Il existe, notamment à Oran et Aïn Témouchent, de véritables réseaux spécialisés dans ce genre de traversée. Sept harraga, parmi lesquels figuraient deux jeunes femmes, ont été sauvés in-extremis d'une mort certaine, au cours de la première semaine du mois de mai, par les gardes de la façade maritime ouest, au moment où leur embarcation de fortune commençait à prendre l'eau au large de la station balnéaire de Bouiseville, sur le littoral ouest de la wilaya d'Oran. Ils avaient embarqué, tôt le matin, sur un pneumatique équipé d'un moteur Suzuki 40 chevaux dans l'intention de gagner les côtes de la péninsule ibérique. Ces jeunes candidats à l'émigration clandestine étaient conscients des risques et périls auxquels ils s'exposaient, en décidant d'effectuer cette traversée, à bord de cette embarcation de fortune pour laquelle ils avaient investi près de 60 millions de centimes. En fait, le cas de ces harraga n'est en réalité que l'arbre qui cache la forêt. En effet, vers la fin du mois de janvier dernier, toujours à Oran, neuf autres harraga malheureux sont portés disparus sept jours après leur tentative de traversée. Les mauvaises conditions climatiques et la mer, qui était agitée cet après-midi, n'ont pas découragé ces jeunes candidats à l'exil dont l'âge n'excède pas les 30 ans. Toujours est-il, que ces 18 jeunes harraga, au départ, se sont scindés en deux groupes de neuf chacun et ont décidé de faire la traversée, ensemble, sur deux embarcations distinctes. Les neuf disparus se sont embarqués sur un zodiac de 5,20 mètres, équipé d'un moteur, sur une plage située dans le petit village côtier de Saint Roch, sur le territoire de la commune d'Aïn El Turck. Le deuxième groupe l'a suivi quelques minutes plus tard sur une petite embarcation de pêche de 4,30 mètres. Ces derniers ont été repérés par un navire libanais qui leur a porté secours. Le moteur de leur embarcation s'était subitement arrêté et elle s'était renversée sous l'effet des vagues. Ils doivent leur salut, à un pistolet de détresse qui était en leur possession, ce qui ne semble malheureusement pas avoir été le cas pour leurs compagnons d'infortune, portés disparus depuis. Les deux embarcations ont été victimes des mignardises du «Norté», dans le jargon des pêcheurs, un vent de mer qui souffle du nord et crée «des moutons», vagues déferlant sans cesse en haute mer. Contre vents et marées... Les rescapés de la deuxième embarcation ont fait savoir que leurs compagnons avaient disparu dans les ténèbres et leurs hurlements étaient couverts par le fracas des vagues avant de s'estomper. Ils ont également indiqué qu'ils demeuraient tous dans le faubourg Les Planteurs, sur les hauteurs de la ville d'Oran. Selon les informations recueillies auprès de jeunes habitants des petites stations balnéaires de Saint Roch et de Trouville ainsi que des pêcheurs qui fréquentent ces plages, les 18 candidats à l'émigration clandestine avaient pris la mer aux environs de 18 heures pour tenter de rallier les côtes de la péninsule ibérique. «Ce qui est difficile et dangereux c'est le cap à prendre à partir de cette côte. Car à un moment bien précis, ils doivent effectuer une manoeuvre pour changer de direction car les côtes espagnoles ne sont pas en face de celles de Saint Roch. Cependant, en changeant de cap pour aller tout droit vers l'Espagne, leur embarcation va prêter le flanc aux vagues et aux courants marins et elle peut, à coup sûr se renverser. C'est pour cela, que la deuxième embarcation a chaviré, c'était prévisible. Il est certain que le zodiac disparu a connu le même sort mais ses occupants n'ont pas eu la même chance. Ce n'est pas comme à Béni Saf, à Bouzadjar, à Oued Hallouf ou encore à Rechgoune, sur le littoral de la wilaya d'Aïn Témouchent. Là, les côtes espagnoles sont juste en face, à cinq heures de traversée et moins, avec un bateau puissant sur une mer calme» a confié Youcef, un pêcheur invétéré, coiffeur de son état, dans un salon situé dans un quartier populaire d'Oran. «Je sais que leur guide les a avertis du danger et péril auxquels ils s'exposaient s'ils prenaient la mer, le soir en question, mais ils n'ont rien voulu entendre, de crainte que leur entreprise ne s'ébruite et ne soit avortée par les éléments des services de sécurité. La traversée a été décidée dans la précipitation. Ce guide est plus connu sous le sobriquet de Miloud El Annabi, il devait prendre part à la traversée sans débourser un sous-main il s'est désisté à la dernière minute. Je sais cependant qu'il a réussi effectuer une autre traversée avec d'autres harraga quelques jours plus tard et qu'il se trouve