Le rapport de la commission chargée de s'enquérir de la situation des travaux et des paiements a été accablant. Il faut se méfier de l'eau qui dort, surtout celle des barrages. Le ministre des Ressources en eau, Abdelmalek Sellal, vient de dégoupiller un dossier explosif en ordonnant l'ouverture d'une enquête, il y a un peu plus d'un mois, sur l'Agence nationale des barrages et des transferts (Anbt ). Un document exclusif, que détient L'Expression, rapporte avec menus détails, des irrégularités et des malversations qui se chiffrent en milliards dans la gestion de l'Anbt. Le premier indice, qui a amené à raviver ce dossier chloroformé pendant un moment, a été la construction d'un bâtiment au niveau du siège de l'Anbt à Kouba. Bâti sur une superficie de 700m2, l'édifice est constitué d'un sous-sol, d'un rez-de-chaussée et de dix bureaux. Il a coûté la bagatelle de 216 millions de dinars. De quoi construire au moins 120 logements Aadl. Le dossier mentionne qu'aucun papier ne justifie cette construction encore moins les milliards dépensés. Le document relève «l'absence de décision d'inscription, l'absence d'autorisation de construire et l'absence de marché. Le seul document produit est un plan de masse». Comment a été payé alors ce bâtiment? A ce niveau, c'est le flou total. La preuve par écrit Dans une correspondance interne à l'Anbt, enregistrée sous le numéro 5889, datée du 20 décembre 2005, il a été noté que «le nouveau bâtiment de l'Anbt a été réalisé dans le cadre des installations de chantier du projet Hammam Bougherara». La même correspondance souligne explicitement que cette décision a été prise «avec l'accord du directeur de réalisation des projets ouest». Question: comment peut-on permettre la construction d'une bâtisse située à Alger dans le cadre d'un projet qui devait être réalisé à l'ouest du pays? Ainsi, la construction du «bâtiment litigieux» au niveau du siège de l'Anbt est liée avec le projet de Hammam Bougherara. Seulement, selon le document en notre possession, des malversations ont été également constatées même au niveau de ce projet. Une commission composée de deux experts du ministère des Ressources en eau, a été dépêchée sur les lieux au début du mois d'avril dernier. Cette mission a été chargée de s'enquérir de la situation des travaux et des paiements effectués dans le cadre de la réalisation du projet d'alimentation en eau potable (AEP) de Maghnia à partir du barrage de Hammam Bougherara de la wilaya de Tlemcen. Le rapport a été accablant. Suivons les faits: pour la réalisation du projet de Hammam Bougherara, il a été prévu des installations de chantier de l'entreprise. «Le coût de ces installations a été estimé à 12 milliards de centimes. La somme a été payée en totalité» indique le rapport qui souligne, cependant: «qu'aucune de ces installations n'a été réalisée». Dans le cadre du même projet, il a été prévu également la construction d'une base-vie qui comprend 12 logements et des bureaux de l'administration. «Aucune de ces réalisations n'a été effectuée, mais une somme de 3,5 milliards de centimes a été déboursée» est-il noté dans le même rapport. Un des chefs de projet à Hammam Bougherara, apporte encore une autre précision dans une lettre portant le numéro de référence 17 datée du 15 février 2006: «(...) La décision de la non-réalisation de la cité et bureaux administratifs est venue, suite à l'existence de ces infrastructures, réalisées dans le cadre du projet du barrage de Hammam Bougherara. L'accord a été conclu entre en commun Anbt-Condoté (entreprise réalisatrice du projet. C'est elle qui a construit le bâtiment litigieux à Alger (Ndlr) tout en payant les frais de siège et frais généraux. (...)». Le responsable précise, par ailleurs, qu'aucun payement du nouveau bâtiment de l'Anbt n'a été prévu dans la cadre du projet Hammam Bougherara. Le dossier se complique si bien que l'entreprise italienne Societa Italiana per Condotte d'acqua, qui a réalisé le bâtiment, revendique «son argent» auprès de l'Anbt. «Compte tenu du fait que le bâtiment est pris en compte, et utilisé, à partir du mois d'octobre 2005, et que, pendant toute la période de réalisation de l'ouvrage cité, aucun payement n' a été effectué, nous vous demandons, Monsieur le Directeur Général de bien vouloir activer vos services pour la mise en place du payement total sans hésitation» a revendiqué la société italienne dans un courrier daté du mois de mars 2003. En réponse à cette demande de payement-la direction de l'Anbt a saisi par courrier l'entreprise italienne dans lequel elle a revendiqué pour sa part des pièces justificatives, du projet. Il s'agit notamment de l'ordre de service d'entamer les travaux de construction de ce bloc, un document justifiant l'acceptation du devis des travaux , les attachements contradictoires des travaux réalisés, l'approbation des plans d'exécution par un organe de contrôle technique et les plans conformes à l'exécution, ainsi que le procès-verbal de réception provisoire. Rien de tout cela et la demande de Condotte reste suspendue à ces documents. Les milliards s'évaporent Mais où est donc parti l'argent qui a été dégagé dans le cadre du projet Hammam Bougherara, pour la construction de ce bâtiment? Il faut dire que le ministre des Ressources en eau a pris le taureau par les cornes. On ne peut plus clair en matière d'alerte sur une affaire de corruption. Cela étant, dans de pareilles conditions seule la justice peut trancher et faire la lumière nécessaire. Car, toutes suggestions ou conclusion bâties sur des rapports risquent de fausser une démarche honnête et impartiale. A l'origine de cette affaire qui semble n'être que la face visible de l'iceberg, il y a eu le refus de la signature des passations de consignes entre le directeur général sortant, Abdenaceur Kali et son remplaçant à la tête de l'entreprise, Hacen Boutaghou. Ayant constaté l'impasse, le ministre des Ressources en eau a donné un coup de pouce. Il a ainsi créé une commission de vérification de la conformité des passations de consignes, le 15 mars 2006. Les résultats des travaux de cette commission n'ont laissé aucun doute quant à l'existence d'irrégularités dans la gestion. Le rapport de cette commission a d'ailleurs été catégorique: «L'examen du document de passations de consignes fait apparaître des manques et des insuffisances tant dans la forme que dans le fond». Contacté pour plus de précisions sur cette affaire, l'actuel directeur général de l'Anbt, Hacène Boutaghou, a refusé tout commentaire en brandissant le bouclier du droit de réserve. «Je suis un fonctionnaire de l'Etat et de ce fait, je m'astreins au droit de réserve» a-t-il répondu sans plus de commentaires. Dans un rapport rendu public sur la corruption en Algérie, la Banque mondiale a accablé l'Algérie. Les experts de la BM ont avancé que le phénomène de la corruption, défini sommairement par cette institution financière comme «une pratique utilisant la puissance publique à des fins d'enrichissement privé», gangrène toujours l'économie nationale. Ce phénomène international bloque sérieusement les investisseurs et les affaires en Algérie ont noté les mêmes experts. Le monde de l'eau en Algérie n'est pas exempt de corruption. L'enveloppe globale de l'investissement pour les projets du secteur de l'eau en Algérie est estimée à 12 milliards de dollars pour 2005-2010. De quoi offrir gîte et nourriture au Tchad, au Mali et au Niger tous les trois réunis pendant une année. Mais l'alerte que vient de donner le premier responsable de ce secteur, Abdelmalek Sellal, ne sera pas sans effet sur d'éventuelles affaires de corruption dans un secteur vital et stratégique pour le pays. Une chose est sûre, l'affaire de l'Anbt n'est que la goutte qui a fait déborder...la vase.