La venue en France du président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, a déclenché un tollé parmi les ONg et les défenseurs des droits de l'homme La visite en France du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, dénoncé pour son bilan «catastrophique» en matière de droits de l'homme, est considérée par les ONG comme un test crucial pour Emmanuel Macron, sommé de mettre fin à la «scandaleuse tolérance» de Paris envers Le Caire. M. al-Sissi effectue depuis lundi une visite officielle de trois jours et devait rencontrer pour la première fois hier à l'Elysée M.Macron depuis qu'il a été élu président. La France, qui entretient d'excellentes relations commerciales et sécuritaires avec l'Egypte, vue comme un «rempart» contre le terrorisme dans une région en constante ébullition, a promis que la situation en matière de droits de l'homme serait abordée dans cet entretien. Mais plusieurs ONG, dont Human Rights Watch, Amnesty International, la Fidh et Reporters sans frontières, ont souligné que l'Egypte connaît «la pire crise des droits humains depuis des décennies» et réclamé à la France des signes concrets pour mettre fin à son «silence», voire sa «tolérance». «Ce sera pour nous un test diplomatique crucial. M.Macron fait des déclarations publiques fortes, des discours vibrants. Maintenant, il est urgent qu'il mette concrètement en actions ses discours», a déclaré la directrice France de HRW, Bénédicte Jeannerod, au cours d'une conférence de presse à Paris lundi. Elle a notamment demandé que le soutien de Paris au gouvernement égyptien soit lié à des améliorations tangibles dans le domaine des droits de l'homme. «Nous comptons sur vous pour rappeler que la France ne cautionne pas les pratiques répressives de l'Egypte et estime que des réformes significatives en faveur des droits humains, de la démocratie et de la société civile doivent être engagées», ont souligné de leur côté dans une lettre conjointe à Emmanuel Macron les ONG EuroMed Droits, Coordination Sud, Fidh, l'Institut du Caire pour l'étude des droits de l'homme et RSF. Elles appellent M. Macron à demander au président égyptien «de mettre un terme à la campagne de criminalisation des défenseurs (des droits humains)». Depuis 2015, l'Egypte a conclu des contrats d'armement avec la France pour plus de six milliards d'euros, comprenant notamment 24 avions de combat Rafale, une frégate, deux porte-hélicoptères Mistral et des missiles. M.al- Sissi doit rencontrer des entrepreneurs à l'occasion de sa visite. Il verra aussi des ministres, dont son «ami» Jean-Yves Le Drian, l'actuel chef de la diplomatie, qui a piloté ces ventes d'armes majeures avec le Caire lorsqu'il était ministre de la Défense sous l'ex-président François Hollande. Dans une interview accordée lundi soir à la chaîne France-24, M. al-Sissi a affirmé qu' «il n y a pas de détenus politiques en Egypte», assurant que tous les détenus sont interrogés et déférés devant les tribunaux selon les procédures judiciaires normales. Il a également confirmé qu'une «coordination existait» avec la France pour favoriser une solution politique en Libye, pays vers lequel les jihadistes vaincus en Syrie et en Irak «vont bouger», selon lui, de même que vers l'Egypte, le Sinaï et l'Afrique de l'ouest. «L'Egypte souhaite atteindre l'équilibre nécessaire entre les droits et les devoirs des citoyens d'une part, et les défis sécuritaires de la lutte contre le terrorisme d'autre part», a encore déclaré le président égyptien dans une interview au quotidien Le Figaro, reconnaissant que «c'est une équation parfois difficile lorsque votre responsabilité est de sécuriser cent millions de citoyens». A propos de l'islam, M. al-Sissi entend «corriger les interprétations erronées des préceptes religieux érigés en prétextes idéologiques pour justifier la violence et le terrorisme». Pour la France, l'Egypte est «l'élément central de la stabilité régionale» et Paris travaille avec «dans un esprit de confiance et d'efficacité» selon un responsable gouvernemental, qui se défend de mettre la question des droits de l'homme sous le boisseau. La rencontre entre MM. Macron et al-Sissi «permettra d'évoquer les sujets d'intérêt commun comme les crises régionales et la lutte contre le terrorisme, mais également la situation des droits de l'homme», indiquait la semaine dernière l'Elysée. Toutefois, Paris revendique aussi la discrétion en la matière: «Si on arrive en leur disant ce n'est pas bien ce que vous faites, ce n'est pas efficace. Ce qui peut marcher, c'est d'évoquer des cas précis. Il faut être têtu mais discret», selon une source diplomatique. «Il faut en parler publiquement», réplique Hussein Baoumi, responsable de campagne sur l'Egypte pour Amnesty International, pour qui «le silence des gouvernements étrangers» encourage la répression. Mais pour Mohamed Zarea, vice-président de la Fidh, «la question n'est pas de critiquer, d'émettre des réserves, mais d'agir». Abdel Fatah al-Sissi est arrivé au pouvoir en 2013, après avoir destitué le président islamiste démocratiquement élu Mohamed Morsi. La répression s'est abattue en priorité sur les Frères musulmans, mais a touché peu à peu toute l'opposition, les médias, les ONG et la société civile. «Il n'y a plus aucun espace pour la contestation, de quelque ordre qu'elle soit, en Egypte. Une seule opinion est permise, c'est l'opinion d'Etat», a dénoncé Hussein Baoumi.