En guise d'hommage posthume à l'éternel ami de l'Algérie, Guy Bedos, nous reproduisons cette critique publiée par le doyen des écrivains algériens, Kaddour M'Hamsadji dans sa célèbre chronique littéraire «Le temp de lire», il y a exactement 5 ans. Reproduite par Guy Bedos en épigraphe à son ouvrage Mémoires d'outre-mère (*) (une réédition pertinente par Casbah Editions), le sympathique et célèbre humoriste français, né le 15 juin 1934 à Alger, d'ascendance espagnole, un authentique et fier pied-noir qui ne parle pas pour ne rien dire, - cette citation n'est pas classique, elle est pesée. Au reste, elle est extraite du récit autobiographique, non moins spirituel, intitulé «Les Mots» (1964) de Jean-Paul Sartre, et elle porte en elle une grande part de la philosophie existentielle qui avait fait «fortune» d'abord en France de 1945 jusqu'à la fin de 1970 et dans le monde. Une belle rencontre due au Hasard Lorsque Guy Bedos est arrivé à Paris en 1949 avec ses parents, il a seize ans, plein d'allant, affranchi déjà par la vie, riche de ses seules espérances de jeunesse et de rêve d'historicité à la fois psychologique, sociale et philosophique. Il prend le temps de percer dans sa vie personnelle et professionnelle. Il aura longtemps roulé sa bosse avant de devenir un Artiste de music-hall, comédien, acteur de cinéma et scénariste, sans oublier sa terre natale, l'Algérie. Aussi, aurait-il bien pu encore, pour fixer les idées et faire connaître son tempérament, citer Sartre qui confiait dans le même livre: «Ce que j'aime en ma folie, c'est quelle m'a protégé, du premier jour, contre les séductions de ´´l'élite´´: jamais je ne me suis cru l'heureux propriétaire d'un ´´talent´´: ma seule affaire était de me sauver - rien dans les mains, rien dans les poches - par le travail et la foi. Du coup, ma pure option ne m'élevait au-dessus de personne: sans équipement, sans outillage, je me suis mis tout entier à l'oeuvre pour me sauver tout entier. Si je range l'impossible Salut au magasin des accessoires, que reste-t-il? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui.» En cela est Guy Bedos aussi. Guy Bedos n'oublie pas, non plus que c'est son oncle Jacques Bedos qui est à l'origine de sa vocation d'artiste. L'oncle a animé, à Alger, entre autres activités artistiques, «Le Petit Music-hall du dimanche» sur la scène du cinéma Le Paris avec ses copains, formant les «trois J», lui, Jacques Redson et Jacqueline Dory. L'oncle a également travaillé à Radio-Alger dans les années 1950-1961 et à la télévision installée, alors à ses débuts, au Boulevard Bru, avant d'entrer à l'ORTF à Paris. À ce propos, dois-je peut-être évoquer, en passant, ma toute première rencontre avec Guy Bedos. Mon petit-fils Anys Mezzaour m'accompagnait; il venait de publier, à 17 ans, son premier roman La Proie des Mondes à l'ENAG éditions. C'était une rencontre fortuite, car j'avais, peu auparavant, terminé une conversation amicale, à bâtons rompus, avec notre illustre écrivain Yasmina Khadra, et comme je circulais dans les allées grouillantes de visiteurs du 18ème Sila 2013. Guy Bedos y avait été invité pour présenter son merveilleux ouvrage J'ai fait un rêve, éd. Casbah. Je relate cette «rencontre» dans le journal L'Expression du mardi 5 novembre 2013, sous le titre: ´´De Jacques Bedos à Guy Bedos´´ ou le Hasard du 18ème Sila. On sait que l'humoriste est fidèle à ses engagements politiques et publics. «Cette guerre d'Algérie, affirme-t-il dans son livre, je ne l'ai pas faite. Je n'ai pas voulu la faire [...] On m'a réformé pour ma- ladie mentale. On a eu raison. Fou, je l'étais, de colère et de désespoir. Je n'ai donc pas de sang algérien sur les mains. Ni français.» Par ailleurs, on ob-serve qu'il est paisible même avec ses mots justes francs et acerbes. Ces idées sont à l'écart de celles de certains pieds-noirs. Par exemple, à l'émission «Apostrophe» du 12/3/1976, à propos de son livre «Je craque» (éd. Calmann-Lévy, 1975), il déclare sans ambages qu'il est «tout de même plus proche d'Albert Camus que d'Enrico Macias». Je lui ai donc appris - mais il le savait déjà, et il en avait longtemps cherché le texte - que son oncle Jacques Bedos avait joué le rôle de Malki dans ma pièce de théâtre «La Dévoilée», diffusée, en 1956, à Radio-Alger, réalisée par Paul Ventre et les rôles ont été interprétés par les célébrités de l'époque Huguette Haimar, Clément Bairam, Laure Santy et... Jacques Bedos. Cette pièce a été également réalisée, dans la même année, à la radio par Mahieddine Bachetarzi et les rôles principaux ont été tenus par nos familiers comédiens Farida Saboundji et Djelloul Bachedjarah. Plus tard, en 1965, La Dévoilée a été montée par une jeune troupe de lycéens sous la direction du regretté Abdelmadjid Bouzidi (devenu plus tard un brillant économiste) et représentée sur la scène du Théâtre National d'Alger. La Dévoilée a été éditée par Jean Subervie, Rodez, en 1959 (celui-là même qui a fabriqué les premiers exemplaires de l'historique journal El Moudjahid) avec une préface d'Emmanuel Roblès et un jugement