Au moment où un vent de liberté inédit commençait à souffler sur l'Algérie après les événements d'Octobre 1988, Mouloud Mammeri a quitté ce monde. C 'était dans un accident de la circulation, survenu à Aïn Defla. Mouloud Mammeri était au volant de sa petite voiture quand un méchant arbre s'est abattu sur lui à cause des intempéries. Le destin. L'écrivain revenait du Maroc où il avait pris part à un colloque. Dix jours avant son décès, Mouloud Mammeri avait rendu visite à Matoub Lounès qui était hospitalisé à Alger après avoir reçu plusieurs balles de la part d'un gendarme dans la foulée des événements d'Octobre 1988. Quelques mois plus tard, le 28 octobre de la même année, Kateb Yacine, un grand écrivain aussi, a rendu l'âme. Voilà un peu le contexte dans lequel est intervenue la mort prématurée de Mouloud Mammeri qui aurait encore pu beaucoup donner aussi bien à la littérature algérienne d'expression française qu'à la langue et culture amazighes. Depuis l'apparition de «La colline oubliée», son premier roman, Mouloud Mammeri n'a pas cessé d'écrire et de publier des ouvrages, devenus aujourd'hui une référence incontestable. Dès ce premier roman, Mouloud Mammeri s'est imposé comme un grand écrivain. Jalousé par une poignée d'intellectuels algériens, ces derniers, auxquels il est inutile de faire la publicité, n'ont pas hésité à pondre même un écrit pour «dénoncer» l'absence d'engagement dans ce roman. Alors que toutes ses valeurs littéraires ont été sciemment éludées. Des décennies plus tard, l'un de ces intellectuels se repent et reconnaît qu'il s'était trompé en réservant une telle réaction à un très beau roman écrit par un Algérien. De son côté le géant égyptien, Taha Hussein, n'a pas hésité à exprimer des louanges sincères après avoir lu une traduction de «La colline oubliée». L'avis de Taha Hussein équivaut à un grand prix littéraire. Mouloud Mammeri poursuit l'exploration de la société algérienne en général et kabyle en particulier, cette fois-ci, en abordant la guerre de Libération nationale. Son roman «L'opium et le bâton» est un chef-d'oeuvre en la matière, qui peut en disconvenir. Après l'indépendance d'ailleurs, un autre chef-d'oeuvre cinématographique en sera tiré. Le film est réalisé par Ahmed Rachedi et aujourd'hui, il demeure une référence quand il s'agit d'aborder la guerre d'Algérie à travers le septième art. Deux autres romans seront écrits par Mouloud Mammeri avant que ce dernier ne décide de revenir aux sources. Il s'agit de «La traversée» et du «Sommeil du juste». Puis Mouloud Mammeri, en chercheur et anthropologue compétent, sillonnera les régions berbérophones d'Algérie pour sauver de l'oubli plusieurs pans de notre histoire et de notre langue et culture amazighes. Mouloud Mammeri est allé dans le Grand Sud et dans la Kabylie profonde pour cueillir, traduire et analyser des mots, des textes et des poèmes amazighs menacés de disparition. Sur les traces de Boulifa, Mammeri a d'abord fait la collecte des poèmes des grands poètes kabyles anciens à l'image de l'inénarrable Si Mohand Ou Mhand, du sage Cheikh Mohand Ou Lhocine et du révolté Youcef Oukaci et tant d'autres. En plus de les avoir transcrits, Mammeri les a traduits en français et leur a consacré des études qui ont servi d'introductions aux différents ouvrages qui en découleront. Ainsi, en 1969, Mouloud Mammeri publie «Les isfras de Si Mohand Ou Mhand, textes berbères et traduction», aux éditions Maspero. Ce livre sera suivi, en 1980, par «Poèmes kabyles anciens, textes berbères et français». Juste après la parution de cette compilation, Mouloud Mammeri est invité par un groupe d'étudiants pour animer une conférence à l'université de Tizi Ouzou. La conférence est interdite. La suite est connue: le printemps berbère. La collecte des poèmes kabyles anciens se poursuit et donne naissance, huit ans plus tard, au dernier livre de Mouloud Mammeri, édité à titre posthume. Il s'agit de «Yenna-y-as Chikh Mohand». Entre-temps, et toujours dans le domaine de la recherche amazighe, Mouloud Mammeri a consacré plusieurs livres aux autres variantes berbères d'Algérie comme «L'Ahellil du Gourara», «Le lexique français-Touareg», etc... Mouloud Mammeri est l'auteur de la première grammaire de langue amazighe, publiée en 1976 aux éditions Maspero. D'ailleurs, l'appellation de la transcription amazighe actuelle est dérivée de son nom «Tamâamrit». C'est dire l'apport incommensurable de Mouloud Mammeri à la langue amazighe et à sa réhabilitation. Quand il fallait réaliser le premier long métrage en langue amazighe en 1994, le choix est vite fait: «La colline oubliée». Dommage que Mouloud Mammeri était déjà parti. Il n'a pas pu visionner ce film réalisé dans la langue qu'il aimait tant: tamazight.