«Avec le choeur, le rêve d'inscrire la polyphonie méditerranéenne dans l'histoire de la musique classique n'est plus une utopie» dixit Jean-Paul Poletti. Sartène. Ce mot a quelque chose d'étrangement exquis. Sartène, à force de le retourner dans sa bouche, on s'en fait une petite image qui grandit. Sartène, c'est une lueur fugitive rejaillie de l'obscurité. Une lueur qui renvoie droit à ces villages d'une Europe médiévale. D'une Corse combattante et combative. Ajoutons à ce nom quelques petits ornements, sans toutefois verser dans l'emphase, genre Choeur d'hommes de Sartène. C'est génial ! Choeur d'hommes de Sartène est, au premier abord, un choeur classique au chant polyphonique. Il atteste de la riche tradition corse. Composé de sept hommes et dirigé par Jean-Paul Poletti, cette troupe s'est produite avant-hier, dans la soirée à la salle Ibn Khaldoun d'Alger. Les spectateurs n'étaient pas nombreux, mais initiés et curieux. Il est toujours important de découvrir de nouveaux visages, sans masques : les cultures. Les chanteurs, tous de noir vêtus, semblent sortir droit de quelque monastère du Midi. Leur dirigeant, Jean-Paul Poletti, un homme d'un âge certain, entonne, dès le début, une chanson qu'on ne peut comprendre. Sans importance, car il se trouve que parfois, on n'éprouve nul besoin de connaître une langue pour se laisser bercer par ses chansons. C'est le cas du corse. A la fin de la première chanson, le «gourou», un peu chauve, fait quelques pas vers le devant de la scène, ses disciples derrière lui, sages comme ces moines tibétains et déclare à l'assistance: «C'est la première fois que nous venons ici en Algérie. Ce soir, au zénith, une étoile scintille plus que les autres astres. C'est une sentinelle qui nous observe d'en haut. Elle est heureuse et nous sommes tristes. Ma pensée va ce soir à Athmane Bali. Je veux lui dire merci». Le message va droit au coeur. C'est triste, mais en ces moments de douleur, un mot de compassion vaut une goutte d'eau fraîche donnée à un être perdu dans le désert. Après cela, les berceuses commencent à pleuvoir, ou plutôt à bruiner. O Lisabella en est une. «O Lisabella raconte l'histoire d'une femme promise à quelqu'un mais il se trouve qu'elle est amoureuse d'un autre avec qui elle part. Cependant, elle fut vite retrouvée par les siens avant d'être ramenée de force au village. Cette chanson a été composée il y a de cela cent ans. Elle ressemble un peu à vos histoires» indique Poletti. Effectivement, cette chanson nous rappelle l'histoire de Hyzia. Donc à chacun sa Hyzia. Une autre chanson, dans le même style : Violetta. «Cette chanson parle d'un homme qui va à la guerre, mais qui a voulu prendre avec lui sa fiancée. Cette dernière refuse de l'accompagner parce qu'à la guerre on ne mange pas bien et on dort trop mal. Le soldat, connaissant la candeur de sa fiancée lui promit que dans ces lieux de bataille, on dort sur des lits de fleurs et on mange très bien» explique Jean-Paul Poletti. Après quoi, on ne peut qu'apprécier le spectacle. On ne peut qu'apprécier toutes ces voix qui semblent naître de nulle part: c'est-à-dire des profondeurs abyssales du coeur. Le Choeur d'hommes de Sartène a été crée en 1995 et est composé de sept hommes dont les voix puissantes donnent au choeur sa force. Allant du choeur classique au chant polyphonique, le répertoire est empreint de toute la tradition corse. En ce qui concerne Jean-Paul Poletti, il a mis en place, dès 1987 à Sartène («la plus corse des villes corses» dirait Mérimée), une école de chant, s'ouvrant à tous les genres : populaire, classique , lyrique, religieux...