Pour les jeunes lecteurs d'aujourd'hui, il est bon de revenir en arrière, juste pour qu'ils sachent qu'il y avait une autre vie, si belle, avant eux, oui, quand la presse algérienne se comptait sur les doigts d'une main. Mais cette absence de diversité et de pluralité n'excluait pas le talent qui faisait de la presse algérienne, selon le journaliste Jean Daniel, la plus talentueuse d'Afrique. Et la plus inspirée. Trois journaux sortaient du lot. D'abord Algérie actualité, un hebdomadaire constellé d'étoiles dont le directeur était Zouaoui Benhamadi, déjà, et le joyau, sur le plan de l'écriture, le défunt Abdelkrim Djaâd qui venait pourtant des assurances, il n'a jamais fait d'école de journalisme. On sait que le talent n'est pas affaire d'étude. Ses éditos étaient un régal, un exercice de style que goûtaient avec jouissance les puristes, à l'époque il y en avait, aujourd'hui de moins en moins. C'était un autre monde, une autre Algérie, d'autres lecteurs et d'autres journalistes. A côté de Djaâd, il y avait l'écrivain Tahar Djaout, assassiné en mai 1993 aussi discret que talentueux. Et puis tant d'autres qu'on ne pourrait tous citer : Mouny Berrah, Malika Abdelaziz,Tewfik Hakem, et Nadjib Stambouli, belle plume de la culturelle. Contrairement à d'autres, Nadjib ne roulait pas des mécaniques, d'une égale humeur, il ouvrait les colonnes de son journal à n'importe quel jeune écrivain sportif inconnu ou artiste sans nom. Pour lui, seul le talent comptait. A côté d'Algérie actualités, il y avait l'internationalement connu, le quotidien El Moudjahid de Nourredine Nait Mazi, directeur mythique, une sorte de statue du commandeur aussi sourcilleux sur la déontologie que formidable humaniste. Il tirait ses lettres de gloire de son appartenance à l'héroïque El Moudjahid d'Abane Ramdane, Pierre Chaulet et Frantz Fanon… Le quotidien El Moudjahid au 20, rue de la Liberté, était la matrice de la presse algérienne francophone. La majorité des journalistes est de ce « ventre » fécond. Notons Ahmed Fattani, plume de l'international qui a fondé par la suite, avec beaucoup de bonheur, deux journaux : Liberté puis L'Expression, Kheiredine Ameyar, plume politique et sportive, hélas disparu, Halim Mokdad, Mohamed Abderrahmani, Bachir Rezzoug, Boussaâd Abdiche, billetiste impertinent et tant d'autres perdus dans le brouillard du temps et de la grande faucheuse. La troisième école était celle de Révolution africaine des années 80, celle des Abdou B, Maâchou Blidi, Zoubir Zemzoum, Zoubir Souissi, Mohamed Hamdi,Boukhalfa Amazit, Josiane Fanon, Mimi Maziz, mais aussi Ameyar et Rezzoug…de grandes et belles plumes qui se sont tues vaincues par le temps. En ce temps-là, l'Algérie était fermée, mais le talent était ouvert, prometteur, étincelant… C'était la presse des seigneurs et non des saigneurs comme aujourd'hui… A chaque époque ses journalistes.