«On se souvient du nom des poètes, jamais de celui de leurs assassins» dixit Mouny Berrah. Après un traumatisme répressif, Lazhari Labter entame son travail de deuil. Il se met donc sur le divan et raconte: «dans la cité populaire d'Aïn Benian où habite Tahar Djaout, une cité adossée à la forêt des hauteurs de Bouzaréah et qui fait face à la mer (...)» et puis: «...trois détonations éclatent dans le matin de cette journée du mercredi 26 mai 1993 (...) plongé dans un coma profond (...) il décédera le mercredi 2 juin». C'était au temps où la sinistre et lugubre mort rôdait soufflant tout sur son passage. Lazhari Labter, avec la sensibilité d'un poète, raconte ces séquences comme on raconte un cauchemar. «Je voudrais dire que ce travail a été entrepris pour perpétuer en nos mémoires oublieuses et dans notre histoire si sélective, les noms des 100 journalistes et travailleurs des médias, de Tahar Djaout à Zoubida Barkat, assassinés entre 1993 et 1997». Dur, dur est le souvenir. La douleur reste encore vivace quoique la plaie commence à se refermer. Le mal est encore là, silencieux chez les uns, criant chez les autres. Maintenant que la bourrasque est, selon toute vraisemblance, finie, il est temps de sortir et de constater les dégâts. La corporation a chèrement payé sa liberté. Et quelle liberté! Du fond de ses silences, Lazhari Labter revient, à la manière de ces combattants pour la justice et entre ses mains «les dix commandements»: Journalistes algériens de 1988 à 1998. Dans ce livre, paru dernièrement chez les éditions Chihab, l'auteur nous replonge dans le passé récent de l'Algérie : celui pendant lequel notre pays a failli être emporté par les crues de l'intégrisme islamiste. En guise de préface, l'auteur nous propose une lettre de feu Abdelkader Safir aux journalistes algériens: «Jeunes confrères ! la thématique de l'oeuvre qui vous attend est riche et exigeante. Il faut de la classe et du talent. Il faut le faire, le savoir-faire et le devoir-faire de votre jeunesse et de votre engagement. Vous êtes appelés à la plus magnifique des aventures. Mes jeunes confrères, je vous envie!» Bonne ou mauvaise, l'aventure ne changera jamais. Elle ne sera que ce qu'elle est aujourd'hui et ce qu'elle était il y a dix ans, cent ans, une éternité... L'aventure n'est qu'une aventure, il n'y a désormais que le résultat qui compte. Et l'aventure empruntée par les journalistes algériens n'était pas un simple jeu de gamin. Aujourd'hui, à chaque recoin de ce pays, il faut s'arrêter et avoir une pensée aux Djaout, Safir, Zoubida Berkat, Zinou, Sebti, Guenifi, Brahim Taouchichet et la liste est malheureusement longue. Trop longue pour qu'elle soit citée ici. «Contrairement à une idée répandue, cette guerre n'a jamais été sélective. Ses commanditaires n'ont jamais fait de différence entre un journaliste francophone et un journaliste arabophone, un kabyle et un arabe, la presse publique et la presse privée, la presse écrite et la presse audiovisuelle, d'âge, de sexe ou de pensée politique ou religieuse». En outre, dans ce livre, l'auteur se dresse en bon chroniqueur pour nous rafraîchir la mémoire. Chaque page est un cri d'alarme ; chaque paragraphe est une larme ; chaque mot raconte un mal, mais aussi un espoir. L'espoir de continuer à lutter en dépit de la nouvelle dictature, en dépit de la cupidité des uns et la haine viscérale vouée à la corporation par les autres. Il faut tout d'abord défier et « alors tu comprendras que pour changer l'ordre des choses même si on a la tête dans les nuages il faut avoir les pieds bien plantés sur terre même si tes semelles de vent sont si légères qu'elles t'élèvent dans le ciel clair des chants de l'enfance que te chantait ta mère ». Ainsi parlait Lazhari.