Cette guerre à distance est telle que même le verdict des urnes ne pourra pas l'estomper. Entre Abdelaziz Belkhadem, chef du gouvernement, également secrétaire général du FLN, et Ahmed Ouyahia, secrétaire général du RND, la divergence est grande. Les propos tenus par M.Belkhadem à l'émission Forum de l'Entv, diffusée en direct dans la soirée de samedi, et les déclarations du secrétaire général du RND Ahmed Ouyahia, au Forum de la Radio Chaîne III le lendemain de l'émission télévisuelle, ont pris les allures d'une joute. Les deux hommes ont croisé le fer par médias publics interposés. Le premier clash apparent a été au sujet de la révision constitutionnelle. Abdelaziz Belkhadem affirme que cette révision n'est qu'une question de calendrier et son report est dicté par des priorités du président. Et puis, selon le chef de gouvernement, «le chef de l'Etat a, sur son bureau, trois moutures de ce que sera la nouvelle loi suprême du pays et c'est à lui maintenant d'opter pour l'une de ces Constitutions et de convoquer le corps électoral quand il jugera que le moment est propice». M.Ouyahia contre-attaque et soutient sur les ondes de la Chaîne III, avec certitude, que «si ces trois copies existent, elles seraient l'oeuvre de personnalités éminentes et non de la partie qui se revendique de l'une de ces moutures». Ou l'ex-chef de gouvernement refuse d'admettre que le FLN est capable de produire une constitution ou alors il signifie que la mouture du parti majoritaire n'a même pas été retenue par le président de la République. Dans les deux cas, M.Ouyahia dénie au FLN le droit de se revendiquer seul de cette tache. «Ce sujet de la révision revient depuis l'automne 2005 et il n'est devenu d'actualité que depuis le 4 juillet 2006, quand le président l'a soulevé dans son discours. Et c'est à lui seul que revient la décision de la révision constitutionnelle», rappelle M.Ouyahia avec insistance. Répétant une évidence constitutionnelle, M.Ouyahia crie à qui veut l'entendre, vraisemblablement pas Belkhadem, que «le président est souverainement le seul qui a la prérogative de convoquer le corps électoral». Les deux prestations médiatiques révèlent aussi au grand public, la divergence sur la nature du régime en Algérie entre le présidentiel, semi-présidentiel ou parlementaire. Avec «une clarté de cristal», le secrétaire général de l'instance exécutive du FLN affirme qu'il est pour un régime présidentiel aux prérogatives claires. «Il faut lever l'opacité qui caractérise le régime actuel», affirme-t-il. Il explique que le chef du gouvernement préside le conseil de gouvernement, et le président de la République préside le conseil des ministres. Il relève que l'un et l'autre signent des décrets, le chef de l'Exécutif notera un certain «partage ou dualité» du pouvoir. S'appuyant sur les déclarations du président de la République dans l'un de ses discours, Ouyahia dit non à un régime présidentiel. «Lors de son discours du 4 juillet dernier le président de la République a donné son point de vu sur la question en affirmant qu'il ne veut ni d'un régime parlementaire ni d'un régime présidentiel». S'en tenant donc aux déclarations du premier magistrat du pays, Ahmed Ouyahia opte pour un régime semi-présidentiel. Le registre des divergences n'est pas pour autant clos lors de ces deux apparitions médiatiques. Deux hommes et deux projets et deux conceptions différentes. Interrogé sur la réconciliation nationale et le terrorisme, Abdelaziz Belkhadem laisse ouverte la perspective de la réconciliation nationale. «On ne peut limiter la réconciliation nationale ni dans le temps ni dans les chiffres». Il appréhende cette réconciliation dans son sens le plus philosophique. «C'est une pratique quotidienne et tant que l'être humain est vivant, cette pratique doit vivre avec lui». N'étant pas évidemment contre la réconciliation pour laquelle son parti a pris cause et fait, néanmoins Ouyahia se démarque de Belkhadem. Pour lui, c'est la lutte contre le terrorisme qui doit être quotidienne et sans relâche. «La lutte antiterroriste est un combat pour lequel on ne peut pas fixer de délai» appuie-t-il. «Si la courbe des actions terroristes baisse cela ne signifie pas que le terrorisme est terminé, s'il reste un seul terroriste c'est un cauchemar». Cette guerre à distance entre les deux hommes politiques est telle que même le verdict des urnes ne pourra pas l'estomper. Il s'agit de deux projets de société différents.