Le premier a été intronisé légalement président intérimaire, le second fait débarquer son porte-parole et le troisième dit qu'il est toujours patron du FLN. Et le tour est joué. On a beau «vendredire», mais le système ne décroche pas. Mieux, il revient au galop alors qu'on pensait l'avoir chassé au bout de sept manifestations grandioses et pacifiques. Ces dernières 48 heures ont été en effet marquées par une réapparition pour le moins fracassante de deux figures qu'on pensait à jamais radiées dans la trame politique nationale. Ahmed Ouyahia, secrétaire général du RND et Djamel Ould Abbès, ancien secrétaire général du FLN. Avant-hier, Ouyahia sort de sa réserve et décide de mettre fin aux fonctions de Seddik Chiheb, en tant que porte-parole officiel du parti et secrétaire du bureau RND de la wilaya d'Alger et de geler ses activités au niveau du bureau national. Une décision très contestée au sein du RND, mais qui signifie que son SG tient toujours les rênes du pouvoir tant qu'il est à ce poste. 24 h plus tard c'est son homologue du FLN, l'ancien patron du FLN, Djamel Ould Abbès qui réapparaît...et de quelle manière! «Je suis toujours le secrétaire général du FLN» a-t-il lancé à un journaliste qui l'a approché lors de la réunion des deux chambres du Parlement pour constater la vacance du poste de président de la République. «Avez-vous vu ma démission?», a-t-il ajouté au journaliste qui l'interrogeait s'il était présent en sa qualité de sénateur ou en tant que membre du FLN. «J'ai gardé le silence durant cinq mois et maintenant c'est le moment de parler.» Djamel Ould Abbès a quitté son poste de secrétaire du parti le 14 novembre 2018, suite à «un malaise qu'il a eu». A-t-il été poussé à la porte? Pour quelles raisons? C'est ce que dira probablement Ould Abbès même, cela n'aura aucun impact sur la situation politique que vit le pays. Les vrais débats et les jeux dépassent largement ces querelles d'arrière-boutique. Au lieu d'opérer sa mue, le FLN redevient otage de sa vieille garde. Au lieu d'être dégommé, c'est Ouyahia qui dégomme. Pour l'heure, c'est le système qui se manifeste, qui frémit à travers des figures de proue. Hier, Abdelkader Bensalah a été intronisé légalement président intérimaire, Ould Abbès veut reprendre son poste de SG du FLN et Ouyahia fait débarquer son porte-parole. Mais le plus inquiétant pour nombre d'observateurs, est que ces réapparitions des figures du système coïncident avec le retour de la matraque,des bombes lacrymogénes et canons à eau. Hier, tout ce matériel a servi contre des étudiants qui manifestaient pacifiquement à Alger. Aucune partie officielle n'a assumé ces actions. Ni le ministère de l'Intérieur ni la Dgsn contactés par nos soins avant-hier, n'ont confirmé l'existence d'une quelconque note interdisant les marches. Il s'agit d'un ordre anonyme, ce qui est en contradiction totale avec l'éthique de l'Etat. Dans cette foire d'empoigne, tous les regards restent braqués sur l'armée. Hier, le chef d'état-major a laissé sur leur faim ceux qui attendaient une décision ferme de l'institution militaire. Mais, il faut dire que cette dernière est aussi dans une situation délicate. Si l'ANP désavoue le tout frais président intérimaire, elle serait accusée d'agir hors légalité. Si elle approuve, elle serait taxée de «sissisme». Que faut-il faire dans ce cas si ce n'est de lui donner le temps de la relance en fonction de la nouvelle donne. Partis et personalités réagissent Ali Benflis dénonce «L'application intégrale de l'article 102 et la non-prise en compte des articles 7 et 8 de la Constitution indiquent clairement que le basculement s'est opéré dans le sens d'une pérennisation des résidus d'un régime politique que le peuple algérien a dénoncé et condamné avec une vigueur extrême», a écrit Ali Benflis dans une déclaration faite à la suite de la désignation du président du Sénat comme chef d'Etat par intérim. Il a ajouté que «la manière dont il vient d'être pourvu à la vacance de la présidence de la République est loin de constituer une mesure d'apaisement dans le contexte actuel, bien au contraire, elle nourrit à plus forte raison l'amertume du peuple et sa colère et complique encore plus la grave crise du pays. Le choix de l'article 102 ne rapproche pas notre pays de la sortie de crise. Il l'en éloigne dangereusement.» Mohcine Belabbès «c'est