L'effort de paix consenti par le président de la République exige de faire l'économie de ces anciens «sous-traitants de la guerre». Le dernier licenciement de quelque 145 GLD(Groupes de légitime défense) recyclés dans une société de gardiennage , incarne à lui tout seul le long cycle de désagrégation de ces «gérants de la guerre», qui même si on fait semblant de rien, sont devenus un lourd fardeau pour les autorités. Mécontents de la décision rendue, le 8 janvier 2006, par le tribunal de Lakhdaria, dans l'affaire qui les opposait à la société gérante du barrage Koudiat-Asserdoun. Une soixantaine d'entre eux, recyclés agents de sécurité de cette société protestent depuis quelques jours devant les plus hautes autorités de l'Etat. Deux de leurs délégués ont été reçus par le chef de cabinet du ministre de la Justice, mais aucune solution n'a été trouvée, et les GLD contestataires sont plus déçus que jamais. Dernière alternative : introduire une plainte auprès de la Cour suprême. «C'est une procédure tout à fait ordinaire. Mais le problème c'est que ça peut traîner des mois. Licenciés depuis le mois de juin dernier, nous ne voulons pas perdre encore de temps. Nous voulons que notre affaire soit traitée en référé», clament-ils. Convaincus de leur bon droit, ces ex-patriotes ne s'expliquent pas la décision rendue par le tribunal de Lakhdaria qui a prononcé l'irrecevabilité de leur plainte pour non-constitutionnelle. Lancé par le président de la République, il y a quelques mois, lors de son périple à Béchar, en pleine campagne pour son projet de Charte pour la paix et réconciliation nationale, et confirmé par le chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, dans son point de presse avec les directeurs des médias, quelques jours après, le démantèlement des GLD est mis en marche depuis des mois et le processus est aujourd'hui quasi-irréversible. Opérationnels déjà à partir de 1994, sous forme de petites cellules de collecte d'informations, les GLD voient le jour officiellement en mai 1997, avec des reportages publicitaires lancés à la Télévision algérienne sous le titre de «Ridjal wakifoune» (hommes debout) et «Patriotes», appellation transformée par la suite en GLD par le général de corps d'armée, Mohamed Lamari. Largement dérouté par le nombre exceptionnel d'islamistes en armes (estimés à 29.000 en 1996), l'état-major de l'armée crée les GLD dans le double objectif de faire pièce aux maquis islamistes en zones rurales et de disposer d'hommes «opérationnels» sur place. Les patriotes disposaient aussi d'un atout majeur: ils connaissaient les ‘ maquis et les villages dont ils sont issus, et maîtrisaient parfaitement la topologie des zones à protéger. Très vite, les patriotes deviennent les nouvelles «stars» de la guerre qui faisait rage. Trois mégamilices sont créées à Lakhdaria, Relizane et Chlef et dirigées par, respectivement Zidane El Mekhfi, Hadj Ferguène et Zitoufi. Le premier, notamment, disposait d'une véritable armada, un bataillon en mouvement qui obtient très rapidement des résultats spectaculaires. En outre, il protège le passage des longs gazoducs qui passent du Sud algérien vers le littoral nord-est en passant par Bouira, région fortement affectée par les maquis terroristes. Petit à petit, naquirent les «seigneurs de la guerre», nom donné aux grands chefs des GLD, qui, tout en obtenant de plus en plus de résultats encourageants sur le terrain, élargissaient leur champ de bataille, et, par extension, leurs premières interventions contre les populations civiles. C'est en 1999 seulement qu'on commençait à comprendre les mécanismes de l'engrenage de la violence, et les GLD, à leur corps défendant, figuraient en bonne place dans ces mécanismes: connaissant les terroristes un à un, ils faisaient très souvent des incursions dans leurs demeures familiales, cherchant une information par-ci, obtenant un aveu par-là, utilisant la force s'il le faut. La riposte du terroriste ciblait souvent la famille du GLD, lequel se rabattait de manière délibérée et ostensible sur les proches du terroriste. En plus, les villages qui possédaient leurs propres GLD étaient devenus des cibles privilégiées pour les groupes armés. Ceux-ci, en prenant pour cible un GLD, couraient derrière le double but d'éliminer un adversaire paramilitaire et de récupérer son arme, qui était utilisée pour tuer encore d'autres GLD. L'engrenage de la violence a très souvent pris des contours de vendetta, terroristes et patriotes jouaient, à leur insu, une «ronde barbare». Payés entre 7000 et 11.000 DA, ils étaient entre 80.000 et 100.000 en fin 1998, à veiller sur les villages, hameaux et campagnes. Eloignés des centres urbains, ils étaient comme coupés du monde. L'isolement permettait à certains de s'adonner aux mêmes vices et délits que perpétraient les terroristes. La petite rémunération permettait aux plus démunis de vivre et de faire vivre leurs familles, mais les armes donnaient une assurance excessive à certains, une prétention outrancière aux plus freluquets d'entre eux. A partir de 2000, la presse commençait à publier des articles de presse qui mettaient en cause des GLD, avant que l'état-major de l'armée ne commence à sanctionner les coupables et des PV étaient établis et remis aux juges d'instruction et à la Gendarmerie nationale pour enquête ou arrestation immédiate. Mais attention: les GLD ont aussi joué un rôle majeur dans celui de circonscrire le terrorisme en zone rurale. Grâce à des patrouilles, des rondes, des méthodes de surveillance de jour comme de nuit, ils ont pu faire pièce au GIA et réduire leurs mouvements et leurs aptitudes à frapper à n'importe quel moment de la journée. Beaucoup de patriotes ont combattu durant des années sans contrepartie financière, qui n'ont jamais pris un dinar, ni usé de leurs armes dans le mauvais côté. Une des premières cellules de GLD d'Alger avait commencé à fonctionner en 1994 sous forme de groupe informel chargé de la collecte d'informations auprès de la police judiciaire, bien avant la création des Bmpj. En fait, il ne faut pas donner aux GLD le rôle ingrat du «docteur Jekyll et Mister Hyde», comme il ne faut pas leur faire porter le chapeau plus que de mesure. La «méthode GLD» avait fonctionné avec des hauts et des bas, avec plus de réussite que d'échec. Certains GLD avait été coupables de viols, de vols, d'assassinats et d'exactions envers les populations civiles, bien que l'état-major de l'armée leur avait interdit le droit d'arrêter, de torturer ou de perquisitionner. Certains des GLD avaient même dressé des faux-barrages (cas très rares signalés en Kabylie), d'autres avaient pris les armes sur injonction des groupes armés mêmes, pour mieux les contrôler et infiltrer les services de sécurité (cas signalés à Saïda, Relizane, Blida, Médéa, etc.), mais dans l'ensemble, les GLD ont joué le jeu de la guerre avec le taux de réussite que permet une guerre fratricide. Les temps ont changé depuis, et la politique de paix engagée par le président de la République ne permet plus que 80.000 armes restent entre les mains des GLD. Hormis leur présence encore nécessaire dans certains villages quasi isolés, ils seront «désarmés» là où la nécessité sécuritaire l'exige.