«Quand le peuple vote mal, il faut changer le peuple» Berthold Brecht Créé en 1987, par Cheikh Yassine, Hamas est l'acronyme de «mouvement de la résistance islamique». Souvenons-nous de la façon abjecte avec laquelle a été assassiné par des drones israëliens, le fondateur Ahmed Yassine, à la sortie de la mosquée et son successeur Abdel Aziz Al-Rantissi, aussi éliminé par l'armée israélienne en 2004. En quelques années, l'organisation Hamas est devenue incontournable sur la scène politique et militaire au Proche-Orient. Les résultats du jeudi sont une surprise pour les bien-pensants européens et américains qui ont tout fait pour barrer la route, en vain, au mouvement Hamas. La Commission européenne est allée jusqu'à menacer l'Autorité palestinienne de lui couper les vivres. «Les Européens et les Américains affirment que le Hamas doit avoir soit les armes, soit le CLP. Mais nous disons, ‘les armes et le CLP». Pourtant, la diplomatie américaine a discrètement encouragé Israël à laisser le mouvement islamique participer aux élections, y compris des candidats recherchés par les forces de sécurité. Parallèlement, l'agence de développement Usaid, a financé en sous-main le Fatah à hauteur de 1,9 million de dollars, le double des fonds récoltés par le Hamas. Le résultat lance un camouflet aux Américains, mais aussi un défi. Dans un article magistral, Alain Gresh a tracé, d'une façon limpide, la situation actuelle des Palestiniens, victimes à la fois de leurs dirigeants et de l'indifférence de l'Europe qui était le dernier avocat de la raison et de la justice. Ecoutons-le: «Subtilement, insensiblement, au cours des dernières années, dirigeants mais aussi médias européens ont changé leur manière d'aborder le drame de la Palestine et la solution du conflit israélo-palestinien. Durant tout ce que l'on a nommé le processus d'Oslo, il était clair que la solution passait par une négociation d'ensemble fondée sur un retrait des troupes israéliennes des territoires occupés en 1967, y compris la partie est de Jérusalem, l'établissement de frontières durables entre l'Etat palestinien et Israël, et une solution acceptable pour les réfugiés palestiniens. Les négociations de Camp David (juillet 2000) comme celles de Taba (janvier 2001) portaient sur ces contentieux.» Alain Gresh: «La Palestine abandonnée», Le Monde Diplomatique, janvier 2006. En votant majoritairement pour le Hamas, les Palestiniens ont montré que leur priorité était d'en finir avec l'occupation. Le succès du Hamas bouleverse la donne politique. Ce mouvement doit maintenant former un gouvernement. En votant dans le calme, les Palestiniens ont plébiscité le mouvement de la résistance islamique, Hamas, qui a remporté jeudi 26 janvier une victoire écrasante, bousculant l'hégémonie du Fatah, le parti du président Mahmoud Abbas. Avec 76 sièges sur 132, le Hamas a obtenu la majorité absolue au Conseil législatif palestinien (Parlement). L'ampleur de la défaite du Fatah ne faisait, jeudi 25 janvier, l'objet d'aucune contestation puisque, avant même la publication officielle des résultats, Mahmoud Abbas a demandé en début d'après-midi au groupe islamiste de former le prochain gouvernement, après avoir accepté la démission de son premier ministre, Ahmed Qoreï. Le Hamas indiquait de son côté, qu'il était prêt «à travailler» avec le Fatah. «Nous commencerons très prochainement d'intenses consultations avec le président Mahmoud Abbas, les frères du Fatah et les autres groupes palestiniens pour nous entendre sur la nature du partenariat politique de la prochaine étape». Cette victoire écrasante n'est pourtant pas une surprise pour les connaisseurs de la région. Ces élections s'inscrivent dans le cadre d'un processus électoral qui a débuté, il y a un an, avec les élections municipales. C'est à ce moment-là qu'a commencé le raz-de-marée du Hamas. Ce résultat correspond à un mouvement de fond dans la société palestinienne dont la priorité aujourd'hui, est d'en finir avec l'occupation. Le Hamas, a contrario, bénéficie d'une image de « très bonne moralité» sachant gérer les hôpitaux, les écoles et donnant à tous ceux qui sont dans le besoin. Agnès Rotivel «La victoire du Hamas», Journal La Croix. 