Les ambitions de Nicolas Sarkozy sont affichées depuis longtemps. L'homme fonce tel un bulldozer vers l' Elysée et rien, ni personne, ne semble capable de le freiner dans son élan. En scellant le sort de Jean-Pierre Raffarin, un des Premiers ministres les moins populaires de la Vème République, Jacques Chirac croit avoir trouvé un dauphin en la personne de Dominique de Villepin qui fut, tout à tour, son secrétaire particulier, le secrétaire général de la présidence avant d'atterrir à Matignon. Mais la tâche paraît des plus ardues pour ce fils de diplomate, né au Maroc et féru de littérature et de poésie. Tout d'abord, il n' a jamais été un homme d'appareil, même lorsqu'il «militait» au RPR aux côtés de Jacques Chirac qui l'avait remarqué pour ses nombreuses qualités dont la première, et la plus essentielle, est son inconditionnelle fidélité à l'ancien maire de Paris. Ensuite, il est toujours resté en retrait des joutes et des querelles de leadership qui ont, sans cesse, agité le microcosme chiraquien. Homme de dossiers et de synthèse des courants même les plus contradictoires, de Villepin s'est volontairement placé - et c'est sans doute ce qui lui a permis de perdurer par-delà toutes les tempêtes - au-dessus de la mêlée. Il faut dire que ce disciple d'Alain Juppé qui lui a mis le pied à l'étrier du RPR, avant de l'appeler à ses côtés au Quai d' Orsay puis de le placer à l' Elysée, est, dans sa démarche comme dans ses propos, à l'opposé de Nicolas Sarkozy, le turbulent maire de Neuilly qui se veut connaisseur de la France profonde et grand pourfendeur des communautés marginales. A un an de la prochaine élection présidentielle, les deux candidats à la candidature sont face à face, l'un, bénéficiant de l'onction chiraquienne et donc pourvu du seul soutien des fidèles de l'ex-RPR, l'autre, investi, théoriquement, par la majorité de la composante UMP. Le problème est là, justement. Cette investiture théorique dont se targue le ministre de l' Intérieur, rompu aux shows médiatiques et capable d' opérations de séduction les plus contradictoires comme les plus controversées, selon les circonstances, demeure, à ce jour, une donne latente. Officiellement, aucun député ne veut, en effet, se hasarder à manifester publiquement son choix en faveur de Sarkozy ou de de Villepin. Car le risque est devenu énorme depuis que le calendrier des élections présidentielles et législatives a été inversé, en 2002. Tétanisés par cette inversion, les 577 élus à l' Assemblée nationale savent désormais que leur sort est largement tributaire du résultat des élections présidentielles et que le candidat de leur choix sera leur véritable locomotive. Plébiscité, il leur ouvrirait largement la voie du succès. Mais en cas d'échec, ils seront condamnés à essuyer les plâtres d'une déconvenue dont ils partageront, nolens volens, la responsabilité. Voilà pourquoi ils sont convaincus que l'heure n'est pas encore au suffrage et que rien ne leur commande de trancher, d'ores et déjà, entre le candidat de Chirac et celui de l'UMP. Bien sûr, les partisans de l'un comme de l'autre crient, à qui veut les entendre, que les jeux sont déjà faits et que la majorité des militants de la mouvance politique sont acquis à leur candidat. Mais, dans un camp comme dans l'autre, la peur est réelle de déboucher, au terme d'un congrès d'investiture houleux, sur une double candidature, auquel cas, s'en serait fini des prétentions de la droite et des chances réelles de son représentant face à un candidat de la gauche même désunie. Pour l'heure, accaparés par leurs fonctions respectives de Premier ministre et de ministre de l'Intérieur, de Villepin et Sarkozy rivalisent par partisans interposés. Le président de l'Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, critique sévèrement la prétention de Sarkozy à engager une révision de la Constitution pour accroître les prérogatives du président de la République, crime de lèse-majesté car la Vème République est fondée sur un équilibre institutionnel qui doit beaucoup à un certain Michel Debré, Premier ministre du général de Gaulle. Qui plus est, cet avis est partagé par plusieurs barons de la chiraquie, d'une part, et certains «dinosaures» de la droite, d'autre part, tel le président du Sénat, Christian Poncelet, qui a peur de voir «l'édifice s'écrouler». Ce à quoi les bretteurs de Sarkozy rétorquent qu'il n'y a qu'à faire le bilan de la «monarchie chiraquienne» dont ils pensent qu'il n'y a pas matière à pavoiser. Dans tous les cas de figure, ces joutes feutrées mais déjà significatives donnent une idée du duel sans merci qui va, à un moment ou un autre, opposer les deux prétendants à l' Elysée. Un duel dont tout indique qu'il sera une réédition de l'épisode, désormais historique, Chirac-Balladur.