«Notre objectif aujourd'hui est de restituer les centaines de films dont les négatifs sont stockés dans les pays étrangers», indiquera le ministre de la Culture. En présence de nombreux experts en la matière, Azzedine Mihoubi a donné, hier matin, le coup d'envoi des travaux du Colloque international autour de «La mémoire des films: préserver le patrimoine cinématographique» qui s'étalera jusqu'à aujourd'hui en fin de journée. Le ministère de la Culture indiquera que ce colloque intervient dans le cadre du 60e anniversaire de la naissance du cinéma algérien, arguant que l'Algérie a servi de décor pour les premiers films des frères Lumière. «Notre objectif aujourd'hui, est de restituer les centaines de films, dont les négatifs, sont stockés dans les pays étrangers, tout en invitant ces derniers à collaborer ensemble.» Organisé par le ministère de la Culture, en partenariat avec l'Union européenne, cette rencontre s'inscrit dans le cadre du programme d'Appui à la protection et valorisation du patrimoine culturel en Algérie. A ce propos M.Jhonn O'Rourke, ambassadeur de l'Union européenne en Algérie, fera remarquer: «20 millions d'euros ont été débloqués par l'UE dans le cadre du Programme de sauvegarde du patrimoine cinématographique algérien dont cinq millions d'euros demandés par l'Etat algérien, chose acceptée par les Etats mem-bres» de l'UE. O'Rourke évoquera la restauration de la Casbah et du tombeau de Imdghassen, deux sites classés qui font partie du programme pilote de valorisation du patrimoine instauré depuis trois ans. Il insistera sur le fait que la coopération culturelle permet de combattre les préjugés, notamment arguant sa volonté de lutter aussi contre le repli identitaire pour un meilleur vivre ensemble et ce, grâce à la culture également qui peut susciter et créer des puissances économiques. Faycal Ouaret, directeur du programme Patrimoine, indiquera que les problèmes liés à la restauration ont été enfin identifiées et des actions concrètes ont été menées pour ce faire dans ce sens, dont de nombreux vieux films algériens ont été bénéficiaires. Former un citoyen africain Pourquoi ce colloque donc? Il s'agit, nous affirme-t-on d'emblée, d'aborder, d'élaborer et d'initier à long terme un plan d'action pour la préservation du patrimoine cinématographique à travers la mémoire des films et d'accompagner la mise en application d'une politique nationale en matière de préservation du patrimoine audiovisuel. Le président du comité scientifique du colloque, Ahmed Bedjaoui, a annoncé dans un communiqué et réitéré hier matin, lors de l'ouverture de cet événement, que ce colloque «vient après de gros efforts consentis depuis une dizaine d'années par la Cinémathèque algérienne sous la conduite des responsables du secteur culturel, pour permettre de renouer avec son glorieux passé, mais en plaçant l'action avant la nostalgie».Dans son texte de présentation, Ahmed Bejdaoui fait savoir que «la mise sur pied d'une programmation de films à travers le territoire national algérien, la réalisation d'une exposition à la Cinémathèque algérienne attestent de la volonté des organisateurs de ne pas limiter le patrimoine cinématographique aux seuls films sous leur forme immatérielle (les droits liés à leur exploitation commerciale et non-commerciale) ou matérielle (les films sur tous les supports connus ou à venir). Il est important d'élargir cette définition du patrimoine filmique à tous les éléments ayant concouru à la naissance, puis à la carrière d'un film. J'entends par là les archives, scénarios, costumes, matériel technique, trailers, making-of, mais aussi les écrits des critiques et historiens du cinéma qu'il est crucial de sauver ou de sauvegarder pour attester de toutes les étapes qui, de l'idée initiale à la présentation au public, ont jalonné l'aventure que représente la carrière d'un film.» Et d'ajouter aussi: «Face aux techniques de restauration et défis technologiques liés à la préservation des films, nous aurons à échanger sur des questions essentielles telles que: doit-on numériser pour conserver? Quid des durées de vie de supports comme le DCP face au support film couché sur une émulsion? Que faire de ces copies de films nitrates inflammables et doit-on toutes les garder? Quelles stratégies mettre en place pour aboutir à un plan de sauvegarde et de valorisation de notre patrimoine filmique? Ce sont ces questions et bien d'autres qui ont guidé nos travaux au sein du comité scientifique qui a mis sur pied les grands axes de ce colloque.» Des questions soulevées qui interviennent au moment où déplore-t-il: «Beaucoup de pays africains, dont l'Algérie, ne disposent pas de blockhaus ou de laboratoires capables de faire rapatrier leurs négatifs. Faut-il continuer à dépendre des structures commerciales étrangères pour le tirage des copies, sachant pertinemment que la numérisation de copies et leur