La charte consacre pour le Front des forces socialistes un retour en arrière pour un autre coup de force, exactement comme le premier référendum constitutionnel imposé à l'Algérie, le 8 septembre 1963 après avoir dissous l'Assemblée nationale constituante souveraine présidée par Ferhat Abbas. Le plus vieux parti de l'opposition tout en rappelant que la réconciliation et la paix durable «ne se décrètent» pas, mais se construisent avec la participation des véritables acteurs politiques, des acteurs sociaux, réitère qu'il «n'a jamais cessé de répéter qu'il est entièrement disposé à prendre part à tout processus et à toute démarche sérieuse de règlement de la crise politique». La paix transite inconfortablement par des mesures politique telles que la levée de l'état d'urgence, l'ouverture du champ politique et d'opinion. Enfin, il estime que l'officialisation de tamazight est l'aboutissement du combat permanent mené depuis des décennies. Elle est loin d'être le résultat de pressions effectuées par un quelconque mouvement. L'Expression: Le FFS a appelé au boycott massif du référendum du 29 septembre. Vous avez exigé toute la vérité sur la décennie noire avant de tourner la page, alors que le pouvoir présente le projet de charte comme une solution incontournable. Quelle lecture faites-vous du document du président? Ali Laskri:Effectivement le FFS a appelé au boycott actif du référendum du 29 septembre 2005. La charte pour la paix et la réconciliation nationale est de nature à traiter plus la crise sécuritaire. Ce qui démontre que les architectes de cette charte sous-estiment toujours le degré de la maturité politique des Algériennes et des Algériens. Au FFS nous sommes pour un processus fondé sur le devoir de vérité et de justice. Notre devoir d'interpeller les Algériennes et les Algériens épris de paix pour se démarquer du mensonge qui ne fait qu'aggraver la crise. A ceux qui font dans le tapage médiatique, qui sèment la confusion, nous leur disons que leurs actes ne pourront jamais changer le cours de l'histoire. Tout ce passe comme si le 1er Novembre 1954, le congrès de la Soummam et la création du FFS, le 29 septembre 1963, n'ont jamais existé. La lecture que nous faisons du document du chef de l'Etat, c'est d'abord la glorification et l'éloge des politiques sécuritaires, puisque ni les assassinats politiques depuis l'indépendance, ni l'annulation des élections législatives de 1992, ni les différents coups d'Etat, fraudes, répressions, emprisonnements, massacres et les milliers de disparitions ne sont cités. Le projet de charte fait barrage à ceux qui sont à la recherche de la vérité et de la justice, il ignore délibérément les droits de l'homme, les libertés et les crimes commis. Tout cela, bien sûr, en se couvrant derrière la volonté du peuple, n'est-ce pas un retour en arrière pour un autre coup de force exactement comme le premier référendum constitutionnel imposé à l'Algérie, le 8 septembre 1963 après avoir dissous l'Assemblée nationale constituante souveraine présidée par Ferhat Abbas. Les concepteurs de la charte veulent imposer une seule lecture du conflit qui déstabilise le pays depuis l'assassinat de Abane Ramdane et plusieurs de ses compagnons de lutte et ce, même après l'indépendance de notre pays dont Mohamed Boudiaf. Pour cela nous ne pouvons adhérer à une charte qui glorifie la force et déclasse la médiation politique, consacre l'impunité et l'amnésie, et qui négocie la douleur et la souffrance des Algériennes et des Algériens. Pourtant le projet de charte «réhabilite le politique» pour certains observateurs. Une revendication chère au FFS. Elle constitue même l'épine dorsale de son programme politique. La réhabilitation du politique, effectivement, constitue l'épine dorsale du programme politique du FFS. Pour nous, la crise est politique, elle ruine le pays depuis des années, elle date de 1962. Cette charte est chargée de périls encore plus incontrôlables. Les Algériens se sont sentis politiquement exclus, économiquement dépossédés, culturellement déracinés et socialement écrasés, et la résurgence de toutes sortes d'archaïsmes et l'encouragement