Ce n'est pas une blague. Les Américains courent depuis 24 heures derrière le fantôme de Ben Laden ! Après s'être rendus à la triste évidence qu'il est devenu introuvable sous les décombres de Kandahar ou parmi les cadavres de sa légion arabe récupérés sur les monts enneigés de Tora Bora, les Américains vivent, avec le crève-coeur que l'on s'imagine, leur première et grande désillusion de la nouvelle guerre d'Afghanistan. Le président Bush, ses ministres, les généraux américains aidés des meilleurs stratèges du Pentagone, leur commandement de l'état-major des forces terrestres et aériennes, la CIA et les autres corps d'armée confondus qui ont planifié, mené et exécuté cette guerre ne sont pas encore remis de leur déception. «Il n'y a plus de piste Ben Laden», leur a-t-on confirmé au moment même où l'Amérique croyait, à la faveur des fêtes de fin d'année, pavoiser et avoir fini son exorcisme avec les forces du Mal. A Washington, à New York et dans les principales villes américaines, l'on est revenu à la triste et réelle évidence, qu'après sa fuite d'Afghanistan, persister encore à arrêter Ben Laden équivaudrait à chercher, selon le vieux proverbe, une aiguille dans une botte de foin. Recherché mort ou vif, le plus grand terroriste de l'Histoire a réussi à ridiculiser encore l'Amérique en se soustrayant aux plus fins limiers de la planète lancés à ses trousses. Ni la récompense alléchante de 25 millions de dollars offerte par Bush pour obtenir des renseignements pouvant conduire à sa capture, ni les traditionnelles rivalités tribales afgho-afghanes sur lesquelles l'on avait tablé pour espérer le neutraliser, ni encore moins les informations précieuses attendues des services spéciaux pakistanais n'ont, jusqu'ici, permis d'éliminer ce grand méchant loup. Aux grands espoirs, les grandes déceptions. Cela explique aisément le climat de rage et de désespoir qui régnait depuis les dernières vingt-quatre heures à la Maison-Blanche, au Pentagone et au département d'Etat. La puissante Amérique, avec toute son armada, a laissé filer sous son nez son ennemi le plus irréductible. Pour Bush, il y a de quoi frôler la dépression. «Cherchez encore!», intime-t-on l'ordre de Washington aux généraux crapahutant en Afghanistan. La bannière étoilée et sa gloriole ont pris un sérieux coup. Ben Laden reste toujours introuvable. VIVANT. Pour preuve, il ne figure ni parmi les cadavres de ses légendaires commandos de la Qaîda ni encore moins parmi les prisonniers auxquels l'on n'a pas réussi à arracher la moindre bribe d'information sur son existence. Sans coup férir, Ben Laden humilie, pour la deuxième fois, l'Amérique! L'idée même d'imaginer Ben Laden se faire arrêter aussi facilement, en Afghanistan, comme un vulgaire malfrat d'un film de série B friserait la naïveté, surtout quand ont lui connaît les performances qui sont les siennes en matière de dissimulation et d'anticipation des événements. En échappant aux mailles des filets américains, Ben Laden leur fait courir un nouveau danger. Celui de récidiver, à tout moment, par de nouvelles actions contre des objectifs américains. Cette hypothèse rend fou de rage l'Américain sur les surprises que pourrait encore lui réserver une riposte de cet ennemi. La CIA, le Pentagone, qui bannissent pourtant tout simplisme, peuvent-ils à ce point, naïvement pouvoir «loger» Ben Laden dans l'une des grottes de Tora Bora après avoir cru, selon eux, intercepter sa voix à travers les ordres qu'il transmettait par radio à ses troupes? L'arrogante Amérique serait-elle donc un géant aux pieds d'argile, car ne vient-elle pas de nous assener l'impitoyable image de son impuissance, de sa vulnérabilité en s'obstinant à courir après le mirage? Tels qu'ils ont été planifiés et conduits, les attentats du 11 septembre relèvent de l'exploit. Leur cerveau a désormais un nom: Ben Laden. De mémoire d'homme, jamais une telle opération n'a été imaginée dans les meilleurs scénarios ou menée par d'intrépides commandos américains. La «guerre de Ben Laden» à l'Amérique figurera désormais dans le Guinness Book. N'a-t-il pas castré la puissante Amérique en l'espace de 60 minutes en détruisant les deux tours du World Trade Center, en frappant le Pentagone ave roisième Boeing et en ratant de faire subir le même sort à la Maison-Blanche n'eût été le crash de ce quatrième avion détourné? Pour réussir ce «coup du millénaire», Ben Laden a recruté et formé ses hommes qu'il a dépêchés ensuite aux USA pour suivre des cours de pilotage. Au jour J, à l'heure H, ces bombes volantes ont attaqué l'Amérique. La machine était bien huilée. Ses rouages ont fonctionné à une perfection qui relève du miracle divin! Comment donc imaginer qu'un tel homme, jouissant de capacités aussi géniales - mais certes diaboliques - n'ait pas songé à préparer sa parade à d'inévitables représailles américaines pour se faire piéger dans l'une des souricières de la montagne de Tora Bora? Une telle option serait absurde. La surprise est celle qui consiste à croire que Ben Laden pouvait être arrêté en Afghanistan! S'il est insaisissable, c'est qu'il a tout prévu. Et les cassettes vidéo, diffusées tant par Al-Jazira que par le Pentagone, n'ont-elles pas été communiquées dans le dessein évident de fourvoyer ses ennemis? Cela s'appelle un leurre médiatique. Il est réel. Et ce n'est pas un jeu de mots. Ces documents vidéo ont été, peut-être, réalisés dès le lendemain immédiat des attentats. Riche comme Crésus et disposant de réseaux de soutien dans le monde et dont il n'est pas utile de démontrer encore l'efficacité et la discrétion, Ben Laden s'est déjà transformé incognito, dans quelques lointaines contrées, en un paisible rentier ou homme d'affaires après être passé sous le bistouri d'un chirurgien en esthétique aux doigts de fée, changeant de visage et d'allure. L'armée américaine n'a pas seulement laissé échapper Ben Laden, mais aussi 2.000 de ses hommes armés d'Al-Qaîda! Ils auraient réussi à quitter l'Afghanistan, aussi facilement qu'ils y sont entrés. Les Etats-Unis n'ont pas gagné leur guerre d'Afghanistan. Je crois qu'ils l'ont déjà perdue, hélas!