actuellement à Bilbao dans le sud de l'Espagne près de la frontière française. Je ne peux pas vous dire plus», a renchéri notre interlocuteur. Ce dernier, nous a toutefois confié qu'il a, mainte fois, été sollicité pour organiser une traversée: «La semaine dernière à Bouzadjar, des jeunes m'ont contacté à cet effet. Ils m'ont proposé une somme de 70 millions de centimes, payable à l'avance, si je les déposais sur la côte espagnole. Je connais très bien la mer et je suis très bon navigateur. Je peux faire la traversée les doigts dans le nez, avec une solide embarcation, dotée d'un moteur de 40 chevaux au moins et 350 litres de carburant. Ils le savent, mais sincèrement, j'ai peur de ces jeunes. Pour risquer sa propre vie comme ils le font, il faut vraiment être au bout du rouleau. Qui me dit qu'ils ne se débarrasseront pas de moi, comme une chaussette trouée une fois qu'ils auront gagné le plancher des vaches» a-t-il souligné avec un sourire complice. De véritables réseaux Pour la gouverne, à Oran et sa ville limitrophe, côtière d'Aïn Témouchent, ils sont des milliers à avoir répondu aux chants des sirènes en l'espace de moins de deux années. On apprend également que plusieurs pêcheurs qui fréquentent les plages du littoral oranais et témouchentois ont été tentés par l'aventure et ont abandonné leur métier pour faire la traversée avec des harraga. «C'est tellement tentant. Entre la côte du complexe Les Andalouses et celles de l'Espagne il y a environ 170 km. La durée de la traversée peut se faire en un peu moins de 10 heures. Sur les îlots essaimés, à travers le littoral d'Aïn Témouchent, les côtes espagnoles sont visibles aux lumières lorsqu'il fait nuit. On peut effectuer la traversée en 5 heures» a indiqué un autre pêcheur qui a préféré gardé l'anonymat. Selon des recoupements d'informations, il existe, notamment à Oran et Aïn Témouchent, de véritables réseaux spécialisés dans ce genre de traversée. Ils exploitent sans vergognes, le désarroi de ces jeunes, venus de différentes régions de l'Ouest et même du Sud du pays rêvant de l'eldorado, faussement plébiscités par les chaînes satellitaires, pour fuir le chômage et les voies de garage qui assombrissent leur horizon. Une fois le marché conclu, le candidat à l'exil se voit fournir un ciré pour se protéger contre le froid et est soumis à une consigne stricte. Ne se munir d'aucune pièce qui puisse l'identifier au cas où il est interpellé par la police espagnole pour éviter l'expulsion. Le prix de la traversée varie entre 11 et 15 millions de centimes voire plus et sans remboursement évidemment, en cas d'échec. Les membres de ces réseaux agissent dans l'ombre et ne fournissent ni de coordonnées et encore moins de garanties de réussite. Généralement, les candidats sont pris en charge sur les plages, à partir desquelles s'effectuera le départ pour l'inconnu. Nombre de candidats à l'émigration clandestine ont réussi à poser les pieds sur le plancher des vaches, sur les côtes espagnoles. La réussite de leur entreprise a donné du courage à de nombreux autres jeunes qui ont à leur tour, tenté l'aventure à coups de millions de centimes mais, malheureusement, ont péri noyés quelque part en mer, à mi-chemin entre les côtes espagnoles et algériennes. Ils sont tout simplement portés disparus. Une association a été créée, récemment, à Oran, à ce propos, par les familles de jeunes candidats à l'exil qui n'ont pas donné de leurs nouvelles. Un service de rétablissement des liens familiaux, RLF, installé au niveau du Croissant-Rouge algérien à Oran, avance le chiffre de 50 dossiers de disparus en mer, déposés depuis la fin du deuxième trimestre de l'année en cours, de jeunes originaires de différentes contrées de l'Ouest du pays. Le chiffre peut être malheureusement triplé, voire quadruplé, car nombre de familles de ces jeunes disparus en mer n'ont pas osé s'adresser à la RLF, parce que mal informées et par crainte de poursuites judiciaires. Ces familles, indiquent qu'elles n'ont pas eu de nouvelles de leurs enfants depuis des mois. «Ceux qui ont réussi ont automatiquement téléphoné à leurs proches pour les rassurer», dira, dépité au bord des larmes, Houari, frère d'un disparu demeurant dans la commune côtière de Mers El Kébir, relevant de la daïra d'Aïn El Turck. Combien sont-ils dans le cas de Houari? Quel est le nombre de harraga portés disparus en mer à Oran et Aïn Témouchent? Beaucoup de familles oranaises craignent que leurs enfants n'imitent ces harragas. Une chose est à craindre car la ruée vers les plages, de jeunes désespérés pas pour se baigner mais pour tenter une traversée vers l'eldorado.