26/01/2006. Le Fatah, qui a enregistré une lourde défaite aux élections législatives palestiniennes, a décidé de ne pas participer à un futur gouvernement dirigé par le Hamas, a annoncé un haut responsable palestinien. Israël annonce qu'il ne négociera pas avec un gouvernement Hamas. Après avoir encouragé le libre jeu de la démocratie, Washington, écrit Phillipe Gélie, espère que le Hamas sera transformé par l'exercice du pouvoir. Dès l'annonce de la victoire électorale du Hamas, George W.Bush a tenu hier, une conférence de presse à la Maison-Blanche en forme de mise au point: «Je ne vois pas comment on peut être un partenaire de paix lorsqu'on défend la destruction d'un pays, et chacun sait qu'on ne peut être un partenaire de paix lorsqu'on a une branche armée», a dit le président. Ainsi, les Etats-Unis semblent prêts à fermer la porte au nouveau pouvoir palestinien, et par la même occasion, à ce qu'il reste du processus de paix. Juste avant le président, Condoleezza Rice, la secrétaire d'Etat, avait déclaré au sommet de Davos: «On ne peut pas avoir un pied dans la politique et un autre dans le terrorisme. Des choix difficiles vont se présenter devant ceux en qui les Palestiniens ont placé leur confiance.» La position de l'administration américaine est d'abord guidée par la loi : tant que le Hamas figure sur la liste des organisations terroristes, il est interdit à tout ressortissant américain de lui fournir quelque aide que ce soit. Elle a aussi une dimension politique intérieure. En décembre dernier, la chambre des représentants a adopté par 397 voix contre 17 une résolution proclamant que les 350 millions de dollars d'aide aux Palestiniens, prévus en 2006, seraient remis en cause en cas de participation du Hamas au gouvernement. Ces démarches portent la marque de groupes de pression comme l'Aipac ou le Middle East Forum, dont le directeur, Daniel Pipes, écrit dans USA Today : «Comme Al Qaîda, le Hamas doit être détruit.» Phillipe Gélie «Hamas: Bush ne parle pas avec des ‘‘terroristes'' 27 janvier 2006. Washington maintient ainsi une étroite brèche pour sortir de l'impasse : si le Hamas est assez pragmatique pour laisser les premiers rôles à des personnalités fréquentables, s'il maintient la trêve respectée depuis plusieurs mois et s'oriente «vers la solution de deux Etats», les Palestiniens ont encore une chance d'échapper à l'isolement international. Instigateur de la Feuille de route, le Quartette pour le Proche-Orient Etats-Unis, Union européenne, Russie et ONU a pour sa part appelé le Hamas à renoncer à la violence et reconnaître le droit à l'existence d'Israël. «"Une solution à deux Etats nécessite que tous les participants au processus démocratique renoncent à la violence et au terrorisme, acceptent le droit à l'existence d'Israël et désarment, comme le précise la Feuille de route», a souligné le Quartette dans un communiqué. En dépit des inquiétudes suscitées par la victoire du Hamas, M.Abbas, un modéré, devrait avoir les coudées franches pour mener des négociations avec Israël en vue d'un règlement, la loi fondamentale de l'Autorité palestinienne limitant largement le rôle du CLP et du gouvernement à la politique interne. La victoire sans contestation du Hamas ne doit pas faire illusion, les problèmes sont complexes. Il est fort à parier que le Hamas se «notabilisera» et mis à part les aspects sociaux, s'il n'a pas une vision pragmatique des enjeux, il se coupera à son tour du peuple qui l'a élu. Nul doute qu'il composera sous les pressions multiples, les prochains jours seront à coup sûr des indices d'un changement de cap ou d'une tentative suicidaire qui sera vouée à l'échec.