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La géopolitique des ressources minérales
Lutte féroce entre Européens et Chinois pour accaparer des mines africaines
Publié dans L'Expression le 18 - 09 - 2021

Les pays africains, dotés, par la nature, de ressources minières importantes, n'en bénéficient pas, à la hauteur de leurs potentiels naturels bien que leur développement soit lié aux ressources minières et pétrolières. Le nombre de compagnies minières étrangères qui opèrent en Afrique est en hausse. Il y a une lutte intense entre les entreprises européennes et chinoises pour accaparer des mines de minéraux stratégiques (Li et TR) présents sur ce continent. À titre d'exemple, 11 mines étaient exploitées par des entreprises chinoises en 2011, alors qu'en 2020, elles étaient plus de 30. La Chine ayant pris de l'avance, certains pays européens se sont tournés vers la recherche de lithium dans les eaux géothermales présentes sur le territoire européen. Des études, très avancées et prometteuses, sont en cours en Allemagne et dans d'autres pays. À ce titre, le groupe Renault vient de signer un contrat de livraison de lithium avec une entreprise allemande, afin de garantir les besoins des 30% de véhicules électriques programmés en 2030. Ce forcing, en Afrique, est dicté par le potentiel minier et minéral de ce vaste continent et aussi par le niveau très faible des redevances et autres impôts payés au profit des Etats. On note, cependant, que depuis quelque temps, il y a un éveil des autorités des pays miniers qui exigent des entreprises minières une révision des contrats pour un partage gagnant-gagnant des dividendes engrangés, comme c'est le cas de la République démocratique du Congo et du Burundi très récemment. Selon Business France: «Le secteur minier joue toujours un rôle prépondérant dans l'économie africaine: il représente 7,3% du PIB (Produit intérieur brut) en 2018, pour les seules activités d'exploitation, et presque 50% des exportations en valeur». Ce taux pourrait être amélioré pour peu que les quotes-parts des revenus miniers soient équitables.
L'Afrique représente une importante part des réserves mondiales de matières premières minérales non énergétiques (bauxite, cuivre, cobalt, chromite, etc.), produit près de 60 minerais et métaux et selon l'OMC, en 2010, 24 des 54 pays du continent exportent des produits miniers mais ils sont pauvres dans leur majorité.
Pour rappel, on note que le continent africain participe, dans une large proportion, aux réserves et à la production mondiales de plusieurs substances minérales: aluminium, chromite, cobalt, cuivre, diamant, or, phosphate, uranium, gaz naturel, pétrole, etc. L'Afrique, c'est aussi 90% des réserves mondiales de platine et 74% des réserves de chrome, avec l'Afrique du Sud en concurrence avec l'Australie et le Brésil, qui approvisionnent les industries des puissances économiques.
11,5 milliards de dollars en diamants
À ces ressources, on ajoute les terres rares et le lithium, minéraux éminemment stratégiques, qui sont assez présents dans plusieurs pays africains et qui sont très bien prisés par les pays engagés dans la course aux hautes technologies, des véhicules électriques et des énergies renouvelables.
Les productions minières africaines ne sont pas négligeables. À titre d'exemple, la valeur de la production de diamant faite en 2010, atteint 11,5 milliards de dollars dont 52% pour les pays africains. Le Maroc produit plus de 30 millions de tonnes de phosphate et a réalisé, en 2018, un chiffre d'affaires de plus de 5,8 milliards de dollars avec une production d'engrais qui dépasse 8,5 millions de tonnes dans un marché mondial de 54,1 millions de tonnes de P2O5.
On signale, au passage, que sur la totalité de la production aurifère mondiale, l'Afrique participe avec 700 tonnes environ (22%) réparties comme suit: Afrique du sud (39%), Ghana (16%), Mali (18%), Tanzanie (8%), Burkina et Soudan (5% chacun) et Kenya, Guinée et Mauritanie (10%).
Jusque-là, il n'y a qu'une seule mine de terres rares (Garaka, Burundi), ayant produit 600 t en 2019, en exploitation en Afrique. Les explorations engagées dans plusieurs pays ont permis la découverte de plusieurs gîtes dont certains sont en cours de développement en Ouganda, Malawi, Afrique du Sud, Namibie, Mali, Angola, Tanzanie, etc.
Le potentiel en lithium de l'Afrique est de plus en plus relevé. Au niveau actuel des connaissances et de l'exploration, les réserves africaines «connues» sont concentrées dans quatre pays, à savoir: la RDC, le Mali, le Zimbabwe et la Namibie. Plusieurs autres projets de recherche de lithium sont en cours au Ghana. Au niveau exploitation du lithium, il n'y a qu'une seule mine (Bikita), en opération, au Zimbabwe, qui est le 5e producteur mondial et le seul pays africain à en produire actuellement. En 2019, cette mine, renfermant 10,8 millions de tonnes de ressources, titrant 1,4% de lithium soit 150 000 tonnes, a produit 1 600 tonnes d'oxyde de lithium.
