Les «Sections armes spéciales», faisant référence à l'utilisation dès 1956 par l'armée coloniale d'armes chimiques contre les militants algériens, sont ainsi révélées au grand jour par l'historien Christophe Lafaye, qui a fait face à un mur de résistance et d'interdits dans sa quête de la vérité autour de ce sujet. L'historien français, qui s'est confié au journal français l'Humanité, évoque, ainsi, le recours de l'armée française aux armes chimiques, notamment «l'emploi du gaz CN2D, mélange de gaz CN (dérivé du cyanure), de gaz DM (arsine, dérivé de l'arsenic) et de kieselgurh, une terre siliceuse fine qui amplifie les effets irritants et la létalité». Lafaye explique, encore, qu'à partir de 1956 la France coloniale qui avait constitué ses premières unités spécialisées «Sections armes chimiques», issues de la 7e Région militaire (Bourgogne et Franche-Comté), sont formées à Bourges. Il révèle aussi qu'entre 1957 et 1959 le nombre de ces unités de la mort avoisinait les 120 (119 unités opérant en Algérie). «La première voit le jour le 1er décembre 1956. Sous Maurice Challe, dès 1959, l'usage devient systématique: les grottes, même non détruites, sont régulièrement gazées pour être rendues inutilisables, jusqu'à la fin du conflit en 1962», note encore l'historien. Il expliquera également que ces gazages et armes chimiques devaient vider les grottes des combattants algériens, qui donnaient du fil à retordre à l'armée coloniale, surarmée et mieux équipée. Lafaye expliquera, avec force détails, que l'armée française voulait rendre inhabitables et inutilisables ces grottes par les combattants algériens, en y rendant l'air irrespirable, allant jusqu'à «provoquer, dans des espaces confinés, des oedèmes pulmonaires mortels». «Seuls ces gaz servaient au contrôle des foules. Combinés en fortes doses, ils tuaient rapidement ceux piégés à l'intérieur», explique-t-il encore. Les révélations de Lafaye démontrent comment les militaires français procédaient avec atrocité, allant jusqu'à gazer leurs propres collègues militaires disparus, présents dans les grottes. «Parmi les 524 soldats français portés disparus, certains ont pu être gazés dans des grottes où ils étaient retenus prisonniers», affirmera-t-il. Il révélera également que ces gazages ne concernaient pas uniquement les combattants, mais aussi les civils, expliquant comment 116 Algériens ont été gazés, alors qu'ils s'étaient réfugiés dans certaines grottes par crainte de représailles. L'historien français confirme cette «loi de l'omerta» maintenue par certains cercles puissants en France concernant le dossier de la mémoire, au coeur d'enjeux politiques impressionnants et inédits, en ce moment. Malgré les difficultés d'accès aux archives, Christophe Lafaye a retrouvé «des traces de décisions politiques majeures», confirmant que «c'est Maurice Bourgès-Maunoury, alors ministre, qui a signé l'autorisation d'utiliser ces armes. Sous la IVe République, puis la Ve, la France a assumé et structuré cette stratégie sans ambiguïté». Malgré la chape de plomb sur les faits et crimes de guerre commis par l'armée coloniale française en Algérie, les vérités historiques ne cessent d'être mises au grand jour. Bien que suscitant de nombreuses interrogations, le chapitre de l'utilisation d'armes chimiques par l'armée coloniale en Algérie demeure un sujet tabou et très peu exploré, autant par les chercheurs et les historiens que par les politiques, les militaires et l'opinion publique française. Cela est d'autant plus important que l'accès aux archives et aux sources d'information autour de ce dossier reste marqué par le sceau de la difficulté, voire même de dangerosité.