un coup d'Etat» Le président du RCD a réagi à la désignation de Abdelkader Bensalah, chef de l'Etat comme le stipule l'article 102 de la Constitution qui prévoit aussi une élection présidentielle dans les 90 jours. «Pour la troisième fois, il y a eu un coup d'Etat contre la volonté et la souveraineté populaire: 2008, 2016, 2019. Même dans le nombre officiel de parlementaires il y a eu fraude, puisque Bensalah a annoncé 487 membres au lieu de 606 membres» a-t-il déclaré. Cette solution strictement juridique est rejetée par les Algériens qui manifestent depuis le 22 février pour un changement du régime. La transition menée par Bensalah et les élections organisées par le gouvernement Bedoui avaient déjà été rejetées lors du 7e vendredi de manifestation. Abdallah Djaballah «une trahison» Le chef du Front pour la justice et le développement, (FJD) Abdallah Djaballah, a déclaré que l'investiture de Abdelkader Bensalah à la tête de l'Etat aux termes de l'article 102 de la Constitution est un acte de «trahison envers le peuple algérien et une tentative de contourner ses revendications légitimes». Selon lui, c'est un acte «illégitime et anticonstitutionnel» parce que le peuple refuse cette personne qui a toujours incarné le système et le pouvoir. RAJ: «Le pouvoir méprise le peuple» Le président de l'association, RAJ a réagi hier à la désignation de Abdelkader Bensalah à la tête de l'Etat pour une période de 90 jours. «Cette décision est un indice très fort de l'absence de volonté politique chez le pouvoir d'aller vers un changement démocratique revendiqué par le peuple», écrit Fersaoui sur sa page facebook. «Par cette mesure, le pouvoir méprise le peuple algérien, insulte son intelligence et vise à contourner ses revendications légitimes, casser le mouvement et recycler le système en place à travers l'organisation d'une élection bâclée avec les mêmes symboles du système qui incarnent l'échec», soutient-il. Laddh: «On tourne le dos au peuple» Saïd Salhi, le vice-président de la Laddh, a réagi, hier, après l'installation de Bensalah comme chef d'Etat intérimaire. «Le général-major Gaïd-Salah, chef des armées, qui a tourné finalement le dos au peuple, assumera seul les conséquences de ce forcing contre la volonté populaire pour le changement du système. L'élection présidentielle qui sera organisée dans 90 jours par un système honni par le peuple, ne sera qu'un artifice pour sa survie et sa continuité. Restons surtout pacifiques et poursuivons notre marche» a-t-il soutenu, cité par TSA. Mouvement El Binaa Face à l'entêtement du pouvoir et sa fuite en avant devant les revendications du peuple et sa révolte contre la corruption et face à sa décision d'imposer, par la politique du fait accompli et l'oppression, des personnes rejetées par le Hirak, le parti El Binaa réaffirme son soutien aux revendications populaires et appelle à la poursuite du mouvement de protestation. La formation de Abdelkader Bengrine appelle également au recours à une solution politique qui s'inspire de la Constitution tout en répondant aux attentes du peuple. El Binaa invite le pouvoir en place à ouvrir, dans les plus brefs délais, un dialogue politique duquel émanera une solution de consensus permettant d'aller de l'avant et de construire l'Algérie nouvelle. FFS: «Le pouvoir récidive» Dans un communiqué rendu public hier après la désignation de Abdelkader Bensalah comme chef d'Etat intérimaire le FFS a déclaré que «le pouvoir algérien vient de récidiver en rajoutant de la défiance au mépris. La désignation aujourd'hui de Abdelkader Bensalah à la tête de l'Etat est perçue comme un énième coup de force perpétré contre le peuple algérien et contre ses aspirations légitimes. (...) Le FFS dénonce cette énième mascarade et rejette catégoriquement cette désignation arrogante et affligeante. Le FFS dénonce encore une fois l'utilisation des forces de l'ordre, la répression contre les manifestants et les étudiants(es). Le FFS restera mobilisé aux côtés des Algériennes et Algériens afin de continuer à exiger le changement radical du régime et de ses symboles. Il est plus que jamais impératif d'appliquer l'une des résolutions du congrès de la Soummam qui stipule la primauté du politique sur le militaire. Le FFS demande encore une fois au chef d'état-major de l'ANP de ne plus s'immiscer dans les affaires politiques du pays».