Dès que Lounis arrive sur scène, dans la ville de Tizi Ouzou, il met le pied sur une chaise, titille les fils de sa guitare et ouvre le bal par «Les Insensés ont pris la parole Ô Sage tais-toi!/ Tu ne m'as laissé aucune ouverture/ Et même l'Espoir tu l'as compromis... En fait, c'est durant cette année 1981 qu'il a publié un opus de cinq chansons-poèmes (lmus-iw, Askuti, Anjme?, Si lekdeb?er tidet, Tibratin) traitant généralement d'une seule problématique: identité-justice-vérité. Le poète assène quelques vérités et les vertus de la sagesse et rappelle aussi les quiproquos induits par le machiavélisme des politiques qui disent la chose et son contraire. N'est-ce pas en cette période que l'on disait '' on met le clignotant sur le socialisme, mais on se dirige vers le capitalisme'' afin d'illustrer la pensée des gens du pouvoir ou qui font ce pouvoir. Le poète ne pouvait pas rester neutre, indifférent devant la situation vécue par la région de Kabylie en 1980 (Printemps berbère). Il déplore le manque de sagesse des gouvernants et dénonce leur comportement en direct, durant un gala à Tizi Ouzou, une année après. De cet album, deux poèmes abordent une même thématique où le poète traite de la dualité/versatilité de certains concepts/valeurs que sont: la justice/l'injustice, la vérité/le mensonge, la joie/la tristesse. Il en a fait deux constructions poétiques où sont décortiquées ces valeurs usitées par les politiques qui sont censés être sages. La réalité des choses fait que chaque valeur est talonnée par son contraire au point où tous les interlocuteurs/citoyens n'ont rien compris car c'est toujours le revers de la médaille qui prend le dessus. Le poème «Anejma?/ L'Assemblée» est structuré en un prélude et cinq strophes. Le prélude représente aussi une conclusion sans appel qualifiant de désastre la politique mise en oeuvre pour la gestion du pays, dans un environnement où sévit l'injustice et son corollaire la répression, de même que tous les torts subis par le pays où tout espoir est anéanti ou chimérique: Les Insensés ont pris la parole Ô Sage tais-toi! De mon dû tu m'as privé et avec lui l'espoir Même l'espoir tu l'as ''éteint'' et tu me demandes l'impossible Si tu peux m'en restituer une partie à quel coût tu le feras. Tu as commis consciemment l'Injustice Tu as réprimé tout ce qui émane de moi Et dévasté la terre qui nous unit. Dès que la justice tente de sévir, elle est prise en tenailles par l'injustice qui l'étouffe. Lorsque la vérité essaie de s'épanouir, elle est noyée par le mensonge et la Tristesse est travestie en bonheur. En fin du poème, le poète accuse les gens du pouvoir et ceux qui font le pouvoir de duplicité de langage et dénonce leur machiavélisme outrancier et leur dit: Vous autres, les ''Sages'' Eclairez-nous! Plus rien n'est à dire, Les jeux sont clairs Vous rejetez le Mensonge et l'Injustice Vous rejetez aussi les Saletés et les crasses Alors qu'elles sont en vous (vous les nourrissez) La dénonciation de ces concepts peut signifier l'émergence de clans au sein du pouvoir qui s'auto-inhibent pour compromettre le développement. Dans le poème «Si lekdeb?er tidet/Du mensonge à la vérité», le poète déconstruit ces valeurs et leurs corollaires pour expliquer leur genèse et comment le versus négatif et néfaste prend le dessus sur les valeurs positives. Dans tout le processus de mutation des valeurs et de leurs contraires, la dignité s'impose comme pivot central: Le Mensonge a engendré l'Injustice L'Injustice est mère de la Peur La Peur a engendré la Dignité La Dignité est plus forte que tout La Dignité a engendré la Vérité La Vérité poussée à sa limite Elle engendre le Mensonge Le Mensonge engendre l'Injustice La Dignité est plus forte que tout Ainsi est fait l'ordre du monde Le Mensonge, l'Injustice, la Peur, la Dignité, la Vérité et retour au Mensonge constituent une chaîne circulaire qui engendre des comportements divers pour faire face à des situations souvent contradictoires. Pour le Poète, la Dignité (la raison) reste la Valeur centrale et sûre qui ne peut être détrônée si ce n'est les faiblesses humaines, l'hypocrisie des comportements, le machiavélisme des gouvernants et la lutte des clans à travers leurs agissements contradictoires au détriment de l'intérêt général. La personnalité et l'éducation de l'individu y sont pour beaucoup pour faire face avec dignité. Quel que soit le cheminement de la pensée, la Raison doit primer car elle peut «raisonnablement» réprimer et étouffer les autres concepts négateurs de la pensée humaine. Ces comportements machiavéliques des politiques ont fini par décevoir le poète qui prône la reprise de conscience et il les dénonce car ils ne peuvent pas être des modèles à suivre. Il leur jette en pleine figure ces vers qui finissent son poème, je cite: Les jeux sont clairs/ Vous rejetez le Mensonge et l'Injustice/ Vous rejetez aussi les Saletés et les crasses/Alors qu'elles sont en vous (vous les nourrissez). Tout est dit et de 1981 à ce jour la Terre n'a pas fini de tourner et les politiques n'ont pas changé leur modèle de gouvernance. Pour reprendre M. Chouimet Ali (1): la déception était le sentiment le plus partagé dû à la négation des droits les plus élémentaires du peuple et au clientélisme nourri par la rente pétrolière qui devint un élément fondamental de la gestion du pays et du parjure par lequel le serment des martyrs a été violé et renié. *Cadre d'Etat (1) Chouimet Ali: Le paradigme du «Nous» et du «Vous» dans l'oeuvre d'Ait Menguellet: Etude sémantique. Thèse de doctorat, université de Tizi Ouzou, Année universitaire 2018-2019.