Le multilatéralisme, une histoire ancienne selon Trump «La relation entre les Etats-Unis et la Chine façonnera le XXIè siècle», prophétisait Barack Obama le 27 juillet 2009. Son successeur en fera peut-être une réalité, mais bien différente de ce qu'imaginait M. Obama à l'époque, quand l'Occident uni espérait faire accepter à la Chine ses règles du jeu. La rupture des Etats-Unis avec leurs traditionnels alliés du G7 ouvre la voie à l'avènement d'un ordre mondial éclaté, où Donald Trump négociera avec les anciens ennemis de Washington et où la relation USA-Chine devrait donner le tempo du monde.»Sommes nous en train d'assister au détricotage américain de l'ordre mondial et des institutions précautionneusement bâties après la deuxième guerre mondiale?», s'interroge Fred Kempe du think tank américain Atlantic Council. Cet ordre fait d'équilibre entre blocs, de coordination internationale, d'alliances intangibles... En cassant toute la structure multilatérale au nom des intérêts américains, sortant de l'accord de Paris sur le climat, remettant en cause le libre-échangisme commercial, suivant une politique étrangère rugueuse (dénonciation de l'accord sur le nucléaire iranien, transfert de l'ambassade américaine à Jérusalem), et en tançant ses alliés tout autant que ses adversaires historiques, Donald Trump tire un grand coup sur la nappe pour être plus à l'aise face au seul convive qui compte: Xi Jinping. «Pour Trump, il n'y a que le G2: les USA et la Chine. Du fait de Trump, l'Europe devrait comprendre que l'ère de l'ordre économique multilatéral est terminée», analyse l'économiste suisse Thomas Straubhaar, de l'université de Hambourg. Car si Washington et Pékin sont adversaires, ils partagent la même méfiance pour le multilatéralisme. Donald Trump «a vu que l'ordre ancien de la mondialisation libérale s'est rompu en 2008 (avec la crise financière). Il pense que les Etats-Unis ne sont plus capables de fournir au monde des biens communs tels qu'une structure de commerce libéralisé et la sécurité pour ses alliés occidentaux. Il voit les Etats-Unis engagés dans une série de relations bilatérales où le déficit commercial est le principal sujet», analyse l'économiste britannique Lord Meghnad Desai, affilié aux Travaillistes. De son côté, «la Chine ne veut pas le multilatéralisme» traditionnel, relève Jean-François Di Meglio, président du cabinet français Asia Centre. «Elle met en place toute une variété de structures, comme l'Organisation de coopération de Shanghai ou la banque asiatique d'investissement pour les infrastructures, tout cela va sans doute donner naissance à une autre forme de gouvernance», à structure fluctuante et asymétrique selon les sujets et les parties prenantes, explique-t-il. «La stratégie de +L'Amérique d'abord+ de Trump et (le slogan) +le rêve chinois+ de Xi sont basés sur la même idée: que les deux superpuissances ont totale latitude pour agir selon leur propre intérêt», analyse Brahma Chellaney, professeur au Center for Policy Research de New Delhi, dans une tribune publiée fin mai. Pour lui, «l'ordre mondial du G2 qu'ils sont en train de créer mérite à peine d'être appelé ordre. C'est un piège, où les pays seront forcés de choisir entre des Etats-Unis de Trump imprévisibles et adeptes de la négociation bilatérale, et une Chine ambitieuse et prédatrice». «La relation entre les Etats-Unis et la Chine façonnera le 21e siècle», prophétisait Barack Obama le 27 juillet 2009. Son successeur en fera peut-être une réalité, mais bien différente de ce qu'imaginait M. Obama à l'époque, quand l'Occident uni espérait faire accepter à la Chine ses règles du jeu. Cela ne signifierait pas pour autant que Washington et Pekin vont s'entendre pour mettre le monde en coupe réglée au détriment d'Européens désorientés. Ceux-ci n'ont pas dit leur dernier mot, et ceux-là s'affrontent aussi entre eux. Mais, Donald Trump, ancien homme d'affaires, semble penser qu'il s'en sortira mieux en tête à tête, libéré des contraintes du multilatéralisme. Il est en train de négocier sur le déficit commercial avec Pékin de manière beaucoup plus constructive que les invectives échangées avec son voisin canadien par exemple. «Trump ne s'entend pas si mal avec la Chine, et avec la Russie. Ils ont des divergences, ils peuvent s'entendre sur certains points. L'exemple ZTE est frappant: On (Washington) fait la guerre commerciale à la Chine, et au même moment on passe un accord décoiffant avec ZTE», le géant chinois des télécoms bouté hors du marché américain puis finalement autorisé à le réintégré au terme d'une épineuse négociation, analyse M. Di Meglio. Si l'ordre mondial post-deuxième guerre mondiale avait notamment pour ambition d'éviter un nouvel embrasement planétaire, l'impératif de paix semble moins pressant dans ce nouveau cadre en devenir. Et certains craignent que se referment sur le monde «le piège de Thucydide», concept théorisé par l'américain Graham Allison qui voudrait que toute puissance émergente entre inévitablement en conflit à un moment donné avec la puissance dominante. Une théorie battue en brèche par les Chinois. «Il n'existe pas de soi-disant piège de Thucydide. Mais si les grands pays faisaient de manière répétée des erreurs stratégiques, ils pourraient se précipiter dans un tel piège», avait estimé Xi Jinping en septembre 2015. Pour M. Di Meglio, les Chinois sont «obsédés de ne pas répéter les erreurs du passé, ils voient le piège, ils vont essayer de l'éviter, même si à un moment, il peut y avoir des raisons objectives d'une confrontation» pour leurs intérêts stratégiques.