Il n'est certainement pas anodin que cette attaque survienne à l'annonce de la nomination du diplomate mauritanien El-Ghassim Wane en tant que Représentant spécial du secrétaire général des Nations unies et Chef de la Mission des Nations unies au Mali (Minusma). De plus, cet acte de violence est perpétré au moment où l'Algérie réaffirme que l'accord de paix d'Alger est le cadre approprié qui se veut inclusif pour la consolidation du retour définitif et durable de la stabilité dans ce pays et que le Mali exprime sa haute appréciation du rôle-clé de l'Algérie comme chef de file de la médiation internationale et de président du Comité de suivi de cet accord. Une énième tentative de miner les avancées du processus de paix et de réconciliation. 1. Un conflit de faible intensité ancré dans le temps La rébellion touarègue dans le Nord du Mali remonte entre 1962 et 1964 avec ce qui a été dénommé la rébellion des Fellaghas à Kidal. L'émergence d'actions de rébellion des Touareg en Libye et au Nord du Niger, fin des années 1980, a restimulé les Maliens du Nord. Les mouvements de revendication appelaient alors à une plus grande intégration des Touareg dans la société malienne et plus d'efforts des autorités pour lutter contre la pauvreté et pour le développement de la région Nord du pays. Elle a, ainsi, commencé par l'attaque de la prison et de la garnison de Ménaka en juin 1990. Un autre épisode de rébellion violente est apparu en mai 2006 avec les attaques menées par le nouveau mouvement rebelle «Alliance Démocratique pour le Changement - ADC» contre les garnisons de Kidal et Ménaka. Ce mouvement, se veut fédérateur des revendications des Touareg du Nord du Mali et exprime les mécontentements des populations concernant l'application des accords de 1990. Cette situation a, une fois de plus, été calmée par des accords signés à Alger entre le gouvernement malien et l'ADC en juillet de la même année. La contre-insurrection menée par le Gouvernement, jusqu'au début de 2009 s'est soldée par le démantèlement des bases militaires rebelles, des centaines d'armes ont été déposées et les rebelles désarmés ont été réintégrés au sein de l'Armée régulière malienne. Toutefois, les combattants d'Atnm sous le commandement de Bahanga ont refusé de prendre part à ce processus. C'est en Novembre 2010 que s'organise, au Nord du Mali, un mouvement constitué de Touareg supposé pacifique et dénommé le «Mouvement national pour la libération de l'Azawad - Mnla», incitant le MNA et Antm à fusionner. Une nouvelle rébellion fait son apparition au début de l'année 2012 et est menée par le Mnla qui a lancé des attaques sur Ménéka accusant le gouvernement de ne pas avoir respecté ses promesses. Dans le but de calmer les tensions, un dialogue est lancé, en février 2012 à Alger, entre le Gouvernement malien et l'Alliance démocratique pour le changement «ADC», ancien mouvement rebelle touareg fondé par Iyad Ag Ghaly. Ces discussions ont abouti à un appel à la paix, que le Mnla a réfuté en bloc. L'échec du processus de paix, fait éclater alors des combats dans d'autres régions du Nord et une alliance stratégique se constitue entre le Mnla et l'Organisation Violente Extrémiste «Al Qaida au Maghreb Islamique - Aqmi». À cela vient se greffer l'émergence du groupe salafiste djihadiste «Ansar Al Dine» commandé par Iyad Ag Ghali (un des principaux chefs de la rébellion de 1990-1995) et ayant fait allégeance à Aqmi dès le début de la guerre au Mali pour être franchisée et légitimer ses actions. Ce groupe est rejoint par des Touareg lourdement armés venant de la Libye implosée en 2011 à l'issue de la révolte «Printemps arabe» et de la guerre qui en a découlé. Avec la multiplication d'acteurs, le conflit dit de faible intensité inter-malien s'est alors amplifié. La situation dégénère lorsqu'un groupe de soldats commandé par le capitaine Amadou Sanogo organise le «Comité national pour le redressement de l'Etat et la restauration de la démocratie - Cnrerd», et annonce, le 22 mars 2012, le renversement du président Touré, annulant la Constitution, fermant les frontières et instaurant une situation d'urgence. Le Mnla quitte Tombouctou après que le