«À trois ans, j'avais un petit clavier. C'était mon jouet préféré que je ne lâchais jamais», se rappelle la Sud-Coréenne Su Yeon Kim, qui vient de se qualifier pour l'avant-dernière étape du 18e Concours international de piano Frédéric Chopin à Varsovie. «Etre ici c'était mon rêve car Chopin est mon compositeur préféré. Je ne m'en lasse jamais», reconnaît la jeune femme de 27 ans qui se souvient encore du premier morceau du compositeur romantique franco-polonais (1810-1849) qu'elle a joué toute petite: Valse minute. Cette année, c'est son deuxième concours Chopin à Varsovie. Il y a six ans, elle est arrivée en demi-finales de cette prestigieuse compétition qui se tient habituellement tous les cinq ans depuis 1927. L'an dernier, le concours avait été reporté en raison de la pandémie de Covid-19, une première depuis la Seconde Guerre mondiale. «Le défi était de faire venir en Pologne tous les participants», reconnaît Artur Szklener, directeur de l'Institut national Frédéric Chopin. La 18e édition a réuni 87 pianistes du monde entier, sur plus de 500 qui ont envoyé leur candidature. Réservée aux pianistes âgés de 16 à 30 ans, la compétition a attiré 22 Chinois, 14 Japonais, et sept pianistes sud-coréens, rivalisant avec 16 Polonais, six Italiens ou encore avec des Arméniens, Canadiens, Américains, Britanniques ou Thaïlandais. Avec le concours Tchaïkovski et le concours Marguerite Long à Paris, la compétition à Varsovie est considérée comme le Saint Graal des jeunes pianistes. Pour Eva Gevorgyan, une Russo-Arménienne de 17 ans, c'est «la plus prestigieuse des compétitions. Elle peut ouvrir les portes d'une grandecarrière». Violon cassé Contrairement à Su Yeon, cette blonde aux cheveux longs, telle une Raiponce, vient d'une famille de musiciens. Sa mère, Ksenia Tcherenkova, étudiait l'alto au conservatoire Tchaïkovski de Moscou. «J'emmenais Eva à toutes mes répétitions et ça lui a donné envie de jouer. À ses 3 ans, on lui a offert un violon. Elle l'a cassé car le son n'était pas assez fort pour elle. C'est là qu'on a pensé au piano», plaisante la femme. Mais elle ne voulait pas que sa fille devienne musicienne: «Je sais comment cela peut être difficile». L'enfance passée, la vie des deux jeunes pianistes ressemble à celle de leurs concurrents: école de musique, entraînement quatre à huit heures par jour, parfois un peu de sport, de la lecture. Aujourd'hui, Su Yeon Kim étudie à l'Université de Salzbourg Mozarteum, en Autriche, et Eva Gevorgyan termine l'école secondaire, puis espère rentrer au conservatoire de Moscou. Leur carrière galope au rythme des concours. La Coréenne a remporté cette année le Premier Prix du concours musical international de Montréal. La virtuose russe a été récompensée dans plus de 40 compétitions internationales pour jeunes pianistes. Cette semaine, les deux femmes se sont qualifiées pour la 3e étape du concours Chopin avec 21 autres candidats. L'étape qui a débuté le 14 octobre désignera dix grands finalistes. «Une envie d'aller plus loin» Cette année, le niveau étant particulièrement élevé, le jury a admis au concours un plus grand nombre de pianistes que prévu par le règlement. «J'avais été dans le jury lors de l'édition précédente, mais celle-ci a un niveau remarquable», confirme l'Argentin Nelson Goerner, l'un des 17 membres du jury. La pandémie y a joué un rôle. «Les pianistes ont eu plus de temps pour se préparer, et puis je pense que la pandémie a réveillé en nous tous une envie d'aller plus loin, vers un certain dépassement de soi. J'entends ça dans le jeu de ces jeunes pianistes». Retransmis en direct sur YouTube et sur une application mobile Chopin compétition, le concours suscite, selon les organisateurs, un intérêt record des auditeurs qui n'ont pas pu se déplacer jusqu'à la Philharmonie nationale à Varsovie. Les auditions de la deuxième étape ont été écoutées en direct par plus de 45.000 personnes. Le nom du gagnant sera annoncé dans la soirée du 20 octobre. Ensuite, les finalistes se présenteront sur scène devant le public jusqu'au 23 octobre pour des concerts de gala. «Quand je suis sur scène, je ne pense pas à gagner. Je veux jouer et communiquer avec l'audience. C'est mon plus grand plaisir», souligne Su Yeon.