus, en Angleterre bien plus tard, des droits de l'homme et du citoyen en France et en même temps elle continuait à se rendre coupable, à laisser faire des actes racistes insidieux, voire, elle entretient par des mécanismes subtils, cette barrière invisible qui existait entre le colonisé et le colon, entre le beur, le Noir des anciennes colonies devenu français devenu anglais, devenu allemand, voire belge, mais toujours avec ce plafond de verre qui obère tout leur avenir. Il est vrai qu'au XIXe siècle, les chantres des races supérieures tels que Arthur de Gobineau, Renan et Joseph Chamberlain en Angleterre entretenaient avec conviction le filon du racisme. Jules Ferry n'est-il pas allé jusqu'à proclamer à l'Assemblée que «les droits de l'homme ne sont pas applicables dans nos colonies»? (1)
D'où viendrait cette certitude des sociétés européennes, voire et américaines avec la «destinée manifeste» d'appartenir à la race des élus. Il faut remonter, comme le décrivent Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire, à la conquête coloniale et au «devoir de civilisation». On imagine mal aujourd'hui, écrivent-ils, le nombre des exhibitions des «indigènes» et la variété des lieux où étaient reconstitués des «villages nègres» ou donnés des spectacles ethniques, entre les années 1850-60 et 1930. (...) Ces exhibitions contribuaient à diffuser dans le public cette vision de l'indigène comme un être fruste, mal dégrossi, encore proche de l'animalité. Oui, le sauvage existe! Il s'agit de le «civiliser». En exhibant ainsi l'Autre, en infériorisant systématiquement des groupes humains, on creuse un fossé entre «eux» et «nous», confortant l'Occident dans son rôle de «guide du monde», de «civilisation supérieure». (1)
«Par la suite, l'indigène est désormais plus souvent montré sous sa forme servile, il a quitté ses aspects les plus sauvages pour revêtir les atours du tirailleur, de l'artisan ou du travailleur au service de la plus grande France.» Cela va même plus loin. «Le langage du colon, quand il parle du colonisé, écrit Frantz Fanon, est un langage zoologique. On fait allusion aux mouvements de reptation du Jaune, aux émanations de la ville indigène, aux hordes, à la puanteur, aux pullulements, aux grouillements, aux gesticulations. Le colon, quand il veut bien décrire et trouver le mot juste, se réfère constamment au bestiaire.» On parle à propos de la banlieue de sauvageons...depuis que Jean-Pierre Chevènement, un ministre de gauche, l'a popularisé. C'est un fait! Les immigrés posent problème aux sociétés autochtones qui «les accueillent en tant que scories de l'histoire coloniale- la crise aidant, le racisme qui est le fond rocheux de toute société humaine est exacerbé en temps de disette comme c'est le cas. Les immigrés servent de variables d'ajustement pour le chômage et même les emplois dirtys.» (1)
Histoire des injures racistes ancrées dans le fond rocheux français
Dans ce bestiaire, utilisé pour le colon paternaliste, nous avons repéré trois mots qui ont la vie longue. Ainsi, pendant l'émission C dans l'air du jeudi 9 février un policier syndicaliste de FO s'est lâché: «Les mots «bamboula», d'accord, ça ne doit pas se dire, mais ça reste à peu près convenable.» «Le terme «bamboula», prononcé jeudi 9 février par un policier sur la chaîne de télévision France 5, renvoie le Noir à la figure caricaturale d'un grand enfant brutal, et nie son humanité. (...) Il s'agit pourtant bien d'une injure... proférée dans un contexte déjà tendu suite à l'interpellation particulièrement brutale d'un jeune Noir de 22 ans, Théodore, alias «Théo», à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).» (2)