transfert sur DCP n'est qu'une solution aussi palliative qu'éphémère?» De la transmission impérative de la mémoire Parmi les initiatives qui ont été prises, il cite l'aménagement d'espaces dans les étages supérieurs de la Bibliothèque nationale pour stocker les milliers de copies-films dont dispose la Cinémathèque algérienne. Des opérations de numérisation et la présentation d'une copie restaurée du film mythique «Tahia ya Didou» réalisé par Mohamed Zinet en 1971. Film qui a été projeté dans sa nouvelle forme rénovée, en outre, hier soir, en exclusivité à la Cinémathèque algérienne.. Parmi les intervenants d'hier matin on citera Aboubakar Sanogo, secrétaire régional de la Fédération panafricaine des cinéastes (Fepaci) qui a abordé la question: «Des enjeux d'une politique archivistique continentale pour la préservation de la mémoire cinématographique africaine.» Réalisant enfin le rêve de mettre le pied en Algérie, la fameuse Mecque des révolutionnaires, se demandera par ailleurs ce que deviennent aujourd'hui les archives de la lutte pour l'indépendance algérienne, mais aussi celles de tous les pays africains?. Il appellera à la constitution «d'un citoyen africain à même de prendre conscience de sa mémoire commune en se ressourçant dans ce passé collectif de l'Afrique». Un travail de «transmission de la mémoire de la cinémathèque» qui, estime-t-il «ne se porte pas très bien. Elle est même éclatée alors que c'est notre héritage colonial». Il soulignera ainsi le manque de conservation et de textes qui légiféraient, notamment les lois sur les archives et ce, dans une époque marquée par les difficultés de changement politique. «Malgré tous ces problèmes il y a des gens qui travaillent à l'intérieur de ces archives.» Et de citer la Cinémathèque de Ouagadougou ainsi que la radio, et d'appeler à organiser «les états généraux pour la sauvegarde des archives d'Afrique». Restitution, conservation, restauration et construction Enfin Ahmed Atef, réalisateur et producteur égyptien interpellera «la situation du patrimoine cinématographique en Egypte». Le réalisateur égyptien avouera dépité que les trois quarts du patrimoine cinématographique égyptien se trouve entre les mains de la chaîne saoudienne Rotana qui «manipule» à sa guise ses films. Il se demandera ce que devient le projet d'une Cité du cinéma qui tarde à voir le jour en Egypte. Ce que l'Egypte, «Oum El Dounia» n'aura pas pu réaliser jusque-là, la Tunisie le fera incessamment avec l'inauguration en mars prochain d'une cité commerciale, avec deux salles de cinéma, un musée d'art contemporain etc. Un lieu pôle culturel qui se situera en plein centre de l'avenue Bourguiba. Pour en parler, le colloque a invité hier Hichem Ben Ammar, directeur de la Cinémathèque tunisienne qui soulèvera pour sa part la problématique de «la préservation du patrimoine cinématographique tunisien» mais aussi Mohamed Challouf, conseiller artistique et responsable des relations extérieures de la Cinémathèque tunisienne qui, pour sa part, a dressé un tableau schématique sur ce qu'est «Ma mémoire, ta mémoire et la mémoire du monde». Pour sa part, Gian Luca Farinelli, directeur de la cinémathèque de Bologne s'est interrogé sur la nécessité de la conservation. Mme Cecilia Cenciarelli, chef de projet de la World Cinema Project (Film Foundation et Cinémathèque de Bologne) a présenté ses solutions pour la formation de ce qu'elle appelle «The African Film Heritage Project». L'après-midi décliné en une séance plénière dédié à l'«état des lieux et enjeux pour nos archives» a été marqué par l'intervention de nombreuses personnalités dont outre Mme Béatrice de Pastre, directrice des collections du Centre national du cinéma et de l'image animé (CNC) qui abordera la tumultueuse question à plusieurs équations «sauvegarder - restaurer - du plan nitrate au numérique: le CNC au service du patrimoine cinématographique», D'autres thématiques doivent être traitées aujourd'hui lors des différents ateliers. Le premier a trait à comment «identifier, documenter et restaurer». A ce propos, une table ronde entre autres sera organisée, laquelle sera animée par Mme June Givanni et Olivier Hadouchi. Le second atelier aura pour but d'identifier les mécanismes en définissant «quelles politiques pour la conservation en Algérie?». Pour ce faire autour du réalisateur Abdenour Zahzah qui, pour le coup, sera le modérateur du débat. Des intervenants répondront à cette question épineuse dont un représentant des Archives nationales, un représentant des Archives de l'Armée, Mme Leila Haouès, directrice des archives de la télévision et enfin un représentant du ministère des Moudjahidine. Le dernier atelier aura pour thématique «Quelles stratégies pour la préservation? Collaborer pour préserver le cinéma algérien et africain. Perspectives de coopération». Les résultats et recommandation du colloque seront dévoilés à 18h30.