Des questionnements autour d'une thématique pertinente «Que faire ensemble? Comment est-ce qu'on partage? Comment pense-t-on le monde autrement et l'avenir de ce continent et ses artistes?» sont les questions qui semblaient nécessaires à aborder par les intervenantes, invitées de Wassila Tamzali... Organisée par l'Institut français d'Alger, la 3ème Nuit des idées, a eu lieu (en partie) aux Ateliers sauvages, jeudi dernier. Placée sous la thématique «L'Imagination au pouvoir», cette belle rencontre a réuni deux importants acteurs culturels afin de débattre de la création artistique contemporaine en Afrique. Elle a réunis Marie-Anne Yemsi, commissaire indépendante et responsable des Rencontres de la photo à Dakar, Maria Diaf la directrice de l'Uzine, centre d'arts à Casablanca, et enfin l'artiste visuelle algérienne Amina Menia et bien entendu Wassila Tamzali directrice fondatrice des Ateliers sauvages- conceptrice et modératrice de cette table ronde. En introduction, la commissaire des rencontres de Bamako a présenté une sélection de photos déjà montrées dans les quartiers défavorisés à Dakar et dans les écoles. La directrice de l'Uzine a présenté pour sa part, sa structure qui se décline sur six étages à Casa, en faisant remarquer d'emblée que sa présence ici à Alger coïncide avec son souci de «découvrir des espaces similaires aux Ateliers sauvages, (comprendre notamment «Issue 89» dans le cadre de sa collaboration avec «Brokk'Art» de l'artiste Hania Zazoua, son vis-à vis algérien sur l'évènement «Inkylab» Ndlr). Pour introduire le débat, Wassila Tamzali posera tout de go, la question de savoir, «comment peut-on imaginer la manière qui nous permettra de dépasser les obstacles que rencontrent les artistes et la création artistique contemporaine en Afrique?» Et d'affirmer: «Nous avons ici trois exemples d'artistes qui ont trouvé les moyens pour sauter les obstacles.» Maria Diaf, indiquera que l'Uzine est financé 100% par une famille d'industriels qui met à la disposition de la jeune création et au public ses espaces, ce qui a permis d'en faire en très peu de temps, deux ans seulement, un espace incontournable à Casablanca. On ne rend compte à personne. Nous possédons deux galeries... Nous accordons beaucoup d'importance à la transmission, c'est pourquoi en tant qu'espace de travail et de création, il est important que cette jeunesse émergeante créative vienne rencontrer ses aînés. Nous sommes africains mais nous appartenons au Monde arabe. Ces deux régions nous intéressent beaucoup et nous essayons du coup d'établir des liens, des ponts et des passerelles entre des artistes, travailler ensemble et dépasser les contraintes. La première contrainte c'est qu'on ne se connaît pas assez, il faut que nos artistes collaborent pour que demain, il y ait une vraie dynamique régionale.» Pour Amina Menia: «Parler du continent africain, c'est réducteur. L'africanité c'est étroit. L'Européen ne parle pas d'art européen. Je veux être une artiste tout court.». A cela, la directrice des «Rencontres de la photo de Bamako», rétorquera en faisant prévaloir son parti pris clair pour le continent africain, voire même son attachement pour le panafricanisme. Avec assurance, elle estime: «Je crois en ce continent. Je suis farouchement africaine et panafricaine. Nous n'avons plus besoin de regarder l'Europe en miroir. Il reste des traumatismes et des difficultés à gérer. L'Afrique telle qu'on la voit n'est pas celle qui est fantasmée du côté du monde occidental. Malgré toutes les difficultés, il y a de l'inventivité. Il y a des tas d'idées qui proviennent de ce continent. Il faut qu'on retrousse les manches et qu'on regarde les outils dont on dispose. Parce que l'Afrique peut construire des choses pour le futur. L'Afrique, c'est aussi une ressource pour nous. Ceci étant dit, je crois en ce monde en mouvements avec ces identités qui sont multiples. (...) Je pense qu' on peut agir en tant que citoyen dans le monde, c'est aussi cela l'engagement... La question qui se pose: «Que faisons-nous? Comment est-ce qu'on partage? Comment pense-t-on le monde autrement? Il faut penser à l'avenir de ce continent.» Engagement et panafricanisme Ces questions qu'on se pose, peuvent nous pousser à réfléchir sur la place de l'Afrique dans le monde». Brossant un tableau assez noir concernant la situation du pays, que ce soit sur le plan social, politique ou