L'Expression: Quelle est la position de Jil Jadid par rapport à la mouture finale du projet de révision de la Constitution? Soufiane Djilali : La position finale de Jil Jadid sera formulée par le conseil national le 2 octobre. Cependant, je peux vous dire que lors de notre réunion du conseil politique qui s'est déroulée le 11 du mois courant, le débat a été soutenu. Notre sentiment est que sur la partie des libertés individuelles et collectives, il y a des avancées indubitables. Par contre, en dehors des dispositions concernant la création d'un poste de vice-président, l'avant-projet était meilleur de notre point de vue. À force de vouloir concilier les positions des uns et des autres, nous avons le sentiment que la commission a fini par se réfugier dans le texte de la Constitution de 2016. En particulier, l'innovation du possible switch du «Premier ministre» au «chef du gouvernement» et vice versa, a créé une ambiguïté entre un présidentialisme assumé et un parlementarisme impossible. Voulant probablement offrir à l'opposition, qui a réclamé le parlementarisme, une concession, le texte constitutionnel a perdu de sa cohérence. L'adage qui dit que «le mieux devient l'ennemi du bien» est bien illustré ici. Au final, les prérogatives du président de la République ont peu changé, même si, comme toujours, c'est la pratique politique qui va imprimer au pays sa dynamique institutionnelle. Quelles sont les dispositions que vous jugez satisfaisantes et celles qui peuvent faire l'objet de réserves pour vous? Ecoutez, le conseil national clarifiera plus précisément cette question. Cependant, le sentiment général à Jil Jadid est qu'il s'agit ici d'une Constitution d'étape et non pas une Constitution pour les futures générations. Je comprends le souci du constituant de vouloir conforter une institution présidentielle qui, malgré des prérogatives exorbitantes, avait complètement failli dans ses missions par le passé récent; elle est toutefois un rouage déterminant dans le fonctionnement du système algérien. Il n'empêche que nous sommes restés sur notre faim. Pensez-vous que l'actuelle configuration de la scène politique, est apte à contenir et faire aboutir ce processus? Désolé de le dire, mais le pays n'a pratiquement plus de classe politique. Les hommes des années 90 sont partis ou se sont retirés les uns après les autres. Les partis politiques n'ont pas pu se développer, le régime Bouteflika ayant fait en sorte, de tout stériliser. Le fait que le président de la République ouvre si largement la porte aux membres de la société civile est significatif. Je suppose que c'est une manière de combler l'absence des «mouallates», de favoriser un renouveau de la classe politique et peut-être d'en faire «une couveuse» pour de prochains partis politiques. Là aussi, il ne faudrait pas que le remède soit pire que le mal. Unesociété civile ne peut faire office de classe politique. La confusion des genres n'est pas une panacée, surtout que le nombre élevé des nouveaux convertis aux vertus des organisations de la société civile provenant des appareils FLN/RND, ne rassure pas beaucoup. Il est vrai que nombre de jeunes se sont engouffrés dans l'action citoyenne et cela est tout à fait louable. Il faudra cependant revenir, plus tôt que tard, à une structuration de l'action politique en fonction des véritables courants d'idées dans la société. L'Etat a intérêt à stabiliser les partis politiques et à les laisser se développer au sein de la société. De toutes les façons, la stratégie politique et électorale du gouvernement, deviendra plus lisible avec la préparation des élections législatives, dès après le référendum. Quelles sont les propositions que Jil Jadid estime judicieuses pour enrichir cette révision? Si on devait mettre de côté les conditions politiques, sécuritaires et même sanitaires actuelles qui ont, à l'évidence, impacté lourdement tout le processus de révision constitutionnelle, il est bien entendu possible de discuter tant de l'approche usitée que la forme et le fond de cette nouvelle Constitution. Je crois que la commission aurait dû prendre le temps de discuter avec les principaux partenaires politiques. Un dialogue plus direct aurait été souhaitable. Considérons tout de même que cette Constitution peut déclencher une dynamique de construction de l'Etat de droit. C'est aussi à nous tous, partis politiques, société civile, et surtout citoyens de gagner une pratique de gouvernance à la hauteur de nos légitimes ambitions. Un pouvoir autoritaire peut être aidé à l'ouverture par une citoyenneté exigeante et mâture, tout comme un pouvoir bien intentionné peut être poussé à des pratiques autoritaristes s'il a en face de lui une société démissionnaire. Une Constitution est donc le reflet de ce rapport entre gouvernants et gouvernés, les uns et les autres ayant, d'une manière ou d'une autre, une responsabilité dans la nature de la gouvernance. Quel dénouement entrevoyez-vous sur le déroulement du référendum du 1er novembre et des élections législatives? Ce référendum indiquera au final qu'une ère de nouveaux défis s'ouvre. Il faut dépasser l'ancien régime et mobiliser les Algériens dans la construction d'un Etat de droit et de citoyenneté. Sur le terrain, il sera difficile de créer de l'enthousiasme. Il est nécessaire de rétablir une confiance qui a été mise à mal durant de longues années. À ce sujet, un score de participation au référendum gonflé et surtout un «oui» avec du 80 ou 90%, donnera le sentiment que rien n'a changé. Ce serait un très mauvais signal. Il faut dire que le boycott actif ou passif drainera les «non» potentiels et laissera le terrain ouvert aux «oui», mais il est essentiel que les résultats reflètent fidèlement l'état de l'opinion publique. Pour les futures législatives, l'enjeu sera encore plus grand pour le pays et bien entendu pour tous les partis politiques. Je dois avouer, qu'à Jil Jadid, nous ne sommes pas encore tout à fait rassurés sur leur conduite. Les choses seront plus claires après les amendements de la loi électorale. Optimiste pour la réussite du processus en cours? Pour être honnête, je crois que l'Algérie est dans une phase où elle va jouer «gros». Le régime Bouteflika s'est totalement effondré. La dimension sécuritaire de l'Etat a pris quelque peu le dessus. Maintenant, nous sommes face à une alternative déterminante. Soit l'Etat reconstruit un régime sur les anciens paradigmes ou alors il accepte de faire un saut qualitatif en permettant désormais l'épanouissement d'une vie politique, intellectuelle et citoyenne digne d'un pays moderne. J'ai conscience qu'il est beaucoup plus facile de le dire que de le faire. L'économie est dans un piteux état, le monde en général est rentré dans une ère de grande instabilité, et la zone méditerranéenne et proche et moyen-orientale peuvent devenir explosives. Nous sommes dans une période historique où d'immenses crises se rejoignent. Malgré cela, je reste optimiste pour notre pays. Nous avons des atouts exceptionnels et une conjoncture politique qui peut s'avérer fertile si le génie algérien aura l'occasion de s'exprimer!