Le leader du MRN est en phase avec les dossiers de l'heure. De l'avis des journalistes de L'Expression qui ont participé à la discussion à bâtons rompus avec Abdallah Djaballah, leader du MRN, il ne fait pas l'ombre d'un doute qu'il développe un discours cohérent qui tient la route. L'image qu'on se faisait de l'islamiste barbu, tenant un couteau entre les dents, a volé en éclats, cédant le passage à un homme qui a blanchi sous le harnais, et qui a appris à saisir les subtilités dialectiques des médias qui auraient aimé le piéger, mais auxquels il répond du tac au tac, avec une faconde renouvelée: celle d'un homme qui connaît ses classiques en matière de démocratie et de respect des droits de l'homme. Et c'est là sans doute, de l'avis de ceux qui l'ont côtoyé, qu'il est devenu plus dangereux, politiquement parlant. Car plus un discours est politiquement correct, plus il est en mesure de surfer sur la crête des vagues d'un monde contemporain ondoyant. L'Algérie d'après la réconciliation nationale, grosse de plus de dix années de spirale de la violence, et qui a mis une étiquette d'infréquentabilité sur des hommes de la trempe de Abdallah Djaballah, se réveille avec la gueule de bois d'un pays qui n'ose pas encore savourer sa joie de voir revenir la paix. Et si tout cela était factice, préfabriqué, un décor en carton? Et que faut-il faire de ces reliques de la décennie noire: Abdallah Djaballah est-il du passé ou de l'avenir? Les barbus comme lui, qui rêvaient d'en découdre avec les démocrates, les laïcs, les assimilationnistes, et qui n'avaient qu'une idée en tête, instaurer le khalifat, peut-on leur faire confiance? Faut-il leur donner la parole? Faut-il les écouter? La surprise c'est que quand il parle, Abdallah Djaballah montre qu'il n'a pas besoin qu'on le tienne par la main pour parler démocratie, modernité, saut dans l'avenir. Il a un pied dans la tradition et un autre dans le futur. De là à dire qu'il est la synthèse entre la tradition et la modernité, il y a un fossé qu'on ne peut pas franchir. Est-il un Tayyip Erdogan, arrivé au pouvoir dans un pays où la laïcité et le caractère républicain de l'Etat sont sous la tutelle des militaires kémalistes? Erdogan donne des sueurs froides à la vieille Europe, réunie dans l'UE des vingt-cinq. Pendant ce temps, Abdallah Djaballah, qui semble aussi éloigné du palais d'El Mouradia que peut l'être la lune de la terre, n'en espère pas moins abattre les kilomètres et les millions de secondes qui le séparent d'un tel objectif. Pendant ce temps, le leader islamiste auquel Hocine Aït Ahmed a emprunté sa chéchia, se bat avec les armes des démocrates. En tout cas, il occupe, avec Louisa Hanoune, tout l'espace laissé vacant par les démocrates, qui pratiquent dans l'hémicycle la politique de la chaise vide. Et puis écoutons-le sur tous les sujets de l'heure: la liberté d'expression, le troisième mandat, la révision de la Constitution, les relations de l'Algérie avec les organisations internationales comme l'OMC, l'Alliance présidentielle ou la participation du MRN au gouvernement, il n'y a rien qui nous éloigne autant du khalifat et de la république islamiste que ce politicien à l'accent fort prononcé mais au discours lisse, structuré, respectueux des règles de la démocratie. Qui plus est, son parti n'a-t-il pas voté oui à l'accord d'association avec l'Union européenne? Si la règle principale de la démocratie consiste à respecter l'avis de la majorité et l'alternance au pouvoir, la liberté d'expression et des libertés publiques, alors il ne fait aucun doute que ce politicien à la voix rocailleuse mais au propos conciliant a encore des leçons d'opposition à asséner aux démocrates, lui a qui fait passer au moins deux propositions de lois, notamment celle qui a réformé la loi électorale, mais aussi celle qui interdit l'importation des boissons alcoolisées. Cela veut dire que sur certains points au moins, on peut lui trouver des défauts dans la carapace.