économique, pour Wassila Tamzali, l'issue devrait être culturelle et artistique. «Je pense que nous devons faire un effort d'imagination pour nous en sortir. Et dans cet effort de s'en sortir, l'artiste est un élément principal, qui aide justement à réfléchir le monde. Un des obstacles viendrait de l'indifférence vis-à-vis de l'art, car il faut reconnaître que la culture est importante. Cette reconnaissance de l'acte de la culture est un acte politique qui n'a pas lieu chez nous et qui est loin de l'être chez nous.». Et la directrice de l'Uzine de renchérir: «Nos images ont été trop longtemps spoliées, utilisées contre nous et cela nous a fait énormément de tort. L'Afrique a été désignée comme étant ce continent pauvre, inutile. Or, aujourd'hui, il faut déjà répondre à la question: qui sommes-nous et qui voulons-nous être, avant de vouloir aller de l'avant pour se rapprocher de l'international et de l'universel? L'indépendance de l'Afrique dépend de ses artistes et du travail pour livrer ce regard détaché des idéologies.» Et de rajouter, déterminée: «Ma génération est une génération intermédiaire. Aujourd'hui, je fréquente une nouvelle génération qui a arrêté de revendiquer et qui tente de s'en sortir par ses propres moyens et par les moyens du bord. Nous n'avons pas d'autre choix. Je parle de l'Afrique. C'est pourquoi je parle de connexion ensemble. Se regarder les uns les autres. C'est comme ça que nous pourrions constituer une vraie force.» Pour info, Maria Diaf était présente en Algérie pour rencontrer les institutions culturelles et artistes. Car, a-t-elle souligné c'est un des projets qui lui tiennent à coeur: «Chaque année, nous invitons un pays de la région en lui ouvrant l'Uzine pendant trois jours. Je suis venue pour ça, pour rencontrer tous ces gens, pour me nourrir d'Alger, en vue d' inviter des artistes pour la saison prochaine, en octobre..». Si pour les deux intervenantes, exister en tant qu'Africaines est important, pour sortir de la vision négationniste qu'on a parfois de ce continent et dont la mémoire est détournée parfois par des images de propagande (comme le dira à juste titre Wassila Tamzali), une des sorties de secours pour s'en éloigner est de se débarrasser dit-on entre autres, de «l'extotisation». Car rappelle-t-on «ce sont des voix d'artistes qu'on défend avant d'être une nationalité. Comment être un artiste africain aujourd'hui, comment entrer dans le monde? cette réflexion m'habite», dira Marie-Ann Yemsi. Et Wassila Tamzali d'indiquer en parlant de la visibilité de l'artiste africain: «Africain ou Européen ne veut pas dire que chacun va créer différemment, car la démarche artistique est identique mais ce sont les modalités qui diffèrent. Car l'art est universele certes. Ce qui me mobilise est de travailler sur les conditions d'émergence de création aujourd'hui, comment faire qu'un artiste ait de la visibilité, organiser des expos, inciter des mécènes à mettre la main à la poche etc.» D'aucuns seront d'accord aussi pour que le travail ne soit pas uniquement basé sur le «macro mais sur le micro», comprendre par là que le travail sur le terrain doit se faire aussi à petite échelle humaine et communautaire avant d'accéder aux musées ou aux festivals par exemple. Pour la Marocaine Maria Diaf la question lancinante d'urgence est «qu'est-ce qu'on peut faire ensemble?» Aussi «quel musée de demain?»,«faut-il une formation ou pas pour devenir commissaire», sont les questions débattues également à la fin de cette table ronde qui conseillera, en outre, aux artistes de profiter du networking qui permet d'apprendre beaucoup sur «comment exister sur la Toile...». Notons que cette table ronde a été précédée par la présentation au public des travaux réalisés par les artistes en résidence, à savoir Adel Bentounsi (Annaba) Anne Murray (Barcelone) et Hakim Rezaoui (Alger). Le travail qui nous a accueilli à l'entrée est celui de Anne Murray. C'est comme un espace intime dans cet antre méditatif quasi monacal des Ateliers sauvages. Présenté comme une alcôve entourée de voile blanc faisant référence à Alger la Blanche, il est rehaussé d'images qui ont frappé notre artiste. En effet, à l'intérieur, nous découvrons un écran sur lequel sont diffusées des images en boucle sur une musique de mandole. Des artistes exposent Un néon ou un cercle lumineux interroge le regard, présent à côté. En fait, ces mystérieuses