Des recherches poussées doivent être entreprises pour redonner à tamazight son cachet original. L'introduction de l'enseignement de la langue amazighe à l'école algérienne est un fait notable dans un pays en phase de refondation. Elle vient concrétiser les termes contenus dans la Constitution, amendée par le président de la République le 10 avril 2002, qui a consacré le tamazight langue nationale. La loi n°2-03 portant révision constitutionnelle précise que «l'Etat oeuvre à sa promotion et à son développement dans toutes les variétés linguistiques en usage sur le territoire». Ce grand pas franchi par le pouvoir en Algérie était une réponse à des décennies de luttes revendicatives et de sacrifices de pans entiers de la société, qui ont fait de la revendication linguistique et identitaire, une question d'honneur et de survie. Aussi paradoxale soit-elle, cette consécration a eu l'effet contraire de celui escompté. Au lieu de lui donner un second souffle, sa consécration a dilué la responsabilité de sa promotion dans les arcanes de la bureaucratie. Cette constitutionnalisation ne saurait suffire à redonner vie à une langue millénaire, poussée jusqu'au bord du néant, si elle n'est pas accompagnée d'un dispositif juridique, financier et organisationnel adéquat pour garantir sa promotion réelle et sa généralisation aux quatre coins du pays. Cette constitutionnalisation de la langue amazighe vient compléter le préambule de la Constitution de 1996 qui reconnaît que l'identité algérienne est fondée sur l'arabité, l'islamité et l'amazighité. Force est de reconnaître, aujourd'hui, que l'Algérie s'est débarrassée d'un vieux complexe qui a, de tout temps, été source de tensions dans certaines régions du pays où les populations ont toujours souffert d'un déni de justice du fait de la non-reconnaissance de leur personnalité algérienne, authentique reflet limpide de leur environnement, de leur milieu naturel et de leur cheminement historique. Même si l'autre revendication qui consiste en son officialisation reste insatisfaite, l'espoir est toujours de mise pour voir, un jour, une décision politique venir combler un vide inutile à l'Algérie. Il apparaît bien que tout est question de temps. C'est lui qui permettra aux mentalités de mûrir davantage. Il est impensable dans l'Algérie post-2006 de contourner la réconciliation historique de cette terre ancestrale avec son histoire véritable ou d'éviter les retrouvailles de ses enfants avec la langue des aïeux. Mais avant d'en arriver là, il est recommandé de consolider les acquis déjà réalisés. De par son statut de langue nationale, tamazight est en droit de revendiquer une prise en charge totale par l'Etat et ses différentes institutions. Cela servirait, au moins, à extirper cette revendication nationale des luttes politiques partisanes et tractations secrètes qui n'avancent en rien le problème linguistique en Algérie. L'Etat est, à ce sujet, appelé à assurer son rôle de garant de la Constitution, en accélérant le processus de réappropriation d'un pan entier de l'identité algérienne. L'Etat est surtout appelé à éviter de rééditer la même erreur commise par certaines parties de la classe politique et du monde associatif qui ont utilisé la cause linguistique comme alibi et parfois même comme le «cheval de Troie» pour mener des campagnes aux intérêts occultes. Il est vrai que la désertion du champ linguistique par les partis politiques traditionnellement défenseurs de cette cause, à l'image du FFS et du RCD, peut avoir des repercussions positives sur la renaissance de cette langue, loin du «vacarme» politique mais cette démarche ne doit, en aucune manière, être interprétée par le pouvoir comme un «essoufflement» ou un «lâchage» de la classe politique vis-à-vis de cette revendication populaire. Tamazight est désormais une question qui concerne l'ensemble de la société. Les lenteurs enregistrées dans l'application du plan de promotion de cette langue posent beaucoup d'interrogations. L'Etat réagit-il seulement sous la pression de ses interlocuteurs? Ce serait une erreur d'appréciation que de penser que cette question ne mobilise plus les foules. La paralysie constatée au niveau du Haut commissariat à l'amazighité (HCA), créé en 1995 et le retard enregistré dans la politique de formation d'enseignent, sont des signes inquiétants qui peuvent être interprétés comme étant l'expression d'une évacuation de ce sujet des centres d'intérêt du gouvernement. La dépolitisation de cette question ne signifie nullement un reniement quelconque des citoyens à leur engagement en faveur de la promotion de cette langue. La «grève du cartable» ou le «boycott scolaire de 1994», massivement suivis en Kabylie, sont un message qui reste d'actualité. Les Algériens entendent voir l'enseignement de tamazight à leur progéniture devenir un fait concret. Les populations de cette région ont fait leur devoir national de porter, à bras-le-corps, cette revendication, aujourd'hui prise en charge par l'Etat. Reste aux autorités compétentes de trouver les voies et moyens de la satisfaire après lui avoir concédé la légitimité juridique et politique. Le choix de l'alphabet, l'encadrement, les outils et les supports pédagogiques sont les questions techniques que le ministère de l'Education, et par extension des prérogatives que le gouvernement, est appelé à prendre en charge. Il est temps de faire taire les luttes idéologiques qui ne servent en rien la cause linguistique en Algérie. Le problème de transcription de tamazight se pose avec acuité et il revient aux techniciens et aux spécialistes dans le domaine de définir les modalités pratiques de son enseignement. Le tamazight est une langue entière qui n'a pas besoin de chapelle idéologique pour exister. Cette langue, il ne faut pas l'occulter, à travers des siècles, elle a subi une marginalisation outrancière, violentée sans cesse, sans pour autant elle ne soit réduite au silence. Le débat politique entre conservateurs et modernes ou alors la confrontation idéologique entre arabophones et francophones doivent rester dans le cadre qui est le leur. La langue est un instrument qui véhicule une certaine civilisation, une identité et une façon d'être et de penser. Tamazight revendique son droit naturel à l'existence et à son épanouissement. Des recherches poussées doivent être entreprises pour redonner à tamazight son cachet original loin des palabres politiques stériles et sans fin. Si les scientifiques ont réussi à faire revivre des pans entiers de l'histoire de l'humanité, ensevelis depuis des millions d'années, pourquoi n'en serait-il pas de même pour l'identité du peuple amazigh dispersé dans plusieurs contrées de l'Afrique du Nord? N'a t-il pas laissé ses empreintes gravées pour l'éternité sur sa terre?