des tensions à base raciste, régionaliste, tribale et familiale, sur fond d'impasse politique, mettent plus que jamais notre pays au bord de la décomposition. C'est pour cela que nous disons aux Algériens que pour édifier un Etat de droit celui-ci doit être fondé sur la légitimité démocratique. Au FFS nous disons et nous répétons que l'urgence est d'engager le pays sur la voie de la construction démocratique de l'Etat et de la société, de réunir les conditions nécessaires à l'amorce d'une véritable alternative démocratique basée sur un processus politique d'une véritable transition démocratique. Les mesures que nous préconisons pour réhabiliter le politique: la levée de l'état d'urgence - l'ouverture du champ politique et d'opinion par la levée de toutes les restrictions et entraves à l'exercice des droits d'expression, de manifestation, d'organisation et d'association. L'ouverture du champ médiatique avec accès libre et équitable aux médias lourds. L'arrêt du harcèlement judiciaire et des menaces contre les partis politiques, les syndicalistes, les militants des droits de l'Homme et les journalistes. Enfin l'arrêt du bradage des richesses nationales. Le pouvoir refuse de réhabiliter le champ politique, instrumentalise les coups de force et le fait accompli, ne pèse pas les menaces sur la sécurité politique, économique et sociale du pays en continuant à fermer les espaces démocratiques au moment où on nous présente un projet dit de paix et de réconciliation. Le FFS a été l'un des acteurs de Sant'Egidio, une initiative discréditée à l'époque par le régime en place. Partagez- vous les lectures qui font le rapprochement entre les deux initiatives (la charte et le contrat de Rome)? Effectivement le FFS a été l'un des acteurs de la rencontre de Sant'Egidio, une initiative rejetée à l'époque par les décideurs - globalement et dans le détail - la différence avec la charte de Bouteflika, est qu'à Rome il s'agissait d'un contrat politique de sortie de crise. Le FFS a été le premier parti à avoir appelé à la réconciliation historique, cela avant même l'assassinat de Mohamed Boudiaf. Réconciliation entre la société et l'Etat qui passe par la restitution aux Algériens de leurs droits de militer, de s'organiser et de s'exprimer librement. C'est à cette fin que nous disons qu'une véritable réconciliation doit aboutir au changement du régime. Le constat est qu'aucune solution n'est possible sans la vérité et la justice, car la violence engendrée par le déni de liberté, de vérité et de justice ne profite en fin de compte, qu'aux truands avides de gains déloyaux. Pour votre question, nous ne partageons pas du tout les lectures qui font le rapprochement entre le contrat politique pour la démocratie signé à Rome et la charte du président que nous rejetons. La réconciliation n'est qu'une étape dans le traitement de la crise, d'autres «dosages», pour paraphraser le président, vont suivre. Cette réflexion divise la classe politique. Certains appréhendent d'autres mesures en faveur des islamistes, tandis que d'autres n'hésitent pas à évoquer l'amnistie générale. Au FFS, comment interprétez-vous cette sortie? Au FFS, nous disons que les termes de la charte-ordonnance , de l'aveu même du chef de l'Etat, reflètent la prééminence des équilibres au sein du régime et le poids spécifique d'un président. Ce projet de charte n'est pas une solution à la crise algérienne, c'est une dérive dangereuse, car il scellerait l'impunité des auteurs de massacres, de tortures, de détentions arbitraires, d'exécutions sommaires et de disparitions forcées, tout en les exonérant des poursuites judiciaires et des sanctions pénales. Cette politique de demi-mesures et de dosages occulte les véritables solutions et accorde au président un chèque en blanc, pour asseoir au nom du peuple sa vision. Aller sur cette voie c'est hypothéquer l'avenir des générations futures. Au FFS nous interprétons ses sorties, comme une absence totale de la culture de l'Etat. Les Algériennes et les Algériens sont dépossédés de leur strict minimum. Quelle paix veut-on proposer aux exclus, aux chômeurs, aux licenciés de leur travail, aux