Le Congo (RDC) et son lithium
Plusieurs autres gîtes ont été inventoriés au Zimbabwe, à l'exemple de Mbeta et Zulu qui est un autre grand projet, en cours de développement. Les travaux entrepris sur environ 35% de la superficie du gisement, ont permis d'estimer, en 2017, les ressources à plus de 20 millions de tonnes d'une teneur de 1,06 Li2O. En République démocratique du Congo (RDC), plusieurs projets d'exploration du lithium sont engagés. Le plus important est celui de Manono et Manono Extension (188 km²). Selon EcoMin du 14 juillet 2021, les réserves du gisement dépassent les 130 millions de tonnes à 1,63% Li2O. D'autres projets ont été initiés suite à cette première réussite, à l'exemple des projets Kitotolo et de Kanuka.
Au Mali, deux grands projets en cours d'étude: Goulamina (108,51 millions de tonnes) et Bougouni (1,94 million de tonnes de concentré de lithium, sur au moins, 8,5 années), situés au sud de Bamako.
Au Ghana et en Côte d'Ivoire, plusieurs projets de lithium, liés aux pegmatites (Cape Coast Lithium, Ewoyaa et Mankessim) sont en cours d'étude.
On remarque, ainsi, que la contribution de l'Afrique dans l'offre mondiale des ressources minières va augmenter considérablement dans les prochaines années.
Le continent africain sera une aire de développement de plusieurs gisements qui attireront les convoitises des plus grandes entreprises du monde développé, d'où la nécessité de mise en oeuvre d'une nouvelle stratégie orientée vers le développement durable et le bonheur des citoyens africains. Cela permettra de mieux négocier les retombées financières et, aussi, le traitement et la transformation des minerais sur place. L'Union africaine et les organisations régionales peuvent jouer un rôle capital dans ce sens.
Avec toutes ces productions et découvertes, l'Afrique (30 millions de km²), reste un continent sous-exploré. Il contribue, depuis 2000, avec 13 à 18% des budgets mondiaux d'exploration, soit un niveau équivalent ou inférieur à l'Australie, au Canada et à l'Amérique du Sud qui ont des superficies 2 à 3 fois moindres: respectivement 8, 10 et 18 millions de km². Des efforts supplémentaires d'exploration sont nécessaires pour mieux étudier les territoires et augmenter les probabilités de découvertes sachant que la densité des travaux requis garantit une meilleure connaissance géologique, géodynamique et métallogénique des structures ou territoires potentiellement riches en ressources minérales.
La liaison dialectique existant entre les ressources minérales et la croissance du PIB n'est pas toujours vérifiée en Afrique, car les Etats ne perçoivent pas des taxes et autres impôts conséquents pour assurer un développement humain et social de leurs populations, bien que le PIB soit important dans beaucoup de pays.
La distribution des revenus miniers et pétroliers est loin de profiter aux populations - selon la Banque mondiale - du fait de l'inégalité de leur distribution à laquelle s'ajoute les détournements, les surfacturations et la corruption endémique.
Selon Louis Maréchal, (voir source bibliographique), la croissance des exportations minières n'est pas synonyme de meilleures performances de développement, notamment en termes de réduction de la
pauvreté.
Dans une étude faite par la Banque mondiale, il a été constaté un déséquilibre flagrant dans les taxes perçues par les Etats et les revenus des compagnies minières. Selon cette étude, en 2010, certaines compagnies ont vu leurs revenus progresser de 32%, des résultats nets atteignant les 156% alors que, paradoxalement, les Etats n'ont perçu que 6% de taxes.
Les réformes et stratégies engagées ont permis, à partir de 2005, la résurgence du nationalisme des ressources et la mise en oeuvre de la notion d'Etat «développementiste», fondé sur la mobilisation des ressources intérieures pour permettre à l'Etat (*) d'augmenter les recettes fiscales (35% en moyenne dans les pays de l'Ocde et moins de 15% du PIB dans les pays sub-sahariens), au service du développement des populations, (**) de renforcer le contrôle des exploitations et prendre des participations (jusqu'à la nationalisation) et (***) renégocier les conventions d'exploitation pour augmenter la valeur ajoutée in-situ.
Dans certains pays, comme le Botswana et la Namibie, l'Etat réglemente au mieux le secteur minier qui participe activement au développement. Il devient actionnaire à 50% dans bien de projets miniers, récupère environ 70% des revenus miniers, après imposition, grâce à un système fiscal performant.
