Dans toute l'Europe occidentale, en Scandinavie et aux Etats-Unis, ils sont des milliers à suivre l'évolution politique du projet de charte. Deux nouveaux leaders de la mouvance islamiste viennent de se positionner en faveur de la paix et la reconciliation nationale. Il s'agit de Tayeb Berghout et Mohamed Thabet el-Aouel. Grands théoriciens de l'islamisme politique depuis près de quarante ans, résidant en Europe, ils viennent de publier un communiqué, dans lequel ils affirment consacrer l'intérêt national et non celui des petits calculs de partis. Les deux islamistes qui ne se sont plus exprimés depuis la création du FIS, qu'ils avaient précédé dans la daâwa, et avec lequel ils ne partageaient pas la même ligne de conduite, affirment: «Notre action (Mouvement pour la construction de la civilisation) consacre aujourd'hui toutes ses capacités pour dépasser la crise nationale, qui a pris ses racines très tôt (...). Toutes nos souffrances ne sont rien à côté des souffrances du peuple et ses intérêts stratégiques, et, partant, nous prenons notre place dans la paix, la sécurité et la sérénité tout en réaffirmant notre appui total à une reconciliation nationale véritable, juste et équitable pour tous». Les deux leaders mettent en avant quelques mesures qui devraient permettre le retour à la paix sans préjugés, ni a priori, mais s'inscrivent résolument dans une dynamique de paix affichée. Après un silence de près de quinze ans, le retour à la scène médiatique de Tayeb Berghout et Thabet El-Aouel aura certainement des effets positifs et pesants sur le processus de paix tel que ressenti par les islamistes. Dans le même ordre d'idées, une source londonienne de l'ex-FIS, nous a affirmée, hier, lors d'une discussion téléphonique que «tous les chefs de l'ex-FIS sont intéressés par leur retour en Algérie aussitôt après l'adoption du projet de charte pour la paix et la réconciliation nationale, même ceux qui vous paraissent les plus circonspects». La même source ajoute: «Je ne pense pas qu'un islamiste soit aujourd'hui encore capable de tenir des propos belliqueux. Le projet de charte est un document à propos duquel nous avons beaucoup à redire, auquel nous avons beaucoup de correctifs à apporter s'il nous est possible de le faire, mais il faut être réaliste et considérer que l'offre de paix est là et qu'il faut la saisir comme un bon premier pas fait dans le sens d'une paix qui reste à redessiner. 90% des anciens cadres de l'ex-FIS sont favorables au retour au pays.» Les propos du chef islamiste de l'ex-FIS interviennent le jour même de la publication d'un sondage d'opinion fait par Sunday New Of the Word et qui fait ressortir que 65% des musulmans britanniques - estimés à 1,5 million de citoyens - sont favorables à l'extradition des imams islamistes qui tiendraient à l'avenir des propos haineux et belliqueux. Les islamistes algériens vivant à Londres représentent la plus importante concentration de leaders issus de l'ex-FIS ou des organisations qui ont pris les armes à partir de 1992. On y retrouve des chefs politiques du parti dissous, mais aussi des journalistes, des intellectuels et des expatriés dans le cadre de l'exil politique, procédure longuement en usage, à l'époque, pour permettre à des centaines d'islamistes algériens de s'établir dans le Royaume. On y retrouve aussi des islamistes du GIA et du Gspc établis en Grande-Bretagne depuis 1995. Sont installés à Londres d'anciens cadres de l'ex-FIS comme Kameradddine Kherbane, Abdellah Anas, Djaâfer El Houari, mais aussi des personnages controversés comme Mohamed Denideni, Ahmed Chouchanne et les anciens du groupe islamique armé, qui ont rompu avec le GIA après l'accession de Antar Zouabri à l'émirat du GIA à partir de septembre 1996 et la vague de purges qui s'en est suivie et qui a ciblé, dans les maquis de Chréa, les cadres de l'intelligentsia de l'ex-FIS. Il y a quelques jours, deux cadres du parti dissous, installés à Bonn et à Bruxelles, Rabah Kebir et Abdelkrim Ould Adda, nous faisaient part de leur intention de retourner au pays après le référendum. Idem pour Anouar Haddam installé à Washington, malgré toute la critique qu'il porte au projet de la charte. En fait, les chefs islamistes du FIS dissous à l'étranger n'ont pas de position définitive, tranchée, concernant la démarche politique à adopter, mais la tendance générale qui se dégage se dirige vers une adhésion critique à la charte pour la paix et la réconciliation nationale. Le «trio genevois » s'est montré à ce jour le plus critique de tous, et ni D'hina, ni Habès, ni Fillali ne se sont montrés un tant soit peu convaincus par une charte qui les exclut politiquement. Polémistes à souhait, les leaders londoniens de l'ex-FIS, comme Kherbane et Anas, ont débattu de la charte, porté la critique à son sommet, mais sans jamais rejeter l'offre. Djaâfer El-Houari s'est même permis l'audace de mettre en cause le FIS dissous et de faire le mea-culpa politique de son parti. Avec Ahmed Zaoui en Nouvelle-Zélande, Abassi Madani à Kuala Lumpur en Malaisie, Haddam aux Etats-Unis, Kebir en Allemagne, D'hina à Genève et des centaines d'autres à Londres, Paris, Stockholm, Montréal, etc., la diaspora islamiste, issue de l'ex-FIS, est assez importante et très prolixe avec les ONG internationales, ce qui agace les autorités algériennes, sans cesse égratignées dans des rapports annuels liés aux manquements aux droits de l'homme, notamment dans les relations pouvoir-islamistes. Dans les énoncés de la charte pour la paix et la réconciliation nationale, les islamistes issus de l'ex-FIS, qui ont choisi l'exil ou qui ont quitté le pays, qui ont été incriminés dans des actions politiques ou de sédition, sont directement interpellés, avec, au bout, une extinction définitive des poursuites judiciaires lancées contre eux. «Extinction des poursuites judiciaires à l'encontre de tous les individus recherchés sur le territoire national ou à l'étranger, qui décident de se présenter volontairement devant les instances algériennes compétentes» est-il notamment écrit dans l'article 3 des mesures destinées à consolider la paix.