sans-abri, à ceux jetés dans les rues? La déclaration du chef de l'Etat sur les résistances au sein même du pouvoir est une supercherie destinée à tromper l'opinion publique et à faire adhérer le peuple à son projet. La réconciliation, la paix doivent émaner de la volonté générale, d'abord par le devoir de vérité et de justice et, non par une opération visant à occulter la vérité afin d'institutionnaliser l'impunité et diluer les responsabilités. Comment voyez-vous l'avenir immédiat de l'Algérie après le 29 septembre, dans le cas où les résultats du référendum viennent conforter les choix du président? La réconciliation et la paix durable ne se décrètent pas, mais se construisent avec la participation des véritables acteurs politiques, des acteurs sociaux, mais surtout des victimes et leurs familles et l'implication de tous les citoyens. Seules les parties concernées peuvent se réconcilier, c'est-à-dire entre le citoyen et son Etat de droit, entre la victime et son bourreau. Il faut d'abord connaître toutes les vérités pour ensuite se réconcilier. C'est de cette façon que les éléments de discorde peuvent disparaître à tout jamais et ne plus revivre le même drame. Malheureusement ce n'est pas le cas, l'après-29 septembre ne sera que la reconduction ou la persistance des mêmes causes, qui ne peuvent qu'engendrer les mêmes effets. Les conséquences d'une telle démarche après le référendum seront plus terribles encore car les fractures seront plus profondes. L'officialisation de tamazight est pratiquement acquise. Le mouvement citoyen se targue d'avoir réussi là où toute la classe politique a échoué en Algérie... Quand on fonctionne en vase clos, on ne résiste pas à la tentation de falsifier des bilans et commettre des détournements. Aujourd'hui, la structure des archs ne jouit ni d'un soutien populaire ni d'un quelconque crédit auprès des générations de militants (dont ceux du FFS) qui ont porté à bras-le-corps la revendication identitaire et culturelle. Si le pouvoir cède, ce n'est sûrement pas sous la pression d'Abrika et de ses acolytes dont la mission se limite maintenant à constituer la liste des clients qui vont avoir le privilège d'obtenir des miettes de la rente. L'officialisation de tamazight, que le FFS revendique depuis sa fondation, ne sera que l'aboutissement du combat permanent mené depuis des décennies, le fruit des sacrifices consentis par de larges pans de la société. Le mouvement des archs est-il vu comme une conséquence logique de l'échec encaissé par les partis implantés dans la région? Le FFS n'a jamais revendiqué le statut de représentant unique et exclusif d'une région, ni d'une classe, encore moins d'une communauté. Il adhère pleinement au principe de la liberté de tout un chacun de se constituer en association pour faire connaître ses préoccupations et défendre ses intérêts moraux et matériels. Dans toutes les sociétés, il y a des étapes historiques où les revendications d'intérêt général sont exprimées directement par des manifestations de masse et sont portées par un mouvement. Le FFS, dans sa méthodologie pour construire l'alternative démocratique, a inclus le recours à des actions de dissidence citoyenne pacifique. Les tenants du système ont compris la menace et ont riposté avec des moyens colossaux pour casser la dynamique qui commençait à s'enclencher. Au mouvement citoyen, ils ont greffé un monstre pour semer la confusion, user de désordre, restaurer les archaïsmes et en finalité discréditer l'exercice de la politique, c'est-à-dire la recherche et la formulation par le dialogue et la concertation des règles du vivre ensemble entre les diverses composantes de la société. Après plus de quatre années de régression sur tous les plans, les citoyennes et les citoyens de Kabylie comprennent que leur région est victime d'un plan diabolique pour la sanctionner à cause de son insoumission et de son ambition à jouer le rôle de locomotive dans le processus de formation d'un Etat de droit. A notre grande satisfaction, l'intérêt pour la chose politique revient et sur ce terrain nous avons beaucoup d'atouts à faire valoir pour rétablir la confiance.