En plus, les villages qui possédaient leurs propres GLD étaient devenus les cibles privilégiées des groupes armés. Lancé par le président de la République, il y a une semaine, lors de son périple à Béchar et confirmé par le chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, dans son point de presse avec les directeurs des médias, le démantèlement des GLD sera mis en oeuvre juste après le référendum du 29 septembre sur la charte pour la paix et la réconciliation nationale. Opérationnels déjà à partir de 1994, sous forme de petites cellules de collecte d'informations, les GLD (Groupes de légitime défense) voient le jour officiellement en mai 1997, avec des reportages publicitaires lancés à la Télévision algérienne sous le titre de «Ridjal wakifoune» (hommes debout) et «Patriotes», appellation transformée par la suite en GLD par le général de corps d'armée, Mohamed Lamari. Largement dérouté par le nombre exceptionnel d'islamistes en armes (estimés à 29.000 en 1996), l'état-major de l'armée crée les GLD dans le double objectif de faire pièce aux maquis islamistes en zones rurales et de disposer d'hommes «opérationnels» sur place. Les patriotes disposaient aussi d'un atout majeur: ils connaissaient les maquis et les villages dont ils sont issus, et maîtrisaient parfaitement la topologie des zones à protéger. Les nouvelles stars de la guerre Très vite, les patriotes deviennent les nouvelles stars de la guerre qui faisait rage. Trois méga-milices sont créées à Lakhdaria, Relizane et Chlef et dirigées par, respectivement Zidane El Mekhfi, Hadj Ferguène et Zitoufi. Le premier, notamment, dispose d'une véritable armada, un bataillon en mouvement qui obtient très rapidement des résultats spectaculaires. En outre, il protège le passage des longs gazoducs qui passent du Sud algérien vers le littéral nord-est en passant par Bouira, région fortement affectée par les maquis terroristes. Petit à petit, naquirent les «seigneurs de la guerre», nom donné aux grands chefs des GLD, qui, tout en obtenant de plus en plus de résultats encourageants sur le terrain, élargissaient leur champ de bataille, et, par extension, leurs première s contre les populations civiles. C'est en 1999 seulement qu'on commençait à comprendre les mécanismes de l'engrenage de la violence, et les GLD, à leur corps défendant, figuraient en bonne place dans ces mécanismes: connaissant les terroristes un à un, ils faisaient très souvent des incursions dans leurs demeures familiales, cherchant une information par-ci, obtenant un aveu par-là, utilisant la force s'il le faut. La riposte du terroriste ciblait souvent la famille du GLD, lequel se rabattait de manière délibérée et ostensible sur les proches du terroriste. En plus, les villages qui possédaient leurs propres GLD étaient devenus des cibles privilégiées pour les groupes armés. Ceux-ci, en prenant pour cible un GLD, couraient derrière le double but d'éliminer un adversaire paramilitaire et de récupérer son arme, qui était utilisée pour tuer encore d'autres GLD. L'engrenage de la violence a très souvent pris des contours de vendetta, terroristes et patriotes jouaient, à leur insu, une «ronde barbare». Payés entre 7000 et 11.000 DA, ils étaient entre 80.000 et 100.000 en fin 1998, à veiller sur les villages, hameaux et campagnes. Eloignés des cen-tres urbains, ils étaient comme coupés du monde. L'isolement permettait à certains de s'adonner aux mêmes vices et délits que perpétraient les terroristes. La petite rémunération permettait aux plus démunis de vivre et de faire vivre leurs familles, mais les armes donnaient une assurance excessive à certains, une prétention outrancière aux plus freluquets d'entre eux. A partir de 2000, la presse commençait à publier des articles de presse qui mettaient en cause des GLD. Bien, c'est bien avant que l'état-major de l'armée avait commencé à sanctionner les coupables et des PV étaient établis et remis aux juges d'instruction et à la Gendarmerie nationale pour enquête ou arrestation immédiate. Un rôle majeur Mais attention: les GLD ont joué un rôle majeur aussi dans celui de circonscrire le terrorisme en zone rurale. Grâce à des patrouilles, des rondes, des méthodes de surveillance de jour comme de nuit, ils ont pu faire pièce aux GIA et réduire leur mouvement et leurs aptitudes à frapper à n'importe quel moment de la journée. Beaucoup de patriotes ont combattu durant des années sans contrepartie financière, qui n'ont jamais pris un dinar, ni usé de leurs armes dans le mauvais côté. Une des premières cellules de GLD d'Alger avait commencé à fonctionner en 1994 sous forme de groupe informel chargé de la collecte d'informations auprès de la police judiciaire, bien avant la création des Bmpj. Ali Zaoui était un de ceux-là: «Nous venions en appui à la PJ de Bab El-Oued, puis à la Bmpj de Oued Koriche, notre rôle était de débusquer les islamistes armés activant à Bouzaréah, Bologhine, Baïnem et Bab El-Oued. Nous n'avions pas d'armes, car notre mission consistait à rester citoyens et à collecter l'information qui aiderait à neutraliser les terroristes (...); un des moyens forts dont nous avions usé était le dinar. Un stratagème impeccable et efficace (...), nous avions infiltré des repentis, des anciens prisonniers et nous avions travaillé avec les propres familles des terroristes, qui elles-mêmes étaient victimes du terrorisme de leurs enfants.» En fait, il ne faut pas donner aux GLD le rôle ingrat du «docteur Jekyll et Mister Hyde», comme il ne faut pas leur faire porter plus que de mesure. La «méthode GLD» avait fonctionné avec des hauts et des bas, avec plus de réussite que d'échec. Certains GLD avait été coupables de viols, de vols, d'assassinats et d'exactions envers les populations civiles, bien que l'état-major de l'armée leur avait interdit le droit d'arrêter, de torturer ou de perquisitionner. Bien sûr, des GLD ont dressé des faux barrages (cas très rares signalés en Kabylie), d'autres avaient pris les armes sur injonction des groupes armés mêmes, pour mieux les contrôler et infiltrer les services de sécurité (cas signalés à Saïda, Relizane, Blida, Médéa, etc.), mais dans l'ensemble, les GLD ont joué le jeu de la guerre avec le taux de réussite que permet une guerre fratricide. Les temps ont changé depuis, et la politique de paix engagée par le président de la République ne permet plus que 80.000 armes restent entre les mains des GLD. Hormis leur présence encore nécessaire dans certains villages quasi isolés, ils seront «désarmés» après le référendum du 29 septembre dans la totalité du pays. L'adieu aux armes sera en fait un geste plus courageux que leur mobilisation de 1997...