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Chavez, la démocratie et les faucons
L'AUTRE REGARD
Publié dans L'Expression le 06 - 12 - 2006

Chavez a montré au monde qu'il est toujours populaire et qu'il se vend toujours bien dans son pays.
Hugo Chavez, le président vénézuélien, qui a été intronisé président des Arabes par la voix populaire après ses dernières déclarations condamnant le fascisme israélien et le rappel de son ambassadeur à Tel-Aviv, a remporté, encore une fois, une éclatante victoire lors des élections présidentielles en battant largement son adversaire, Manuel Rosalès, gouverneur de la riche province pétrolifère de Zulia, représentant de la droite. C'est le quatrième homme de gauche à avoir été élu ces cinq dernières semaines à la tête d'un pays latino-américain. Sans la fraude massive qui a caractérisé les dernières élections au Mexique, le paysage de ce pays aurait viré à gauche.
Cet homme a gagné toutes les élections, malgré les dures pressions de l'administration Bush et la haine que lui porte la nouvelle droite américaine qu'il ne cesse de dénoncer dans tous ses discours. Il sait aujourd'hui que le camp anti-Bush s'agrandit en Amérique latine, même si la question de la dernière élection au Mexique, marquée par des fraudes massives au profit du candidat soutenu par Washington, reste ouverte; les choses restent en l'état tant que la gauche persévère dans le rejet des résultats annoncés. Hugo Chavez qui sait mieux que ses adversaires ce que signifie la démocratie, est constamment menacé par les locataires de la Maison-Blanche qui ne le portent pas dans leur coeur.
Il y a un peu plus de deux années, il a accepté de rejouer les élections et de les gagner encore une fois. Il savait, bien avant cette consultation référendaire, qu'il allait ridiculiser une opposition trop tentée par les entreprises putschistes et pensant en finir aussi facilement avec un homme nourri des idées de Simon Bolivar marquées par une forte propension à l'indépendance et à l'émergence d'une économie à tendance sociale. Tout avait été fait pour mettre un terme à une expérience qui mettait sérieusement à mal les calculs de la Maison-Blanche, trop frileuse quand il s'agit d'admettre des régimes démocratiques qui ne pensent pas comme Bush et son entourage de «faucons» qui ne peuvent accepter dans leur voisinage immédiat un président, de surcroît populaire, et qui ne craint pas d'exposer ses amitiés et ses préférences politiques. D'ailleurs, juste quelques jours avant la tenue du référendum du dimanche, il n'a pas manqué de déclarer que le Venezuela n'est nullement une colonie américaine.
Appui populaire incontestatble
Les commentaires de la presse américaine et française pose sérieusement problème et donne à voir une information parcellaire, trop subjective et trop parcellaire. Quand les présentateurs de TF1, F2 et Euronews reproduisent à l'unisson le même qualificatif «controversé» (dimanche 15 août 2004) pour évoquer Chavez, il est tout à fait légitime de s'interroger sur ce journalisme particulier qui juge les acteurs en fonction de préalables idéologiques et politiques tout en les drapant d'une enveloppe d'«objectivité». Ainsi, depuis 1998, date de la première élection de Chavez à la tête du pays avec un large pourcentage de 56,2%, les médias vénézuéliens (suppléés par de nombreux médias américains et européens), contrôlés dans leur écrasante majorité par les grands groupes économiques et financiers, cherchent à déstabiliser cette jeune démocratie, la mieux élue en Amérique latine en multipliant les grèves sauvages et en tentant de paralyser un pays qui connaît une extraordinaire croissance économique et ayant vécu d'intenses réformes sociales qui commencent à faire craquer les anciens rapports d'exploitation.
Chavez a accepté, en se conformant à la Constitution, de convoquer en 2004 une consultation référendaire exigée par l'opposition et les Etats-Unis, et de montrer au monde qu'il est toujours populaire et qu'il se vend toujours bien dans un pays qui, à l'instar de Cuba, a été depuis 1998 le théâtre de grandes séances d'alphabétisation et d'interventions de l'armée, appelée à mettre entre parenthèses sa fonction répressive pour contribuer à la mise en oeuvre et la réparation de routes, d'hôpitaux, la construction de logements et l'ouverture de centaines d'écoles. Ces actions, surtout la réforme agraire qui tentait de récupérer les terres de l'Etat, injustement spoliées, pour les distribuer aux paysans pauvres souvent vivant sans ressource, allaient provoquer de sérieuses réactions. Ainsi, en 1998, 70% des terres productives étaient entre les mains de 20% de propriétaires qui, souvent, ne disposaient même pas de titres de propriété. 75% des paysans ne possèdent que 6% des terres. L'Etat n'a fait finalement que récupérer les terres illégalement occupées par des propriétaires terriens, comme il a réparé une injustice en mettant en oeuvre les «droits humains» et les «garanties sociales» (sécurité sociale) tout en proposant un «modèle humaniste, autogestionnaire et compétitif» qui n'exclut nullement des privatisations et l'ouverture de certains secteurs au privé national et étranger.
Les médias ont rarement essayé de rendre compte des réalités vécues par ce pays qui a connu une croissance continue, malgré les nombreuses grèves insurrectionnelles qui n'ont pas manqué de caractériser les grands secteurs économiques, surtout le domaine pétrolier qui a connu de très fortes perturbations. Drôle de logique qui convoque des journaux, des médias et des associations de journalistes pour défendre une entreprise putschiste, celle du 11 avril 2002 où le patron des patrons, M.Pedro Carmona, s'était autoproclamé pour quelques heures président du Venezuela, avec le soutien de la presse, de la confédération des travailleurs du Venezuela et quelques militaires. Ainsi, le quotidien espagnol, El Pais s'était illustré par un soutien sans faille à cette éphémère opération, comme d'ailleurs le New York Times, le Washington Post, CNN ou l'association dirigée par le bouillant Robert Ménard, Reporters sans frontières. C'est ainsi que fonctionnent aujourd'hui les médias au niveau international qui prennent fait et cause pour les puissances d'argent, réels propriétaires des grandes chaînes de télévision et de la grande partie de la presse écrite.
