La colonisation de l'Algérie par la France est d'une barbarie que seuls les nazis ont égalée. C'est sans doute pour cette raison que la question mémorielle lui pose problème. Préférant garder secrètes ses exactions, ses assassinats de sang-froid, la pratique de la torture, les enfumades pour sauvegarder son image tronquée de nation civilisée, civilisatrice, de patrie des droits de l'homme. Mais encore une fois, l'histoire, ce grand metteur en scène apporte son lot de vérités. La réalité est toute autre. La France a massacré massivement en Algérie dès le début de la colonisation, redoublant de férocité durant la guerre de Libération nationale, en utilisant des armes prohibées, chimiques notamment. L'information nous vient de l'autre côté de la Méditerranée, de l'Hexagone. Cela vaut son pesant de poudre! «450 opérations militaires ayant eu recours aux armes chimiques ont eu lieu en Algérie, elles étaient principalement concentrées dans les zones montagneuses en Haute-kabylie et dans les Aurès», a confié l'historien français Christophe Lafaye au site d'information actu.fr. On est est certainement loin du compte. Le tableau demande, en effet, à être complété par l'ouverture d'archives encore aujourd'hui classées. «Un certain nombre de documents sont accessibles mais pas les comptes rendus d'opérations, les journaux de marche, soit le livre de bord de l'unité. La consultation de ces documents est, pourtant, essentielle, car ils permettraient d'évaluer les victimes et, par recoupement, d'identifier les personnes portées disparues. C'est important pour les familles. Ensuite, ces documents permettraient de faire une cartographie exhaustive des sites où ces armes ont été utilisées et des lieux exposés aux retombées», souligne Christophe Lafaye, qui affiche une carte de visite impressionnante. Docteur en histoire, chercheur à l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire (Irsem), et lauréat du Prix d'histoire militaire 2014, il est également officier de réserve. Régulièrement publié dans des revues d'histoire militaire, il appartient à la nouvelle génération de chercheurs s'intéressant à l'expérience combattante des XXe et XXIe siècles. Il est notamment l'auteur de L'Armée française en Afghanistan. Le génie au combat 2001-2012 (Cnrs éditions & ministère de la Défense, 2016), d'Entreprendre et réussir. Histoire du 19e régiment du génie et d'Histoire du 2e régiment d'infanterie de Marine (éditions Pierre de Taillac, 2016 et 2018). Il faut dire que sa recherche concernant les agissements de l'armée française en Algérie durant la colonisation n'a pas été de tout repos. Il fallait s'y attendre, tant cette entreprise était loin d'être glorieuse. Cela ne l'a pas empêché de retracer de manière précise l'histoire de l'utilisation des armes chimiques par l'armée française. «J'ai pu quand même retrouver certaines décisions politiques. C'est le ministre Maurice Bourgès-Maunoury donc qui a signé l'autorisation d'utilisation des armes chimiques. La IVe République puis la Ve ont totalement assumé, ordonné et organisé le déclenchement d'une guerre chimique en Algérie», a-t-il indiqué. L'un des personnages centraux de cette histoire, est le général Charles Ailleret. Qui est-il exactement?. «C'est un polytechnicien resté dans la postérité comme le père militaire de la bombe atomique française. Mais lors de son passage au Commandement des armes spéciales, c'est lui qui va faire la promotion de l'emploi des armes chimiques en Algérie.», a affirmé Christophe Lafaye, soulignant que ce triste personnage a écrit un livre en 1948 où il décrit l'utilisation de la science dans la guerre comme étant un élément de supériorité dans la conduite des opérations. «Il a la conviction profonde en les vertus de la science comme arme pour remporter la victoire sur le terrain», a-t-il déploré. À ce propos, les archives consultées par Christophe Lafaye ont confirmé l'utilisation d'un gaz appelé CN2D. «C'est un composé de deux gaz: le gaz CN est un dérivé du cyanure et le gaz DM qui est une arsine, donc un corps dérivé de l'arsenic, pour faire simple», a expliqué l'historien. Une pièce supplémentaire irréfutable, manifeste, de la barbarie, de la sauvagerie dont a fait preuve l'armée coloniale française. Un héritage abject que la France officielle refuse d'assumer...