La nuit, la cité Diar Echems est mouvementée, des jeunes de 18 - 19 ans vendent et fument du cannabis, d'autres marchandent des voitures et des portables volés.Un vrai lieu de délinquance que les agents de l'ordre ont du mal à contrôler. Il est 22 heures, la cité Diar Echems grouille de jeunes. Cité populaire par excellence, elle offre un spectacle mi-joyeux, mi-inquiétant pour les visiteurs. Et pour preuve, on y veille pour papoter, mais également pour fumer des joints. Yahia a 20 ans, il est du quartier, il fréquente les boîtes de nuit, il ne travaille pas et vit pratiquement dans la rue car il ne rentre chez ses parents qu'une ou deux fois par semaine. Avec Yahia, nous découvrons à Diar Echems, une autre face d'Alger, une face obscure, dure et cruelle. Un remue-ménage autour d'une sorte d'épicerie attire notre attention, nous demandons à Yahia de nous informer sur cette effervescence et il nous y conduit. Deux jeunes se disputaient pour le prix d'une dose de cannabis, l'un vêtu d'un survêtement blanc et baskets Adidas coûteuses, l'autre d'une veste en cuir noire, une casquette et des baskets. Nous réussissons à nous introduire dans la pièce à moitié plongée dans le noir car seules deux bougies éclairaient les six hommes assis à l'intérieur; une fumée épaisse et étourdissante nous envahit soudain, des boissons alcoolisées, deux bouteilles de vin et une bouteille de whisky étaient sur une petite table ainsi que du papier à tabac «massa» .Nous étions censés être là pour acheter ce qu'ils appellent le chocolats, le cannabis. Whisky et chocolat L'un d'eux nous sort une boîte d'un sac en plastique noir et nous montre la marchandise. Un bout de cannabis, de quoi rouler une cigarette, coûte 200 DA, et pendant que nous observions la marchandise, Yahia négociait le prix d'une voiture avec M.J., un repris de justice spécialiste dans le vol de voitures et le trafic de cartes grises. Il s'agissait d'une BMW décapotable, on lui avait changé la plaque d'immatriculation, la peinture et, surtout, elle avait une nouvelle carte grise toute neuve. Cette voiture servira plus tard à un déplacement de la bande pour aller dans l'endroit favori des dealers. Pendant que Yahia marchandait avec ses complices, arrive un autre jeune homme, âgé de 19 ans, en compagnie cette fois d'une fille. Elle nous a d'abord menti sur son âge mais après insistance, elle nous avoue qu'elle a 17 ans et qu'elle a fugué de chez ses parents à Oran parce que son beau-père abusait d'elle. La fille suscitait l'intérêt des dealers et une bagarre éclata entre les deux plus agressifs du groupe, l'un voulait emmener la jeune fille à « Safra » qui est un jardin situé en face du lycée Descartes à El Mouradia et qui accueille à partir de 22 heures des revendeurs de drogue et les voyous de toute la région. L'autre voulait la garder avec lui dans cette épicerie qui n'en est pas une et voulait qu'on parte. Ils décident enfin d'aller à Palm-Beach, où nous les rejoignons un peu plus tard dans une résidence, un petit immeuble de quatre étages, doté d'une piscine et d'une grande véranda. Nous entrons dans un appartement au troisième étage, bien équipé, nous apprenons que Yahia louait cet appartement à 60.000 dinars par mois et que l'immeuble appartenait à un promoteur immobilier très connu sur la place d'Alger, mais on ne nous en dira pas plus sur son identité. Nous nous installons dans le salon, on donne à boire à la jeune fille beaucoup d'alcool, on lui donne à fumer des joints aussi, ensuite elle disparaît dans une chambre mitoyenne où nous supposons que les jeunes dépravés ont abusé d'elle. Nous réussissons à partir sans avoir eu le moindre ennui avec les dealers, ce qui ne fut pas une tâche facile, il est 2 heures trente du matin et notre aventure dans les rues ténébreuses d'Alger est loin d'être finie. Nous nous introduisons dans le jardin de la Liberté rue Didouche. Là, nous rencontrons des drogués, des revendeurs de drogue, des ivrognes, des prostituées de bas étage, des sans-abri. «Je garde les voitures la journée ici à Didouche, je gagne de l'argent mais ce n'est pas suffisant, je préfère faire des affaires dans le jardin la