«Pour comprendre à quel point le terme est dégradant, lit-on dans la contribution suivante, pour la linguiste Marie Treps. «Bamboula», serait issu de «ka-mombulon» et «kam-bumbulu», qui signifient «tambour» dans les langues sara et bola parlées en Guinée portugaise. En 1714, en Côte d'Ivoire, le mot a pris le genre féminin, et désigne cette fois une «danse de nègres»... «il est déjà connoté négativement puisqu'il est associé au «nègre», à l'esclave noir, à un moment où la traite est en pleine expansion. La bamboula devient synonyme de danse violente et primitive dès la moitié du XIXe siècle. Mais c'est en 1914, avec l'arrivée des tirailleurs sénégalais sur le front que le terme se charge lourdement de mépris. «Le mot renvoie alors à une imagerie alliant sauvagerie, cannibalisme, sexualité.» «Le terme a beaucoup été utilisé au moment des grandes expositions coloniales, remarque la linguiste. Il flatte le paternalisme du colon. Derrière le terme bamboula'', il y a l'idée que les Noirs sont des grands enfants qu'il faut civiliser. Ainsi, en 1914, ce ne sont pas des humains que l'on envoie au front se faire tuer, seulement des bamboulas''». (2)
Ce que la France doit aux «Bougnoules»
Un autre mot utilisé surtout pour les Arabes (surtout les Algériens). Pourtant, pour les mêmes insultes en 2008, un professeur d'anglais a été condamné par le tribunal correctionnel de Valenciennes (Nord) à trois mois de prison avec sursis pour des propos racistes tenus à un de ses élèves en juin 2008. Le professeur, qui niait les faits qu'on lui reprochait, avait demandé en juin 2007 à trois élèves de 5e de ranger la classe à l'issue d'un cours. Devant le travail accompli, il avait déclaré à l'un des élèves, d'origine maghrébine, «ça, c'est du travail de bougnoule», De même en août 2007 à Epinal, un enseignant avait été condamné à un mois de prison avec sursis pour des propos racistes proférés à l'encontre d'un élève d'origine angolaise. «Tu es noir, tu voles, non?», ou encore «Ah, voilà Bamboula!» (3)
Le stéréotype de Bougnoule
Il semble d'après l'écrivain journaliste René Naba que ce terme est ancien: «En ces temps-là, écrit René Naba «la chair à canon» carburait à la gnôle. Par un subterfuge dont la raison détient seule le secret, qui n'en révèle pas moins les présupposés d'un peuple, les ressorts psychologiques d'une nation et la complexion mentale de ses dirigeants, la revendication ultime préludant au sacrifice suprême - «Aboul Gnoul» - apporte l'alcool- finira par constituer, par un dévoiement de la pensée, la marque d'une stigmatisation absolue de ceux qui auront massivement contribué, à deux reprises, au péril de leur vie, à vaincre, paradoxalement, les oppresseurs de leurs propres oppresseurs. «Bougnoule» tire son origine de l'expression argotique de cette supplique ante mortem. A l'assaut des tranchées adverses, ployant sous un déluge d'obus, suffoquant sous l'effet des gaz mortels sur les champs de bataille brumeux et venteux du Nord-Est de la France, sous la glaciation hivernale des nuits noires de novembre, à des milliers de kilomètres de leur tropique natal, les grandes rasades d'alcool galvanisaient leurs ardeurs combatives à défaut d'exalter leur patriotisme. Curieux rapport que celui qui lie la France à sa mémoire, étrange rapport que celui qui lie ce pays à lui-même, à la fois «Patrie des lumières et des droits de l'homme» et patrie du Code noir de l'esclavage, le code de l'abomination, de la traite de l'Ebène et du mépris de l'Indigène.» (4)
Maurice T. Maschino commentant l'ouvrage de René Naba écrit: «Les blessures de la dignité ne cicatrisent jamais», ceux qui les infligent les oublient très vite, pour peu, évidemment, qu'ils les aient remarquées. Du bougnoule au sauvageon, René Naba rafraîchit donc utilement la mémoire: il brosse un tableau saisissant de l'histoire coloniale française.(...) Massacres hier, répression et humiliation continuent de nos jours, pareille politique n'est possible, dans la durée, qu'avec l'assentiment - ou dans l'indifférence - de la majorité de la population. Une population complètement anesthésiée et mystifiée par l'idéologie justificatrice que la colonisation a produite. (...) Même les esprits les plus lucides sont contaminés: les musulmans sont des «fanatiques» (Zola), le Larousse ne définit plus les Arabes comme une «race batailleuse, superstitieuse et pillarde». (1948) Faut-il s'étonner que les mentalités n'aient guère évolué. Selon le rapport de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (2000), 69% des Français se déclarent peu ou prou racistes et 63% jugent qu'il y a trop d'Arabes.» (5)
Un autre stéréotype: Y a bon Banania.
