Le chassé-croisé des deux grandes puissances reste dominé par des motifs avant tout militaires. En l'espace de moins d'un mois, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, accueillera coup sur coup le secrétaire d'Etat américain à la Défense, Donald Rumsfeld et le président Russe, Vladimir Poutine. Les Etats-Unis poursuivent, en fait, leur politique d'«occupation de terrain» avec la visite de Rumsfeld, qui va clôturer les pas engagés depuis plusieurs mois avec Alger, et conforter les deux visites inscrites dans l'agenda de cette semaine, celles, successives, du général Charles F.Wald, adjoint au commandant des forces américaines en Europe, puis de Robert Mueller, le patron du FBI, reçu, hier, par le ministre de la Justice Tayeb Belaiz. Lors de l'entretien entre les deux responsables, il a été décidé le renforcement de la coopération dans la lutte antiterroriste. La visite de M.Mueller «entre dans le cadre du renforcement et de la consolidation des relations entre l'Algérie et les Etats-Unis en matière de coopération sécuritaire, notamment dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée», a précisé M.Belaïz. Et d'ajouter : «les possibilités qui s'offrent à l'Algérie et aux Etats-Unis pour élargir la coopération en matière sécuritaire et conclure des conventions bilatérales dans le domaine juridique et judiciaire sont réelles». De son côté, M.Mueller s'est «félicité» du niveau de coopération entre l'Algérie et les Etats-Unis en matière de lutte contre le terrorisme. Cette visite vient soutenir la démarche du président américain George W. Bush qui avait déclaré en juillet 2005 dans un message à son homologue Abdelaziz Bouteflika que l'Algérie était un partenaire de «grande valeur» dans la lutte contre le terrorisme. «L'Amérique continue de compter sur l'Algérie en sa qualité de partenaire de grande valeur dans la lutte contre le terrorisme et dans notre objectif commun de promouvoir la démocratie et la prospérité dans votre région ainsi que de par le monde», avait écrit M.Bush. Preuve que le déploiement actuel des Etats-Unis est fondé sur une stratégie savamment élaborée à Washington. Cela pour les USA. Quant à la Russie qui, elle aussi, espère beaucoup de sa coopération avec l'Algérie, elle mise sans doute énormément sur la visite d'Etat qu'effectuera Poutine en Algérie et constituera autant d'enjeux politiques pour l'avenir, en s'articulant autour de la dette, l'armement, l'accroissement des échanges économiques et la mise en pratique des accords gaziers contractés récemment. Préparée avec rigueur et sérieux par l'ambassadeur de Russie en Algérie, Vladimir Titorenko, puis par l'envoyé spécial de Poutine, Igor Ivanov, le 21 janvier, la visite de Vladimir Poutine revêt pour les observateurs politiques un caractère particulier, en ce sens qu'il s'agira pour Moscou d'une véritable «reconquista». Allié traditionnel et stratégique de l'Algérie, comme les Etats-Unis l'ont été pendant longtemps pour le Maroc, la Russie a perdu pied en Algérie pendant la période de la Perestroïka engagée par le président de l'ex-URSS, Mikhaïl Gorbatchev, et qui se révéla être le début de l'éclatement de l'empire soviétique. La Russie, qui hérita de la force de l'empire, mais aussi de ses éclatements, dut faire face à d'énormes problèmes intérieurs, et cessa de jouer son rôle de protecteur du bloc socialiste, dont l'Algérie, jusqu'à une date récente faisait partie. Les événements du 11 septembre eurent le triple impact de fragiliser les Etats-Unis, hantés soudainement par leur sécurité intérieure, de rapprocher Moscou de Washington, à la faveur d'une recomposition des priorités militaires américaines et de donner une légitimité à la guerre qu'entreprenait Alger contre le terrorisme depuis une décennie. C'est grâce à ce jeu pas très clair des deux puissances qu'Alger tient aujourd'hui son rôle de «pays allié», «stratégique», et «ami». Les priorités restent autant pour Alger que pour Moscou d'assainir le dossier de la dette, mais surtout de l'armement. Une grande majorité des officiers supérieurs et des officiers généraux de l'armée algérienne a suivi des formations militaires sur l'armement russe à Moscou, mais aussi dans les grands centres de formation de l'ex-Union soviétique, comme ceux de Kiev, Odessa ou Vladivostok. Et ces officiers issus de la génération d'après-guerre d'indépendance fait encore confiance à l'armement russe. Contrairement à ce qui se dit dans les pays occidentaux, l'armement russe n'est pas suranné, ni obsolète. Amélioré d'année en année grâce à une technologie de pointe très élaborée dans les armées, l'armement russe reste performant et très prisé dans le commerce mondial de l'armement. Tanks, Migs, fusils d'assaut et armes de poing russes restent à ce jour la panoplie des armées algériennes. Leur entretien et la maintenance des armes de guerre requièrent encore une coopération plus sérieuse, car on estime à 85% l'apport de l'armement russe pour les armées algériennes, même si entre 1994 et 2004, l'Algérie a pu diversifier ses sources d'achats. Toutefois, la «tendance russe» revient à la page, avec notamment l'achat de nouveaux types d'avions de combat, de fusils d'assaut, mais aussi - et surtout - de sous-marins de type 877EKM. La visite exceptionnelle de Donald Rumsfeld en Algérie, et qui - il faut le préciser - précède celle de Poutine, aura notamment à «regarder de près» l'état de santé du président algérien. Washington, qui a appuyé Bouteflika depuis 1999, tient encore à renforcer ses relations avec celui qu'elle considère comme «un allié sûr» et ne souhaite pas avoir à gérer une situation «post», dont ses rapports confidentiels font état, et qui peut se traduire par un retour à la situation d'avant 1999. Washington, qui a pu aussi fructifier l'après-11/9, s'est durablement installé dans la bande sahélo-saharienne où elle suggère que cette «zone grise», véritable ventre mou du Maghreb, est un «no man's land sécuritaire», qui peut facilement servir de rampe de lancement aux groupes djihadistes affiliés à Al Qaîda. Experts militaires et drones ont mis cette zone sous la loupe depuis 2003, date du lancement du plan «Pan-Sahel Iniatiative» PSI, puis de Flintlock, qui a clos ses exercices au début de l'année 2005. Chassé-croisé diplomatique entre Moscou et Washington, guerre d'influence politique ou jeu des stratégies de puissances, cela n'augure pas, à long terme, d'une coopération saine car, d'un côté comme de l'autre, nous sommes en face à des chefs militaires avant tout. Il ne faut pas perdre de vue que l'administration Bush est dominée par des partisans de la guerre, les «Faucons» de la trempe de Rumsfeld, Dick Cheney, John Bolton et Walfowitz, et qu'en face, Poutine, tout autant que ses principaux collaborateurs sont issus de la direction du renseignement de l'ex-URSS et avaient été des chefs militaires aguerris.