L'Irak, Londres, Charm El-Cheikh sont autant d'étapes d'une guerre qui ne dit pas son nom. Fini donc le jeu, quelque peu subtil, du chat et de la souris, les protagonistes de ce sinistre simulacre mettent ainsi cartes sur table et affrontent, quoique gardant leurs masques, un monde qui s'est installé dans la psychose. Mais qui est donc cet ennemi, sans visage, qui a décidé de mettre la planète à feu et à sang? Al Qaîda? Existe-t-elle seulement? Le questionnement n'est pas aussi absurde qu'il pourrait le paraître et renvoie directement à l'instrumentalisation qui a été faite, ces dernières années, des groupes islamiques radicaux par les grandes puissances occidentales, notamment, et singulièrement les Etats-Unis. On ne peut pas comprendre l'évolution que connaît l'islamisme radical aujourd'hui si l'on ne revient pas à sa genèse première lorsque Washington, et quelque part Londres, ont cru pouvoir manipuler au profit de leurs intérêts ces groupes fanatisés à l'extrême pour des objectifs précis qui n'avaient rien à voir avec la paix et la sécurité dans le monde. Postulat auquel les Etats-Unis sont à tout le moins insensibles. Ces Etats-Unis qui, les premiers, ont ouvert la boîte de Pandore en armant et en formant les premières phalanges combattantes islamistes, sous la houlette du renégat saoudien, l'agent de la CIA, Oussama Ben Laden. Les Etats-Unis, alliés privilégiés de l'Arabie Saoudite? patrie du wahhabisme -idéologie rétrograde qui n'a que peu de rapport avec l'islam tolérant qui est celui de l'immense majorité de la communauté musulmane- ont soutenu lors de la décennie 1990 les islamistes de tout bord et notamment les islamistes algériens, soutenus par le royaume saoudien, que Washington voyait alors aux portes du pouvoir à Alger, les «experts» de la mouvance islamique internationale estimant même que les jours du pouvoir républicain en Algérie étaient comptés. C'est aux Etats-Unis, et singulièrement à Londres, que les commanditaires des sanglants attentats commis en Algérie avaient trouvé refuge, et pour nombre d'entre eux l'asile politique, -à l'instar de Anouar Haddam à Washington, Kamreddine Kherbane, Abdallah Anis, Mohamed Dnidni à Londres, Rabah Kébir en Allemagne et bien d'autres encore- mais continuaient, à partir de leurs sanctuaires en Occident, à superviser les tueries dans le pays du million et demi de martyrs. Cette dérive de l'islam, qu'est l'islamisme djihadiste, a été pour ainsi dire encouragée si elle n'a pas été voulue par ce même Occident dans son désir de garder la mainmise sur les ressources stratégiques de la planète, dont près de 70% des réserves de pétrole et de gaz se trouvent -comme par hasard- dans le monde arabe et musulman, ressources énergétiques dont Washington, notamment, ne veut pas perdre le contrôle. Forte de l'expérience saoudienne, où le wahhabisme s'est avéré un allié exemplaire exploitant, notamment, l'or noir saoudien au seul profit de l'Oncle Sam, les Etats-Unis sont allés jusqu'à préconiser, pour les pays arabes, des systèmes politiques similaires à celui en vogue à Riyad. Le fait est que ce scénario a totalement dérapé et le contrôle des phalanges combattantes islamiques échappa, du moins en tenant compte de la guerre tous azimuts décrétée par la nébuleuse islamiste Al Qaîda, aux stratèges ou apprentis sorciers, qui ont accouché de cette «lumineuse» idée de politiser l'islam à outrance. Aujourd'hui revenant, semble-t-il, à de plus justes rapports des événements, Washington excipe du fait que la lutte contre le terrorisme islamique serait «idéologique» et en appelle aux musulmans. Ce qui ressort d'un texte de deux hauts responsables de l'administration Bush, qui affirment, au lendemain des attentats de Charm El-Cheikh, que pour lutter contre le terrorisme dans le monde, «les musulmans seront nos principaux alliés», en estimant que «la lutte idéologique» contre le terrorisme sera «longue et difficile». Ainsi, dans une tribune publiée samedi par le New York Time, Stephen Hadley, conseiller à la sécurité nationale de M.Bush, et Frances Fragos, conseillère à la sécurité intérieure, indiquent: «Nous avons besoin de tous les citoyens, tous ceux qui aiment la liberté, pour se joindre au combat. Et dans ce combat, les gens que les terroristes veulent le plus dominer -le peuple d'islam- seront nos principaux alliés» et de poursuivre «Les musulmans sont le prix que les terroristes espèrent remporter. Ils sont aussi les victimes des terroristes, car les attaques suicide ont probablement tué et blessé plus de musulmans que de fidèles de n'importe quelle autre religion». Faisant référence aux derniers attentats, les deux auteurs déclarent: «Les attentats de Londres ont permis de montrer que nous faisons face à un ennemi déterminé à détruire notre mode de vie et à y substituer la vision fanatique d'une dictature théocratique» affirmant d'autre part que «A sa racine, le combat est une lutte idéologique, une guerre des idées qui nous engage tous, fonctionnaires et citoyens privés, quelle que soit notre nationalité». Les auteurs du texte omettent simplement de dire que leur pays avait été ces dernières décennies sinon le plus grand protecteur de «l'idéologie théocratique» telle qu'elle existe toujours en Arabie Saoudite - principal allié des Etats-Unis au Moyen-Orient- du moins très compréhensif avec la théocratie en cours à Riyad. La question n'est pas de culpabiliser sans raison les USA, mais le fait est patent: Washington a bel et bien encouragé l'extrémisme islamique jusqu'au moment où il en a été lui-même la victime. L'arroseur arrosé en quelque sorte. Aussi, pour lutter contre ce fléau, il faudrait une coopération internationale sans faille, sans conditions et surtout sans arrière-pensée politicienne. Ce qui est loin d'être évident dans un contexte international en pleine mutation où tout est prétexte à manipulation. Une telle lutte antiterroriste, -telle que la présentent les conseillers du président Georges W.Bush - ne peut être positive que si elle est placée sous l'égide des Nations unies, car l'éradication de ce fléau ne peu être l'apanage d'une seule puissance, aussi hégémonique soit-elle, comme le sont les Etats-Unis. Et comme cet ennemi sans visage a déclaré la guerre au monde entier, l'unilatéralisme américain ne peut que constituer un handicap pour venir à bout du phénomène Al Qaîda. De fait, les Etats-Unis doivent faire leur mea culpa et admettre les erreurs commises dans leurs relations avec l'islamisme en laissant à l'ONU, la seule instance internationale capable d'extirper ce fléau, de prendre en charge, avec l'aide de la communauté internationale, musulmane et judéo-chrétienne, la lutte antiterroriste. Car, le cavalier seul américain, tel qu'il est pratiqué, ne fera qu'embrouiller davantage les pistes au grand bénéfice des tenants de l'installation du chaos dans le monde.