groupe Ansar Al Dine a pris le contrôle de la ville qui devient, ainsi, le théâtre de destruction de nombreux monuments cultuels et culturels. D'un autre côté, le groupe salafiste djihadiste «Mouvement pour l'Unité et le Jihad en Afrique de l'Ouest-Mujao» issu d'une scission d'Aqmi et fondé par Hamada Ould Mohamed Kheirou prend le contrôle de Gao, suite aux violents combats avec le Mnla. Sous pression de la communauté internationale, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte, en octobre 2012, une résolution qui demande aux pays de la Cédéao de préciser leurs plans en vue d'une intervention militaire et invite le gouvernement malien à engager un processus de négociation. Avec la persistance de la violence incontrôlable qui contredit la volonté de dialogue pacifique, le gouvernement malien lance un appel de détresse à l'aide internationale ce qui a ouvert la porte à une intervention militaire étrangère et a permis à la France d'engager l'opération militaire «Serval» le 11 janvier 2013. En mai de la même année, un cessez-le-feu a été conclu et le 13 juillet, l'opération militaire se termine et est remplacée par l'opération Barkhane associant la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, et le Tchad pour lutter contre le terrorisme dans le Sahel. Une présence militaire étrangère qui se renforce avec la Task Force multinationale «Takuba» rejoint par l'Allemagne, la Belgique, le Danemark, l'Estonie, la Grèce, l'Italie, les Pays-Bas, la Norvège, le Portugal, le Royaume-Uni, la Suède et la Tchéquie. Cette présence militaire dans la zone sahélo-saharienne n'aurait d'autre objectif inavoué que de défendre les intérêts stratégiques et d'influence de chacun d'entre eux. L'Algérie, fidèle à son principe fondamental doctrinal de non-ingérence militaire s'interdisant la participation de son armée à toutes opérations militaires hors de ses frontières, a refusé irrévocablement de s'impliquer dans une opération militaire au Mali. Elle s'est plutôt attelée à trouver une issue politique à la crise malienne par le dialogue. Les négociations inter-maliennes ont ainsi été redynamisées à Ouagadougou en juin 2013 et ont abouti à la signature d'un accord préliminaire à l'élection présidentielle et aux pourparlers inclusifs de paix au Mali. Après la signature de l'accord, la «Coordination des mouvements et forces patriotiques de Résistance - Cmfpr» et le «Mouvement arabe de l'Azawed - MAA» (groupe armé créé en avril 2012 sous le nom de Front de Libération nationale de l'Azawed ''Fnla'' constitué de Maliens du Nord arabes et non de Berbères touareg a été actif au Nord du Mali pendant la rébellion de 2012), ont adhéré à l'accord préliminaire. Cet accord insiste sur l'unité et l'intégrité territoriales du Mali et a identifié les thèmes du dialogue inclusif: Organisation administrative et institutionnelle du Mali et surtout des régions Nord Organisation de la gouvernance administrative, économique et politique Développement des collectivités territoriales Réorganisation des forces de défense et de sécurité Processus DDR (Désarmement, Démobilisation et Réintégration) des groupes armés du Nord du Mali. Ce processus consiste à: rassembler, enregistrer, contrôler et éliminer les armes de petit calibre, légères et lourdes, les munitions et les explosifs détenus par les combattants; libérer de façon contrôlée les membres des forces et des groupes armés; et restituer aux anciens combattants leur statut de civil et les aider à obtenir un emploi et des revenus réguliers. Cet accord est le fruit d'un travail politique et diplomatique intense. En ce sens, l'Algérie a été un médiateur clé aux côtés de la Cédéao et de l'Union africaine. À l'issue de cet accord, le Conseil de sécurité des Nations unies annonce, dans le cadre de l'organisation de la Mission intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), l'envoi, le 1er juillet 2013, de 12 600 casques bleus au Nord du Mali. La Minusma devait théoriquement permettre le retrait partiel de l'armée française et veiller au maintien de la paix pour le bon déroulement des élections. Les accords de Ouagadougou ont permis, alors, l'organisation d'élection