d'Albert Camus. Elle a été rééditée par Barkat, en 2012, avec une postface de Jean Pelegri. L'éditeur Barkat a vite fait, dans l'allée même du Sila, de satisfaire Guy Bedos en lui offrant un exemplaire dédicacé de «La Dévoilée». Dans les yeux de l'humoriste, j'ai vu, je n'ai pas cru la voir, une petite larme cristalline d'émotion, celle d'un immense artiste humble et d'une grande sensibilité humaine. Avant de clore cette effusion amicale toute naturelle, et avant d'aller plus loin, et faisant usage du privilège de l'âge, parmi mes confrères algériens encore en vie de la toute première Union des Ecrivains Algériens, je me permets, en ce 20ème Salon international du livre d'Alger, de saluer confraternellement les écrivains français, puisque La France culturelle y est d'honneur. Il raconte, en hommage à Finouche Maintenant présenter les Mémoires d'outre-mère de Guy Bedos est un ravissement que je souhaite partager avec mes lecteurs. Et d'abord, l'intitulé accroche et séduit. C'est une coquetterie de l'écrivain qui reste, évidemment même dans l'écriture, un artiste humoriste. La signification du titre ou si l'on préfère son interprétation est libre de droits. La drôlerie est que ni Chateaubriand avec son long poème nostalgique de sa vie et de son temps «Mémoires d'outre-tombe», ni les «Territoires d'Outre-mer» ne pourront s'y opposer. Guy Bedos nous parle de sa mère, pas celle qui l'a mis au monde, mais celle qui a été son éducatrice et son institutrice, c'est-à-dire Finouche, à laquelle, il dédie son livre «Mémoires d'outre-mère». «Je n'ai pas rêvé», écrit-il, dès la première ligne de ses «Mémoires». Une réalité impensable a surgi du tréfonds de ses souvenirs. Nous lisons: «J'ai bien vu ma mère frapper mon père avec un marteau. Je dois avoir entre deux et trois ans. Mon père est infirme. Quand il met la main dans sa poche, ça ne se voit pas. Il est même beau. Et fort. Un athlète. [...] Je vois mon père, après le coup de marteau, sautillant en agitant son bras comme un enfant. C'est comique et terrible.» Tout le livre, souvenir après souvenir est ainsi. C'est Guy Bedos racontant sa propre vie, son enfance, sa jeunesse un milieu familial instable. Souvent c'était «le lot» de bien des familles pieds-noirs, cultivées ou non, riches ou pauvres. Son père est visiteur médical, sa mère, la fille du proviseur du lycée Bugeaud (auj. lycée Emir Abd el-Kader) et c'est là qu'il a été élevé. Mais ses parents s'étant séparés, il vivra entre maison et hôtel. À sept ans, il est mis en pension chez Finouche, sa belle fermière-institutrice algéroise». Le récit démarre de toute la puissance formidable de l'expression de l'auteur. Et c'est Guy Bedos, tour à tour, représentant le pied-noir excessif, le gars de Bab-El-Oued jubilant de son humour, parfois faraud, toujours farceur impénitent, aux yeux pétillants de malice, qui joue sur les mots, bat les images surréalistes de sa vie entière de 7 à 71 ans, y mêlant et démêlant les exercices de la politique française dans de nombreux domaines. Il fait bruire sereinement les fuseaux multiples de ses souvenirs comme une suite documentaire sur la France et sur l'Algérie: Alger, Bab El Oued, la Kabylie, Sétif, Constantine, Annaba, Souk-Ahras,... Camus, les artistes, les traditions, les senteurs, les amis, «Et puis la guerre. La guerre d'Algérie. Evitable. Atrocement évitable. Que de morts pour rien, des deux côtés. L'irrépressible engrenage de la peur, de la vengeance et de la haine...» De tout. Et lui au centre. Il jongle, l'artiste humoriste! La lecture donne de l'entrain. Nous apprenons ce qu'il n'avait peut-être jamais osé raconter de son enfance, de son adolescence et davantage de sa vie d'homme. Il termine son livre par une sorte d'apothéose aux accents d'amour pour Finouche. Il écrit: «Finouche, ma Finouche, tu m'as manqué, pourquoi n'as-tu jamais cherché à me retrouver, à présent que je suis célèbre? Moi - tu sais comme sont les gamins -, je ne connais même pas ton nom. Ni même ton vrai prénom. Finouche, ça sonne bien, ça sent l'amour et pour moi tu seras toujours Finouche. [...] Où que tu sois, vivante ou morte, à bientôt, ma petite mère. Je t'aime.» Au moment où j'écris ces lignes, sur l'écran de mon ordinateur, apparaît ce double et terrible message «Guy Bedos est mort», «Guy Bedos est décédé à l'âge de 81 ans» et aussitôt cet autre message qui le fait revenir à la vie, qui ranime ses admirateurs: «L'humoriste est victime d'une rumeur.» Il vient même nier sa propre mort. À cet effet - idée géniale de publicité! -, on repasse une vidéo sur le Web, la séquence de l'émission de la 26ème Nuit des Molières (2 juin 2014) animée par Nicolas, son fils! Guy Bedos est en vie: à lui bonne santé et longue vie! Qu'il tienne vivement sa promesse écrite dans ses «Mémoires d'outre-mère»: «J'utilise toute mon énergie - j'en ai - à ce que nul, ni homme, ni femme, aussi proche de moi qu'il soit, n'ait, sans danger pour lui-même, le pouvoir de gâter le temps qui me reste.»
Mémoires d'outre-mère de Guy Bedos. Casbah Editions, réédition, Alger 2015, 193 pages