Le mot Banania a traversé le siècle sans une ride! Cette publicité en apparence anodine est à une profonde signification: «(...) Dans le cas Banania'' on retrouve le bon vieux tirailleur sénégalais tout sourire et content de mourir pour la «mère-patrie». Comme d'habitude l'homme noir est dans le rôle du clown arborant un large sourire. Ce sourire n'a strictement rien à voir avec un sourire commercial. Il répond à une croyance occidentale dans laquelle l'homme noir est toujours associé au ridicule, la fantaisie, la bêtise. C'est cette vision réductrice de l'homme noir qui est profondément raciste. Depuis 1914, la marque Banania exploite cette image avilissante qui est à l'origine de son succès. Dans l'imaginaire occidental, l'homme noir est un sauvage qui par la grâce de l'homme blanc est passé au statut de colonisé. Affublé d'une chéchia rouge, une veste et un gilet en drap bleu et un pantalon en cotonnade blanc, le tirailleur sénégalais incarne parfaitement le sujet semi-civilisé ou en voie de civilisation au service de la «mère-patrie». Désormais, la France a domestiqué le sauvage, il est dressé pour mourir sur le champ de bataille pour elle. Près de 30 000 soldats africains servent de chair à canon en première ligne dans la Première Guerre mondiale. Dans l'image de la marque Banania, on retrouve toujours l'image du Noir rieur avec un large sourire et l'air débonnaire. Le slogan Y'a bon banania renvoie à la croyance occidentale du Noir sauvage et arriéré s'exprimant dans un langage primaire.» (6)
«La pratique du contrôle d'identité au faciès, comme on dit dans l'Hexagone, c'est-à-dire en fonction de la «couleur», l'apparence, l'aspect extérieur, la façon de se vêtir, l' origine nationale ou la foi religieuse présumée, est une des pratiques policières françaises (et autres) si enracinée, coutumière et systématique qu'elle a résisté jusqu'ici aux condamnations de tribunaux, aux mobilisations de la société civile, aux appels des organisations internationales, aux rapports et enquêtes, même de l'Union européenne. Si bien qu'elle n'a même pas été égratignée par le fait que le 9 novembre 2016, la Cour de cassation française ait condamné définitivement l'Etat pour cette pratique discriminatoire.» (7)
«Sauvageons... écrit Jean-Louis Mercier parlant de ces jeunes en errance. Combien de fois j'ai vu des policiers blessés gravement par des réactions stupides de gens qui voulaient en découdre... stupides ou même, écoeurantes... Maintenant il y a bien sûr cette racaille... cette racaille qui, pour la plus grande partie sont les enfants ou les petits-enfants de ceux qui se sont fait tuer pour la France qu'ils appelaient notre Mère Patrie, Sénégalais, Algériens, Tunisiens, Marocains et tant d'autres, qui, par milliers allaient sur le front, dans la boue, la neige et qui partaient la fleur à la boutonnière... recevoir des balles dans le coeur pour toute reconnaissance. Ils ne savaient même pas où se trouvait notre Pays.»(8)
Il semble que les pouvoirs publics n'ont pas tiré les leçons des émeutes de 2005. En Angleterre par exemple, le contrôle se fait sous l'oeil d'une caméra reliée au poste. Cette pratique discutée sous le gouvernement Ayrault a été enterrée. Il n'a même pas été permis au contrôlé de recevoir un récépissé attestant qu'il a été contrôlé ce qui fait qu'il peut être contrôlé à l'infini. Mais depuis l'existence des portables, la scène est d'une façon ou d'une autre filmée et c'est alors la parole du policier contre la photo de la bavure...
Conclusion
On sait que la provenance originelle au vu des brassages a de moins en moins de pertinence au regard de l'idée de nation dont, à juste titre, Ernest Renan disait qu'elle devrait être un «plébiscite de tous les jours». Ne restera alors que l'humain avec sa valeur ajoutée pour le vivre ensemble car les positions acquises et les hasards de l'histoire des rapines des guerres avec des vaincus et des vainqueurs ont amené aux dérives des races supérieures qui ont fait le lit du nazisme. Nous savons que nous sommes différents des chimpanzés par 2% de notre génome. Le génome de chacun est le génome de tous. Il n'y a pas de races. Dans cinquante ans la biopuce sera le marqueur identitaire neutre, puisqu'elle se base sur des «paramètres» de performance qui ne sont pas liés au sol ou à la naissance.(9)
Bamboula, Bougnoule, Banania, racaille, c'est ce qui reste d'un colonialisme de la nostalgie. Ne devrions-nous pas revenir à plus d'empathie envers notre prochain si les hasards de l'histoire, la naissance du mauvais côté du progrès devaient nous permettre d'avoir plus de sollicitude envers les damnés de la Terre. François Mauriac écrira un jour cette phrase magnifique qui est une invitation à la tolérance: «Aime et fais ce que tu veux.» Qu'y a t-il à ajouter à cette consigne de saint Augustin, ce bougnoule?...
1.Chems Eddine Chitour http://www.mondialisation.ca/les-banlieues-europeennes-des-territoires-abandonnes-par-les-pouvoirs-publics/5336465?print=1
2.http://reseauinternational.net/le-bamboula-histoire-dune-injure-raciste-ancree-dans-limaginaire-francais/#BEF60OVs5hpPztzL.99
3.http://section-ldh-toulon.net/noir-donc-suspect-forcement.html lundi 13 février 2017
4. René Naba http://www.voltairenet.org/article143598.html
5.https://www.monde-diplomatique. fr/2002/10/MASCHINO/9461
6.http://www.deshumanisation.com/continuite/toujours-en-cage/61-negre-banania-y-a-bon
7. http://arretsurinfo.ch/theo-et-les-autres-ou-le-racisme-institutionnel-en-france/
8. Mercier Jean-Louis http://www.chevenement.fr /Sauvageon-versus-racaille_a277.html
9.http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/epitre-aux-francais-de-souche-vous-154196


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