Au départ, un lemming, une sorte de hamster scandinave, qui ne supporte pas du tout le voyage, au-delà de son aire géographique naturelle. Mais voilà, dans le film éponyme, de Domink Moll, qui ouvre la compétition, cette petite bête va avoir la mauvaise idée de se laisser coincer dans le syphon de l'évier. Et comme il ne s'agit donc pas d'un lavabo, c'est donc, et à défaut d'une douche écossaise, à une invitation dans la cuisine intime d'un couple de trentenaires (Charlotte Gainsbourg et Laurent Lucas) que nous convie le cinéaste français. Et pour que la table soit tout à fait dressée, Charlotte Rampling et André Dussolier (dans son meilleur rôle depuis bien longtemps) se sont mis de la partie... Lors d'une précédente collaboration sur un scénario, Gilles Marchand nous avait énoncé une règle scénaristique bien particulière (et très efficace du reste) : «Quand ton personnage est à terre, frappe-le!». Marchand coscénariste de tous les films de Moll a, depuis, réalisé son propre film Qui a tué Bambi ?... Et cette règle a fait son chemin... C'est donc avec une certaine curiosité que nous avons voulu vérifier sa pérennité dans Lemming... Gilles Marchand étant toujours là, à la coscénarisation. Verdict : C'est toujours imparable ! c'est même ce qui rend cette histoire, qui zigzague entre l'atmosphère kubrickienne et le côté fantastique de David Lynch, encore plus forte. «J'aime situer mon histoire sur la crête, entre réalité et rêve» confie Dominik Moll. Un quotidien français a titré hier, qu'il s'agissait, avec Lemming, du meilleur scénario français depuis longtemps... Faut pas exagérer !... Reste que si l'incursion dans le fantastique (surgie, tel le lemming dans le syphon), aide à résoudre une équation scénaristique venue se poser dès la première demi-heure du film, il n'en demeure pas moins que l'hésitation entre deux genres narratifs (sans doute voulue) altère un tant soit peu la démonstration in fine, qui est, elle, intéressante à plus d'un égard... La thématique, à interroger dans tout scénario, qui est différente du thème, bien sûr, est dans Lemming assez bergmanienne ou proche de Hitchcok, celui de Pas de printemps pour Marnie le film le plus proche des préocuppations de l'auteur scandinave de Cris et Chuchotements... La thématique se résumerait, ici, ainsi : à force de tout contrôler, de se «carapacer», Alain (Laurent Lucas) veut, peut-être, inconsciemment que les choses lui échappent ... «pour mettre du piquant dans sa vie», réplique en écho le cinéaste, histoire de valider cette idée. Alors, une idée en or tombe à ce moment précis «sur» le scénario : suggérer au personnage incarné par Dussolier de «passer outre le sentiment de culpabilité». Dès lors, les portes sont ouvertes au déploiement et la jubilation de Moll est largement perceptible au point de devenir euphorique et de laisser la musique ( David Withaker, himself, les amateurs des Stones comprendront) déborder et par trop souvent précéder l'action, à défaut de l'accompagner ou de la conclure... Charlotte Rampling qui a retrouvé une autre impulsion avec le très beau Sous le sable, ce film fait avec des bouts de ficelle ( 35 et 16m/m) par Ozon en 2001, confirme définitivement son retour, ici sur la Croisette. Ici, elle tutoie Faye Dunawaye, celle que Polanski a façonné, du temps de sa période américaine : Rose Mary's baby n'est pas loin... Les photographes, en smoking, pour la montée des marches, ont flashé à n'en plus finir cette dame à part dans le cinéma français. A juste titre d'ailleurs. Pendant ce temps, les lampions cannois un à un, se sont allumés pour laisser se mouvoir entre ombres et lumières, les silhouettes festivalières venues par milliers humer l'air du temps, comme on hume une peau au retour de la plage...