Il a jeté un véritable pavé dans la mare à l'adresse des pays tels que le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Sénégal et d'autres habitués d'un tête-à-tête «privilégié» avec la France, depuis la mise en place des réseaux Foccart dans les années 80. Le sommet Union africaine - Union européenne a débuté hier à Abidjan, en Côte d'Ivoire, en présence de 43 chefs d'Etat et de gouvernement africains dont le Premier ministre Ahmed Ouyahia, représentant spécial du président de la République et, du côté européen, les représentants des 28 Etats membres parmi lesquels plusieurs chefs d'Etat comme le président français Emmanuel Macron. Celui-ci avait entamé une tournée dans la région avant même l'ouverture du sommet et son séjour au Burkina Faso aura, en quelque sorte, dessiné les contours de sa stratégie pour le continent. Temps fort de l'intervention du président Macron devant 800 étudiants réunis dans l'enceinte de l'université de Ouagadougou, après un accueil plutôt mouvementé, un message surprenant dans lequel il annonce la fin de la Françafrique. Avant que de se rendre au Ghana, pays anglophone dont la relation avec Paris est beaucoup plus économique que politique, il a jeté un véritable pavé dans la mare à l'adresse des pays tels que le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Sénégal et d'autres habitués d'un tête-à-tête «privilégié» avec la France, depuis la mise en place des réseaux Foccart dans les années 80. Mis à part les traditionnels discours et le programme officiel d'un sommet qui promet de se consacrer à la jeunesse, mais dont les débats ne pourront en aucune façon occulter les enjeux de la menace sécuritaire et des flux migratoires qui affectent nombre de pays africains ainsi que l'Europe, le programme d'Emmanuel Macron paraît assez simple: la «construction de l'avenir», une idée chère à Thomas Sankara, président burkinabé assassiné, mais figure de proue d'une jeunesse africaine en mal de libération, a été brandie par le président français qui lui a d'ailleurs rendu hommage pour souligner la métamorphose d'une politique de pré carré africain en une politique de partenariat gagnant-gagnant qui se situe au-delà des nostalgies et des rancoeurs post-coloniales. On sait que le sommet verra abordées trois thématiques majeures, les opportunités économiques pour une jeunesse en désarroi, les enjeux de la migration et de la mobilité et la coopération entre les Etats membres des deux organisations. En clôture, une séance à huis clos sera également consacrée à la question de la gouvernance. Tout cela, pour Macron, c'est du rituel. Lui veut se montrer pragmatique, direct et efficace. Exit le protocole et, avec lui, la langue de bois. Un rien intempestif, il a bousculé les vieux ancrages et les certitudes de beaucoup. Le chef de l'Etat burkinabé en sait quelque chose, quelques mois après son homologue malien. La preuve, un seul passage du discours devant des étudiants médusés qui ont découvert un Macron charmeur, enjoué, parfois complice, volontiers usant de la gouaille et de la raillerie, mais pleinement conscient que, par-delà les 800 jeunes burkinabés, des dizaines de millions de téléspectateurs seraient à l'écoute d'une méthode et d'un message terriblement novateurs. «Je ne suis pas, a-t-il clamé, venu ici vous dire quelle est la politique africaine de la France comme d'aucuns le prétendent. Parce qu'il n'y a plus de politique africaine de la France! Il y a une politique que nous pouvons conduire, il y a des amis, il y a des gens avec qui on est d'accord, d'autres non. Mais il y a surtout un continent que nous devons regarder en face. (...) Cela a quelque chose de terriblement arrogant d'expliquer qu'il y aurait une homogénéité complète; cinquante-quatre pays, avec autant d'histoire, avec plus encore d'ethnies et de langues. (...) Je parlerais donc ici devant vous de l'Afrique comme d'un continent pluriel, multiple, fort, où se joue une partie de notre avenir commun.» Objet sensible du sommet, cet avenir commun ne peut se construire, a plaidé Emmanuel Macron, que si on transcende, une bonne fois pour toutes, la question coloniale qui appartient aux générations précédentes. C'est le socle indispensable dont se pare sa vision de la coopération et des échanges que la France souhaite désormais avoir avec tous ses partenaires africains, loin des griefs de jadis et des suspicions de conjecture. Jouant allègrement sur la fibre révolutionnaire, il a souligné son appartenance à «une génération dont l'un des plus beaux souvenirs politiques est la victoire de Nelson Mandela et son combat contre l'apartheid. Je suis d'une génération de Français pour qui les crimes de la colonisation européenne sont incontestables et font partie de notre histoire. (...) Je suis d'une génération où on ne vient pas dire à l'Afrique ce qu'elle doit faire, quelles sont les règles de l'Etat de droit, mais [qui] encouragera celles et ceux qui en Afrique veulent prendre leurs responsabilités, veulent faire souffler le vent de la liberté.» Ainsi, a-t-il balisé avant même son ouverture un sommet qui augure un temps de promesses et de belles paroles dont seul l'avenir dira la part de vérité.