présidentielle pour le retour à l'ordre constitutionnel. Le 4 septembre 2013, Ibrahim Boubaker Keita a été élu président du Mali. Les élections législatives se sont organisées, quant à elles, entre novembre et décembre 2013, dans un regain d'instabilité à Kati et Kidal et l'annonce de la reprise des armes par le Mnla dans un contexte de violence renouvelé après des affrontements entre des Touareg et les troupes maliennes. Quelques mois après l'élection du président Keita, il lui est reproché de ne pas avoir honoré ses promesses, de vouloir instaurer une dynastie avec l'élection de son fils à la députation. Dans un contexte de regain de tensions, les négociations de paix ont été retardées et la réunion du comité de suivi annulée. Les populations s'étant opposées au retour des institutions et des Forces Armées Maliennes, Kidal est donc devenu le théâtre de manifestations et de violents affrontements entre l'Armée malienne et les rebelles. 2. La Déclaration d'Alger A la suite de la visite, à Alger en janvier 2014, du président Ibrahim Boubaker Keita, un cessez-le-feu a été négocié par les Casques bleus et le Mnla annonce sa décision de déposer les armes et l'Armée malienne a pu reprendre la ville de Kidal. L'Algérie a joué un rôle proactif et prépondérant pour la reprise du processus de dialogue entre les protagonistes maliens. C'est ainsi qu'en juin 2014, les représentants des mouvements rebelles ont signé à Alger la «Déclaration d'Alger», pour réaffirmer leur volonté d'oeuvrer pour la consolidation de la dynamique d'apaisement en cours s'engageant dans un dialogue national. Plusieurs réunions de coordination ont eu lieu avant d'organiser le dialogue inclusif. Sous l'égide de l'Algérie et avec la contribution des partenaires bilatéraux (Burkina Faso, Mauritanie, Niger, Tchad) et multilatéraux (Cédéao, UA, Minusma, OCI, UE), la première phase du dialogue inter-malien a été lancée à Alger du 16 au 24 juillet 2014 et a abouti à la signature de deux accords: la «feuille de route de négociation dans le cadre du processus d'Alger», et la «déclaration de cessation des hostilités». La feuille de route avait pour objectif de mettre en place un cadre de négociations de paix afin de permettre une solution globale du problème des régions du Nord. La déclaration de cessation des hostilités, quant à elle, devrait permettre l'adoption d'une série de mesures pour la création d'un climat de confiance nécessaire au bon déroulement du processus de paix. La deuxième phase du dialogue inclusif s'est tenue le 1er septembre 2014 à Alger et a réuni les représentants du gouvernement malien et ceux des mouvements politico-militaires du Nord du Mali signataires de la feuille de route. Une troisième phase du dialogue inter-malien s'est tenue le 19 octobre 2014 et a examiné le document synthétisant les propositions des deux parties élaboré par l'Algérie en sa qualité de président de la médiation et servant de document de base pour les négociations afin de consolider le cessez-le-feu et renforcer la confiance pour favoriser une solution rapide, globale et définitive à la crise. La position de l'Algérie qui a accepté de poursuivre et de conduire le processus de dialogue et de négociations inter-malien, s'explique, en particulier, par: -sa politique de solidarité de voisinage -sa proximité géographique et ses liens historiques -ses principes de non-ingérence militaire -l'insécurité qui menace toute la région Afrique du Nord et Sahel. C'est ainsi que l'Algérie a joué un rôle politico-diplomatique déterminant de médiation par des actions de lobbying pour rapprocher les points de vue des différents acteurs et protagonistes en réunissant les conditions nécessaires pour une sortie de crise par le dialogue inclusif et éviter un embrasement à ses frontières. De mon point de vue, il est évident que l'Algérie continuera, en accord avec ses principes et sa doctrine, à poursuivre ses efforts et actions de médiation, de réconciliation et de concorde dans les pays de son voisinage, caractérisés par des conflits de faible intensité, afin de promouvoir et assurer la sécurité et la stabilité régionale et sous-régionale. * Expert en géopolitique.