nuit, ça rapporte plus, je vends un peu de tout, chira, cigarettes, alcool et je suis le moins cher, vous pouvez vérifier, et en plus j'ai de la bonne marchandise» nous déclare S.H., un jeune de 19 ans venu de Soustara. Nous lui demandons d'où provient sa marchandise et là, surprise: «J'ai des copains bien placés au port, de temps en temps j'y vais et j'achète de là, c'est première main, on ne rigole pas là, il n'y a que moi qui peux m'introduire dans le port, les autres, ils ont essayé mais ont échoué, il faut des maâref shah», nous dit-il avec fierté. Nous allons voir au port d'Alger en espérant découvrir ce qui s'y passe la nuit, mais les agents de sécurité nous ont interdit l'accès malgré toutes les ruses dont nous avons usé. Nous retournons au jardin et nous bavardons avec le clochard du coin qu'on surnomme «Monsieur propre», car il passe ses journées à nettoyer les rues. Nous constatons qu'il n'a pas toute sa raison mais nous avions là un homme qui pouvait nous informer sur les événements que vivait le jardin vu qu'il y dormait toutes les nuits pendant un an. «Vous voyez les deux jeunes assis en face, ils ramènent beaucoup de filles ici, la majorité sont des mineures qui ne possèdent pas de papiers, ils les violent ensuite et ils les emmènent dans des boîtes de nuit où elles sont contraintes à se prostituer, ensuite ils les frappent, les maltraitent. Il y a des descentes de flics, mais les jeunes sont malins, ils trouvent le moyen de le savoir à l'avance et vident les lieux», nous confie-t-il. Madonna d'El Mouradia Nous ne tardons pas à confirmer ses dires. Il est trois heures quarante minutes du matin quand deux jeunes viennent avec une fille, elle leur donne trois mille dinars, mais l'un des deux hommes n'est pas satisfait, il la gifle violemment et elle lui tend un autre billet de mille dinars en jurant que c'était le dernier. Nous réussirons à approcher la fille en question un peu plus tard et elle nous fait ces révélations: «Je suis de Annaba, mes parents sont morts et je n'ai personne, je suis venue sur Alger pour trouver du travail, et puis j'ai rencontré Younès qui a été gentil avec moi au début, il m'a hébergée et m'a donné de l'argent, maintenant il n'a plus de travail et je dois travailler, je lui donne tout car j'habite chez lui.» Ce que cette jeune femme considère comme du travail est en fait de la prostitution, dans des endroits mal famés et très dangereux comme certains cabarets notoiremment connus au centre-ville. Il est quatre heures du matin, épuisés, nous décidons de rentrer, nous passons par El Mouradia et nous croisons Madonna. Madonna n'est autre qu'un travesti bien connu en ville, on le surnomme ainsi car il s'habille d'une manière sexy et fait les trottoirs d'El Mouradia à partir d'une heure du matin en quête de clients. Mais il ne le fait pas que pour de l'argent mais aussi par plaisir. Nous nous arrêtons pour bavarder avec lui. «Alors, je suis belle ce soir?», lance-t-il à Yahia qui lui tend un billet de cinq cents dinars. Vêtu d'une minijupe en cuir noir et de chaussures à talons hauts, une perruque blonde sur la tête, Madonna ressemble à une star sortie d'un film de science-fiction . «La police ne me laisse pas beaucoup travailler ces temps-ci, mais je crois que j'ai la cote avec eux, ce soir», nous confie-t-il. Un agent de police vient nous demander les papiers du véhicule, et avec une assurance étonnante, Yahia lui tend les documents en lui souriant. L'agent n'y voit que du feu et rend les papiers à Yahia en lui demandant de partir, mais simulant une panne, nous réussirons à surprendre l'agent qui menaçait Madonna: «Je finis à six heures, tu passes, d'accord ? Sinon tu vas recevoir une sacrée correction lors de mon prochain service.» Notre aventure se termine là, nous n'avons certainement pas découvert tout ce que les rues ténébreuses d'Alger cachaient la nuit, mais nous avons appris que notre capitale a de multiples facettes. La nuit, nos jardins se transforment en forêts tropicales où les loups guettent les brebis égarées, et nos cités, des lieux de débauche où des jeunes de 18-19 ans apprennent à manier le couteau et à fumer du cannabis.