images ont été prises dans le vif à l'intérieur d'une lampe allumée d'où les insectes qui apparaissent tout autour. A côté, est posé un livre et des poèmes en anglais. Le livre fait référence à Anna Greki une poétesse algérienne d'expression française qui fut emprisonnée durant la guerre de Libération nationale. Le texte et les images de l'artiste établissent une connexion en essayant de se rappeler avec nostalgie ses bons moments dans l'Algérois. L'artiste qui a tenté une immersion quasi mystique dans sa chambre aux Ateliers sauvages, a tenté en effet de restituer cette émotion qui l'a liée durant tout son séjour en finissant aussi par réaliser un documentaire ou vidéo d'art entre texte et image qui évoque encore Anna Greki. A côté, nous retrouvons les photos vaporeuses de Hakim Rezaoui. Un triptyque photographique qui évoque le renfermement et le repli sur soi-même. La série s'appelle «cercle et ligne». Dans ces autoportraits, l'artiste est soit de dos; soit de face, le visage en mouvement, flouté. Il apparaît comme sorti d'un mur cimenté ou assailli par des barrières qui tombent sur la terre, tel un trait également qui vient diviser la photo en deux parties pour suggérer ce manque de liberté. L'on reconnaît là, le travail de cet artiste qui allie la technique à la forme pour faire parler le psychique de l'être mélancolique «en voie de transition». Enfin Adel Bentounsi a été pour le coup, bien prolixe dans son exposition qui présente plusieurs objets entre installations et tableau. «J'ai glissé dans les escaliers du Sacré-Coeur où il y avait des carreaux sur le sol. Ces carreaux m' ont fait penser au dos du serpent. Des écailles. Après j'ai posté un truc sur Facebook. J'ai écrit: «J'ai glissé sur le dos du serpent.» A partir de cette réflexion métaphorique, j'ai décidé de dévaler toute cette avenue, et ce chemin pour moi avait l'allure d'un serpent. Il me faisait penser à la mue du serpent, avec tous ses contrastes», nous confiera le jeune artiste annabi. De là découle toute son oeuvre où il s'est ingénié à décrire l'état des lieux de l'Algérois, des couleurs des habits des jeunes mais aussi du caractère philosophique et spirituel qu'ont certains badaux dans la rue. Dans une boîte en verre le visage de Adel est dessiné sur un papier en forme d'accordéon. «Cela représente les différents points de vue des jeunes à l'extérieur.» L'originalité de cette oeuvre est que le visage de l'artiste semble être de profil des deux côtés à l'instant où l'on se place, à gauche ou à droite. Cette forme semble matérialiser le mouvement de tête des jeunes hitistes peut- être dont le regard oscille souvent dans toutes les directions, lorsqu'ils zyeutent les passants ou draguent les filles. Intitulé «Salam, salam» cette oeuvre dont la représentation convoque encore une fois l'idée du mouvement du serpent prend cette fois un trait plutôt mystique, ce va-et- vient de la tête pouvant presque inspirer le geste d'une personne en pleine prière qui salue Dieu. Non loin de là, l'artiste expose les matériaux avec lesquels il a travaillé. Où y retrouve, notamment cet objet représentant la mue du serpent. Même objet qui, cette fois, est accroché au mur sous verre éclairé, sous des néons tantôt rouges ou verts, comme autant de couleurs qui font rappeler les lumières d'Alger by night et ses lampes guirlandées. Pour Adel ces lumières font écho aux couleurs bigarrées que portent les jeunes dans la rue pour séduire, notamment... A côté, un tableau a été réalisé avec de la cendre. On y distingue également une voie ou chemin qui serpente en montagne. A côté, un autre, tableau montrant des traits colorés en vertical et en bas, un voile de cendre épars semble balayer le tableau comme pour suggérer le passage du fameux serpent. Enfin, on perçoit cette mue de serpent plaquée sur une feuille. Des petites formes humaines faisant référence aux migrants y sont accrochées. «Quand Iblis est chassé du Paradis, Adam et Eve n' en étaient pas chassés. Iblis est retourné au paradis via la ruse qui est le serpent. Celui-ci est sorti, a avalé iblis et l'a vomi au Paradis. Ce qui m'intéresse, c'est la métaphore. Pourquoi il n'y avait que le serpent qui pouvait franchir cette frontière? Quand on voit les réfugiés syriens accrochés à cette grille qui ressemble à une mue de serpent, on retrouve cette réflexion...» Une exposition de haute facture à voir absolument!