Un cas exactement contraire est celui de la Zambie et d'autres pays de l'Afrique australe qui ne perçoivent ni taxes ni redevance minière. La quasi-totalité des productions africaines de minerais sont destinées à l'exportation. Le niveau de transformation reste très faible sur le continent. À titre d'exemple, l'Europe détient les ressources minérales très réduites, (voir graphique 1), par rapport à l'Afrique, mais participe activement à l'élan de transformation sur son territoire: plomb (9,7%), argent (7%), zinc (5%), cuivre (4,1%), nickel (3%), tungstène (2,9%), cobalt (1%), aluminium (0,6%), or (0,6%), lithium (0,2%).(In: www.politico.eu/article/why-the-ue-may need-to revive-mining-to-go-green (By Aitor Hernandez-Morales 26 juin 2020).
90% des populations sans électricité
Entre autres problèmes, celui de l'accession des africains à l'énergie électrique, qui reste très impactant vu les coûts de celle-ci. Au niveau actuel, les mines, considérées énergivores, consomment 30% de l'énergie électrique, alors que plus de 600 millions d'Africains sont encore privés d'électricité et 489 millions de personnes n'auront toujours pas accès à l'électricité en 2040 (selon Ecofin-Mines du 21 mars 2021). Selon ce même magazine, dans «certains pays d'Afrique subsaharienne, comme la RDC, le nombre de personnes ayant accès à l'électricité ne dépasse pas les 10% de la population».
L'équation niveau de vie et développement et transformation miniers reste posée et problématique, sans accès à l'électricité et un partage équitable des revenus miniers. Cette inégalité d'accès aux revenus procurés par les richesses naturelles est évidente pour des raisons historiques et politiques, car, tous les pays africains miniers ont été colonisés durant de longues périodes et sont souvent soumis, pour beaucoup, après les indépendances, au diktat des ex-puissances coloniales qui interviennent directement ou indirectement à travers leurs suppôts, sur place, ou à travers les réseaux de corruption ou de contrebande. Ce fléau touche l'or et bien d'autres substances minières, comme les pierres précieuses et semi-précieuses, produits illégalement par le biais de gangs organisés qui pullulent dans les contrées désertiques et vastes de ces pays africains. L'extraction illégale, non contrôlée, engendre des désastres sociaux (esclavages, pauvreté, prostitution, etc.) et écologiques, car, des centaines de milliers de personnes sont engagées par les barons de ces exploitations pour une bouchée de pain, sans compter les manques à gagner du Trésor public des pays gangrenés par ce fléau.
Ces situations sont préjudiciables aux pays africains, pauvres, alors que leurs sous-sols sont riches. Elles génèrent des réseaux d'économie parallèle, illégaux qui ont procuré, à titre d'exemple, plus de 2 milliards de dollars d'exportation illégale d'or à partir du Mali, du Burkina et du Niger durant l'année 2017. Les autres pays, comme la Guinée, la Mauritanie et le Sénégal ne sont pas, pour autant, épargnés par ce fléau.
La contrebande impacte beaucoup la souveraineté de certains pays africains qui subissent des pertes fiscales très importantes qui profitent à certains groupes d'intérêts extra-africains, avec le soutien des barons locaux qui menacent, même, la stabilité des Etats victimes.
Des enjeux trop importants
Ceci est manifeste malgré certains mécanismes de contrôle et de transparence mis en place et adoptés par les Etats de l'Union africaine: Protocole de Kimberley, l'Initiative pour la transparence dans l'industrie extractive (Itie).
Les enjeux sont importants, d'où la nécessité d'une prise de conscience et la mise en place de stratégies et mécanismes adaptés par les Etats dans le cadre de la vision minière africaine (VMA) adoptée en 2009, sa mise en oeuvre en 2011 par l'Union africaine et en 2013 par la Commission économique africaine.
La VMA constitue la réponse des ministres africains au paradoxe de vivre dans un continent où se côtoient d'immenses richesses en ressources naturelles face à une pauvreté envahissante et de grandes disparités sociales. Ces situations paradoxales ont amené les autorités de plusieurs pays à demander la révision des contrats miniers pour dégager des profits à la hauteur de ce qui se fait à travers le monde. L'approche de la chaîne de valeur attendue vise l'attribution et la négociation des contrats et licences; la réglementation et le contrôle des opérations; le recouvrement des impôts et redevances; la gestion et l'affectation des revenus et la mise en oeuvre de politiques de développement durable. Les objectifs stratégiques sont destinés à: permettre au continent d'exploiter au mieux ses richesses naturelles dans le but de créer des économies fortes, compétitives et réduire la pauvreté; «déterminer comment l'exploitation minière peut contribuer véritablement au développement.
Les différents mécanismes mis en oeuvre par l'UA insistent sur la transformation du capital naturel en capital humain, industriel et technologique afin de dépasser l'économie de rente par la mise en place d'une industrie performante à grande valeur ajoutée locale.
Le renforcement des secteurs nationaux et régionaux des services à l'industrie extractive est impératif par l'encouragement de fournisseurs locaux et la formation d'une main-d'oeuvre qualifiée afin que la malédiction des ressources se mute en épanouissement des populations (Louis Maréchal, 2013).


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