Une démocratie originale
C'est dans ce contexte teinté d'agressivité et d'hostilité manifeste que s'est déroulé ce référendum pouvant être révocatoire qui a permis à Hugo Chavez de confirmer sa popularité et de constater une légère progression de deux points (58,25%) par rapport aux élections de décembre 1998 (56,2%) et de juillet 2000 (56,73%). Tout le monde savait que bien avant l'annonce des résultats par le Conseil national électoral vénézuélien, l'opposition allait crier à la fraude et ne pas reconnaître le produit des urnes. C'est ce qui s'était réellement déroulé quand le chef de l'opposition, humilié et abattu, a dénoncé quelque temps après l'annonce du verdict, ce qu'il a appelé des «fraudes électorales» et une «manipulation grossière». Même la commission de surveillance des élections, constituée d'observateurs internationaux et dirigée par l'ancien président américain, connu pour ses positions probes et honnêtes, Jimmy Carter, a tout simplement constaté la transparence de l'opération et l'absence totale de fraude.
Il est certain que l'opposition cherchera à provoquer un cycle de violences et à installer un climat insurrectionnel propice à toutes les subversions. L'objectif des opposants et de leurs soutiens à Washington, notamment les fameux «faucons», est de mettre un terme à cette expérience démocratique originale en Amérique latine. La peur de la contagion démocratique est certainement pour quelque chose dans la position des «faucons» qui veulent tout simplement une démocratie à leur mesure, c'est-à-dire docile et non autonome. Hugo Chavez, en acceptant l'organisation d'un référendum exigé, il y a deux ans, par l'opposition et la Maison-Blanche piège finalement ses adversaires qui ne trouvent pas facilement un autre argument légal pour le déposer. Seront-ils tentés, encore une fois, par la réédition de l'expérience Pinochet au Chili? Dans ce pays également, un journal, El Mercurio, avait fait à l'époque, un travail de sape préparant le coup d'Etat contre Salvador Allende.
Les choses semblent changer, même si le dernier putsch d'avril 2002 reste encore dans les mémoires. La télévision (neuf chaînes sur dix sont aux mains de ses adversaires) et 90% des radios et des journaux appartiennent à des forces politiques hostiles au président qui ne dispose à la télévision d'Etat que d'une émission hebdomadaire de deux heures «Alô Presidente» dans laquelle il s'adresse à son peuple, en monopolisant souvent la parole et en haranguant ses auditeurs. Ce leader populiste qui a pour défaut de centraliser le pouvoir, a été le premier à avoir engendré une rupture politique au Venezuela par la voie démocratique et sans violence. Mais cette «révolution bolivarienne» reste encore marquée par «l'énigme des deux Chavez» pour reprendre la belle et pertinente conclusion de l'écrivain colombien, Gabriel Garcia Marquez qui considère que le président est travaillé par deux attitudes, l'une de droite et l'autre de gauche. Il serait, selon lui, traversé par deux instances qui, paradoxalement, pourraient fondre dans une même direction: romantisme et pragmatisme. Il passe d'un espace à un autre sans trop de difficulté, déconcertant ses proches souvent recrutés dans les figures de gauche des années soixante et même parfois d'anciens maquisards se retrouvent dans sa formation politique, le Mouvement pour la Ve République (MVR). Mais l'élément essentiel marquant sa pratique politique, c'est cette extraordinaire propension à l'indépendance qui, d'ailleurs, caractérise le discours de Simon Bolivar. Il n'a pas craint de mécontenter les Américains en rendant visite à Saddam Hussein en août 2000, en plein préparatifs de guerre contre l'Irak ou en entretenant d‘excellentes relations avec Fidel Castro avec lequel il éprouverait un réel plaisir en jouant au golf. Il interdit aux avions américains le survol de son territoire pour espionner la guérilla colombienne. Les attaques continues contre les leaders cubain et vénézuélien s'expliqueraient par une volonté manifeste de substituer aux pouvoirs actuels des hommes-liges. Ainsi, Hugo Chavez qui a toujours été sévère à l'endroit des partis traditionnels, a hérité en 1998 d'un pays au bord de la faillite qui a vu plus de 90 milliards de dollars quitter le pays pour être placés à l'étranger, et notamment à Miami. Ce qui lui a rendu les choses extrêmement difficiles, d'autant plus que la hiérarchie de l'Eglise, les milieux d'affaires et la presse se sont toujours attaqués à l'orientation sociale de la politique de Chavez (sécurité sociale, limitation de la semaine de travail de 44 heures) et ont cherché à instrumenter la presse qui prend ainsi la place des partis politiques, sérieusement désavoués par les électeurs. La presse de droite appelle souvent à l'insurrection et à traiter le président Chavez de tous les noms (fasciste, nazi, tyran...), alors que depuis 1998, aucun journaliste n'a été emprisonné ou un titre fermé malgré toutes les attaques diffamatoires dont le président fait l'objet. Cette éclatante et large victoire lui permettra d'avoir les coudées franches et de revoir les espaces constitutionnels dans un contexte latino-américain très favorable.


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